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Billet de blog 2 mai 2016

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Israël, Palestine, l'information et l'émotion

Le journalisme est un métier, et porter témoignage n'est pas chose aisée. Il faut donc être prudent lorsque l'on n'est pas habitué à prendre la parole, sinon on court le risque de se retrouver prisonnier de ses émotions et, du coup, véhiculer des notions qui outrepassent les limites que la raison nous aurait portés à ne pas franchir dans d'autres circonstances.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Tout commence par une interview donnée au journal Ouest-France par Laurent Mérer, actuellement résidant dans la région d'Hébron dans le cadre du programme EAPPI France (Eucumenical Accompaniment  Programme in Palestine and Israel, qui envoie des volontaires en mission d'observation et de médiation dans les zones frontalières sensibles d'Israël et de Palestine), et relayée sur un blog de Médiapart. Lire ici le blog d'Olivia Elias.

L'ancien amiral aujourd'hui en retraite n'y va pas de main morte dans son commentaire et pourquoi pas, s'il s'agit de faits dont il a été lui-même témoin. En revanche, lorsqu'il s'agit de juger d'événements auxquels il n'a pas assisté, Laurent Mérer tombe dans l'excès, et cet excès varie à plus titre, selon l'interlocuteur auquel il s'adresse. Par exemple : dans un message qu'il a rédigé pour le site internet du Service protestant de mission - Défap, l'organisme qui s'est occupé de son envoi sur place et dont l'audience est relativement confidentielle, il cite un membre de la famille palestinienne (dont la maison a été détruite, et qui fait l'objet de son reportage et de son témoignage intitulé "Démolition punitive") parlant d'une "centaine de soldats" israéliens venus casser les murs à la masse. Lire le témoignage ici.  Lorsqu'il narre la même histoire au journaliste de Ouest-France, donc à un public beaucoup plus vaste, la centaine est devenue "trois cents soldats".

Ce n'est hélas pas le pire : Laurent Mérer relaie aussi des informations non vérifiées, et hélas inexactes, qui sont loin d'aller dans le sens de la "mission de paix" que revendique le programme EAPPI. A ce titre, je livre ci-dessous à mes lecteurs la réaction de Florence Taubmann, pasteur, responsable du pôle France au Service protestant de mission - Défap et présidente d'honneur de l'Amitié judéo-chrétienne, qui connaît bien mieux que moi le contexte géopolitique de la région et, de ce fait, propose une réponse pertinente.

« Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde »

«  Histoire d’une démolition punitive. » Sous ce titre, un article mis en ligne le 18 avril dernier sur le site du Défap prétend dénoncer des atrocités commises par l’armée israélienne.  Son auteur, Laurent Mérer, envoyé du Défap en Israël/Palestine nous apprend, entre autres, qu’une Palestinienne  de 18 ans aurait  été « assassinée » par l’armée israélienne en novembre dernier.

 « Assassinée. » Ce mot est fort. Il signifie que le meurtre a été prémédité. Et cela sans aucun motif puisque la jeune fille, selon l’auteur, était désarmée ! Pire : loin d’être l’acte isolé  d’un soldat, cet «assassinat » aurait été couvert, voire ordonné au plus haut niveau par « l’armée » qui, selon notre auteur, l’aurait maquillé en attaque. « Un témoin, écrit Laurent Mérer, a vu les soldats déposer un couteau près du corps de la malheureuse.» Se fondant sur ce seul et unique témoin palestinien à charge, l’auteur balaye d’un revers de main le point de vue de l’armée israélienne qui, écrit-il « nie » cet assassinat. Pour ma part, ayant vécu en Israël où je compte de nombreux amis journalistes, je me suis renseignée sur cette affaire. Ils l’avaient évidemment suivie en son temps. La version donnée sur le site du Defap leur parait sans fondement. Elle est, aussi, peu crédible.

S’il avait  en effet existé le moindre soupçon de culpabilité d’un soldat israélien, les organisations de défense des droits de l’Homme auraient exigé une enquête de l’armée. Elles sont puissantes, actives et très éloignées du gouvernement actuel dont certains membres les ont désignées comme des « ennemis d’Israël ». Elles ne laissent rien passer.

Récemment, sur la base d’une vidéo filmée par l’ONG pacifiste B'Tselem, un soldat a été arrêté pour avoir achevé un attaquant palestinien armé d’un couteau. Cette affaire, qui a profondément divisé la société et le gouvernement israéliens, a été l’occasion pour le chef d’Etat-major de rappeler les fondements éthiques de l’armée, puisés aux sources du judaïsme. 

On peut légitimement contester la colonisation par Israël des Territoires palestiniens. On peut légitimement s’indigner des punitions collectives qui, à travers leurs maisons, frappent les familles de ceux qui ont organisé des attentats non seulement contre l’armée mais aussi contre des civils et parfois de très jeunes enfants. Mais on ne peut écrire qu’Israël est un pays dont l’armée couvre et organise « l’assassinat » de civils pacifiques et désarmés. C’est une absurdité pour toute personne qui connait un tant soit peu la situation.

Il est impossible de servir la cause de la paix sans bien connaître l’histoire et le contexte politique actuel dans toute sa complexité, sous peine de comparaison outrancière comme celle d’Israël à l’Allemagne nazie faite par Laurent Mérer dans une interview publiée dans Ouest-France le 24 avril dernier. Si l’on considère que deux légitimités s’affrontent, il importe d’entendre les deux parties en conflit afin de garder une parole crédible auprès des uns et des autres.

Florence Taubmann

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