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Billet de blog 17 décembre 2015

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Le pape François en Afrique : mots contre maux

Kenya, Ouganda, Centrafrique : le choix des pays que le pape François a visités, pour son premier voyage en Afrique entre le 25 et le 30 novembre 2015, révèle certainement ce qu’est au fond de lui-même Jorge Mario Bergoglio : un homme simple, fils d’immigrés italiens arrivés en Argentine à la veille des années 1930 poussés hors de l’Italie fasciste par la crise économique.

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C’est l’empreinte de toute sa vie, personnelle comme ecclésiale, sa « marque de fabrique » : il s'est penché sur trois pays marqués, à des degrés divers et en des temps différents, par la violence.

François sait ce qu’est la vie dure, il perçoit toute la portée du scandale que représente le côtoiement, dans les rues de Nairobi, capitale d’un Kenya pourtant en pleine mutation, de la misère terrible et du luxe ostentatoire. « Le pays représente bien le défi mondial de notre temps, a-t-il commenté, la protection de la création par la réforme du modèle de développement. Pour être équitable, il doit être inclusif et durable… » Des paroles encourageantes, bien dans la mouvance de ce que tente le président Uhuru Kenyatta, par exemple en s’attaquant à la corruption, un mal endémique dans le pays. Des mots assortis, bien sûr, de la condamnation vigoureuse des violences commises au nom de la religion, comme celles qui, en avril dernier, ont coûté la vie à 147 jeunes étudiants de l’université de Garissa, au nord-est du pays, visés spécifiquement par des islamistes somaliens du mouvement al-Shabab parce qu’ils étaient chrétiens. Mais hélas, il n’a prêché que des convaincus.

En Ouganda, la visite de François avait été placée sous le signe des martyrs, Charles Lwanga et ses vingt-et-un jeunes compagnons persécutés par le roi Mwanga entre 1885 et 1887, canonisés par le pape Paul VI en 1964. Autre temps, autres mœurs, mêmes effets. François a donc rendu hommage à tous ceux qui luttent pour « servir les pauvres, les handicapés et les malades ; ces jeunes qui, malgré les difficultés, conservent l’espérance… ». Il n’a pas oublié de mentionner le travail, remarquable il est vrai, accompli dans la lutte contre le sida, dont le taux de prévalence est passé, en dix ans, de 20 % à moins de 6 %. Il a aussi salué la tradition d’hospitalité ougandaise, soutenue il faut aussi le dire par une politique généreuse en matière d’asile. Lorsque les combats ont éclaté au Soudan du sud en décembre 2013, le gouvernement a monté, en coordination avec le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), l’une des plus importantes interventions d’urgence jamais organisées dans le pays. Aujourd’hui, près de 125 000 Sud-Soudanais réfugiés en Ouganda ont un abri et des accès aux services de protection et d’assistance. Un satisfecit, donc, pour ce petit pays des Grands lacs qui, pourtant, sur le plan politique, n’est pas à proprement parler une démocratie exemplaire. Comme quoi…

Restait la malheureuse Centrafrique, que l’on peut presque qualifier de pays martyr tant les persécutions dont elle fait l’objet sont nombreuses et qui, comble de l’horreur cynique, est son propre persécuteur… François savait que depuis quelques semaines, les violences intercommunautaires avaient repris jusque dans la capitale. Il a malgré tout bravé les recommandations, notamment du ministère français des Affaires étrangères, qui l’invitaient à renoncer à cette étape pourtant cruciale de son voyage.

Alors que les forces des Nations unies, les militaires français de la mission Sangaris et les services de sécurité du Vatican étaient sur les dents, il s’est montré détendu et souriant. Le gros de la foule était maintenu à distance par des barrières de sécurité et ce, sur toute la longueur menant de l’aéroport au centre-ville, mais cela n’a pas empêché le pape de serrer des mains tendues. Il s’est rendu en « papamobile » découverte jusqu’à la mosquée du quartier musulman PK5 et a visité le camp de déplacés qui la jouxte. « Vous voyez : rien d’impossible aux hommes de bonne volonté, s’est-il exclamé, la paix peut revenir ! » Message d’espoir.

Aux fidèles massés devant la cathédrale Notre Dame de l’Immaculée Conception de Bangui, qui fut aussi il y a quelques mois un lieu de refuge mais pour les déplacés chrétiens, François a tenu un discours lourd de sens et de symboles. Il a évoqué cette religieuse, sage-femme, qui a mis au monde 3 280 enfants : « le missionnaire ne fait pas de prosélytisme, a-t-il martelé, les femmes chrétiennes comme musulmanes se sont adressées à elle car elles la savaient bonne infirmière et elle les traitait bien, sans prétendre les convertir. […] Pas de prosélytisme, jamais ! » Mais le pape se trompe : en Centrafrique, ce n’est pas la dynamique de conversion qui est en jeu, mais le repli communautaire et la haine de l’autre. Il a aussi accompli un geste particulier : il a ouvert en la cathédrale la première « porte sainte » de l’Année jubilaire de la miséricorde. Explication : cet événement, catholique, a lieu tous les vingt-cinq ans et est destiné à raviver la foi. Son point de départ est, en principe, l’ouverture de l’une des portes de la cathédrale Saint-Pierre de Rome, close et murée en dehors de cette période.

Le thème central de cette Année jubilaire est « Passons de l'autre côté ». « Cela signifie tourner le dos à la guerre, à la division, à la pauvreté, et choisir la paix, la réconciliation et le développement. Mais cela suppose un passage qui doit prendre forme dans les esprits, les attitudes et les intentions des personnes », a expliqué le pape, insistant sur le caractère crucial de la contribution de toutes les communautés religieuses, catholique et protestante mais également musulmane. Il suffit certainement d’un voyage du chef des catholiques jusqu’à la mosquée de Bangui pour redonner le sourire et l’enthousiasme à une population lassée des exactions, mais il reste à savoir si ceux qui les commettent se laisseront aussi facilement toucher par la « grâce ».

Que conclure de ce voyage papal en terre africaine ? Que le souverain pontife, chef de l’État le plus petit de la planète mais qui règne sur plus d’un milliard de catholiques, ne manque pas de courage, c’est certain. Il a choisi deux pays meurtris par des violences interconfessionnelles et, à chaque fois, a délivré un message de paix et de réconciliation. Que peut-il faire d’autre ? Son rôle se borne à communiquer l’espérance, à faire renaître la ferveur, à faire « que l’on y croie »… si ce n’est en Dieu, du moins en la paix parmi les hommes. À ce titre, il a réussi sa mission car les chrétiens d’Afrique ont unanimement apprécié son voyage. En revanche, il a échoué à ramener la concorde parmi ceux que la politique sépare. Début décembre, les violences ont repris à Bangui après l’annonce de l’invalidation de la candidature de l’ancien président François Bozizé à l’élection présidentielle, prévue pour le 27 décembre.

Malgré cela, il est à noter que le pape a suscité des vocations, notamment celle de son archevêque, Mgr Dieudonné Nzapalainga. Le 9 décembre, ce dernier s’est rendu au cœur du quartier PK 5 et, après s’être entretenu avec des jeunes montant la garde, kalachnikov à l’épaule, à un check-point improvisé installé à la lisière du quartier musulman, il a descendu, à pied, la longue avenue du Lieutenant-Koudoukou qui mène à la mosquée centrale, entrainant avec lui un groupe de plus en plus nombreux. Cette fois-là, sous la conduite de cet étonnant berger en soutane, chrétiens et musulmans se sont hardiment mélangés, « comme avant, lorsque cette distinction n’avait pas lieu d’être ! » a lui-même commenté l’archevêque. Un signe d’espérance ?

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