Ce n’est rien de moins que la reconstruction – voire la construction – de tout un État qui était au cœur des enjeux de l’élection présidentielle. Élu « à la loyale » grâce à un taux de participation de plus de 60 % – avoisinant même les 70 % dans certaines régions –, Faustin Archange Touadéra l’a emporté haut la main avec 62 % des suffrages, contre 37 % environ pour son adversaire, Anicet-Georges Dologuélé. « Bien » élu, il devrait être moins en butte à l’adversité que ses prédécesseurs, et c’est une chance, car les défis qui se présentent à lui sont colossaux. Il sait cependant ce qui l’attend : premier ministre du président déchu François Bozizé de 2008 à 2013, son expérience des affaires de l’État devrait lui servir. C’est d’ailleurs ce qui l’a fait élire : une attente énorme de la part des Centrafricains, lassés de l’incertitude économique et de l’insécurité.
Diriger ce pays, qui n’en est presque plus un, signifie opérer de toute urgence un certain nombre de choix stratégiques qui doivent avant tout rester consensuels. En premier lieu, il est question de la consolidation de la paix et la cohésion nationale, suivies de près par la reconstruction de l’État, autrement dit de l’administration, et enfin de la remise sur les rails de l’économie.
Réhabiliter la défense nationale
La situation sécuritaire en Centrafrique est un problème difficile, pour l’instant confié essentiellement aux forces étrangères de maintien de la paix, celles des Nations unies (Mission intégrée multidimensionnelle de stabilisation des Nations unies en République centrafricaine, Minusca), et de la France (opération Sangaris). L’objectif final est que le pays s’affranchisse de cette aide extérieure. Consolider la paix signifie donc redonner vie et cohérence au trio armée-police-gendarmerie et œuvrer pour que ces forces de sécurité soient à la fois fidèles et loyales au pouvoir. Ce sera déjà un tour de force, car depuis quinze ans la défense nationale a été singulièrement malmenée. Elle a été soumise tour à tour au grand voisin tchadien, aux Congolais, aux Libyens, aux milices – Goranes et Zagawa notamment, venus dans les fourgons de Bozizé lors de son coup d’État de 2003 – aux rebelles en tout genre, plus ou moins intégrés dans l’armée, au gré des opérations de désarmement, démobilisation, réintégration (DDR) mais jouant finalement une partition en solo et étant donc, à ce titre, incontrôlables. L’ancien président Bozizé ne parvenait même pas à faire confiance à sa propre garde rapprochée, pourtant triée sur le volet, recrutée dans d’autres pays africains.
Le président Touadéra va devoir effectuer une profonde réforme au sein de ce qui subsiste des forces de sécurité, notamment en redistribuant les postes de responsabilité et en assurant une promotion interne assez significative pour relancer, parmi les hommes, l’envie de faire carrière. Il va devoir également réintégrer dans l’armée régulière nombre de rebelles et autres dissidents armés qui vivent actuellement en groupes autonomes dans les provinces. Qu’ils s’appellent antibalaka ou Séléka, ce sont eux qui mettent en danger la sécurité nationale en maintenant une forme de guerre civile larvée, s’en prenant régulièrement les uns aux autres ou opérant des razzias meurtrières dans les villages. Leurs motivations ne sont plus vraiment politiques, ce ne sont que des bandits terriblement destructeurs.
Payer des fonctionnaires compétents
Faustin Touadéra pourrait compter sur le renouveau du sentiment patriotique et républicain des corps habillés qui, lassés du désordre ambiant, peuvent vouloir participer à la remise en ordre générale. En tout cas, ce n’est plus d’une opération extérieure française dont il a besoin, bien au contraire. La France, discréditée par les affaires, notamment de viols sur mineurs, qui ont entaché la mission Sangaris – et la Minusca – ne peut et ne veut que se replier. En revanche, le chef de l’État et son ministre de la Défense auront plus que jamais besoin de l’appui technique des partenaires, bilatéraux ou Nations unies, et d’un organe de coordination capable d’assurer la mise en œuvre d’une politique globale de sécurité fondée sur une armée nationale et patriote.
Sur le plan de la reconstruction de l’État, l’administration en lambeaux doit être impérativement remise à plat et restructurée. C’est sinon un préalable, du moins un marchepied pour la reprise de l’économie. En effet, l’État est supposé tirer l’essentiel de ses ressources propres du système de l’impôt sur les revenus. D’indispensables réformes structurelles doivent être entreprises, et ce, dès l’arrivée en poste de la nouvelle équipe gouvernementale. Il n’est pas pensable que le pays puisse redémarrer si les fonctionnaires – y compris l’armée – ne sont pas ou trop peu payés.
Il sera indispensable de remettre de l’ordre dans cette Fonction publique, pléthorique et indisciplinée, ou règnent corruption et népotisme. Quoique la Centrafrique soit un État vaste, il n’est peuplé que de 5 millions d’habitants. À peine plus que le Liberia. Or, il faut se souvenir que la présidente libérienne, Helen Johnson-Sirleaf, élue pour la première fois en 2006 au sortir d’une terrible guerre civile, avait réussi le tour de force de limoger la totalité des fonctionnaires pour ne réengager que les gens compétents, justifiant de diplômes ou d’expérience, et motivés. C’est, en substance, l’une des solutions qui pourrait s’offrir au nouveau président centrafricain…
Éliminer les potentats locaux
Par ailleurs, il va lui falloir prendre des décisions importantes en matière de décentralisation. Les inégalités sociales et territoriales ont été l’une des principales sources du mécontentement, puis de la rébellion. L’enjeu consiste donc à prendre à bras-le-corps l’état-major du pays, à mobiliser les bonnes volontés sous le couvert d’un idéal républicain et remettre le pays en ordre de marche. Si cette manœuvre est habilement menée, alors la sécurité sera dans le même temps garantie car, de fait, disparaîtra le pouvoir des petits potentats locaux qui recrutent des milices privées pour assurer leur sécurité et se paient sur le dos des villageois, qu’ils soumettent au besoin par la terreur.
Enfin, autre dossier à traiter concomitamment : l’économie. Le pays, célèbre pour ses diamants, regorge de nombre d’autres richesses naturelles, à commencer par les forêts, les fleuves, les minerais. Elles peuvent servir à la relance et au développement des infrastructures de base, celles qui servent à désenclaver les régions reculées et à fluidifier le commerce. Pour cela, il faut offrir aux investisseurs un environnement des affaires attractif et sécurisé. D’où la nécessité de remodeler l’administration. L’entreprise est vaste, mais l’expérience du chef de l’État fera la différence.
 
                 
             
            