Bien qu’il soit loin d’être un débutant, le président Sassou Nguesso lui-même en a été surpris : à Brazzaville comme ailleurs dans le pays, le dimanche 25 octobre, jour du référendum sur la nouvelle constitution, que l’on annonçait comme la journée de tous les dangers a été… d’un calme plat. Après les violentes manifestations de la semaine précédente, qui avaient fait quatre morts et une dizaine de blessés, cette consultation populaire était appréhendée avec crainte tant par la population que par les forces de l’ordre, finalement peu sûres de n’être pas débordées. Mais toutes les opérations de vote se sont parfaitement déroulées. Rendu public au matin du 27 octobre par le gouvernement, le résultat est « oui » à la nouvelle constitution à 92,2 %, avec un taux de participation de l’ordre de 72 %. Des scores… soviétiques, stupéfiants au regard de la maigre affluence relevée dans les bureaux de vote.
Très supérieurs, en tout cas, à ce qui a pu se passer dans le pays lors de précédents scrutins, comme en 2012 par exemple, où pour les élections législatives, seuls 15 % des électeurs s’étaient déplacés au premier tour. On comprend que des leaders de l’opposition comme Clément Mierassa, du Parti social-démocrate congolais (PSDC), aient parlé de « tripatouillages ». Même sans éléments objectifs pour le prouver, cela semble évident.
En l’absence d’observateurs indépendants, les journalistes locaux ont fait office de témoins. Selon les articles parus dans la presse, dans les quartiers nord de Brazzaville, réputés proches du pouvoir, la participation, timide le matin, a finalement été correcte, avec de petites files d’attente. En revanche dans les zones sud, acquises à l’opposition, les bureaux de vote sont restés déserts. Certains ont même clos leurs portes et procédé au dépouillement avant l’heure légale de fin des opérations.
Comment expliquer cette désaffection ? D’une part, par le fait que les deux plateformes de l’opposition, unies dans un même rejet de la proposition du président de la république, Denis Sassou Nguesso, avaient appelé au boycottage des urnes. D’autre part, parce que les violences et les barrages filtrants, par exemple dans les quartiers de Bacongo et de Makélékélé, avaient fait fuir une grande partie des habitants et la plupart n’étaient pas rentrés chez eux dimanche.
Comme souvent, un certain nombre de citoyens n’avaient pas reçu leur carte d’électeur, ce qui n’est nullement étonnant vu que ce référendum avait été décidé à la va-vite. Enfin, le ministre de l’Intérieur et de la décentralisation, Zéphirin Mboulou, a reconnu que dans cinq des sous-préfectures situées dans le sud du pays, le vote n’avait pas pu avoir lieu, pour « diverses raisons ». Un flou bien opportun…
Quoi qu’il en soit, le résultat de ce scrutin controversé est logique : ceux qui ont voté sont en faveur du nouveau texte soumis à leur approbation. La politique de la chaise vide pratiquée par l’opposition a été, une fois encore, contre-productive, donnant ainsi une voie royale à Denis Sassou Nguesso non seulement pour modeler le pouvoir à sa guise, mais pour s’y maintenir pendant encore quinze ans.
Car l’opposition est battue à plate couture. Le Congo est désormais doté d’une nouvelle constitution, identique presque en tous points à celle de 2002 sauf pour deux éléments fondamentaux, uniques objets de toute l’opération car ils n’étaient précédemment pas réformables : l’article 65 stipule désormais que le président est élu pour un mandat de cinq ans, renouvelable deux fois et l’article 66 ne fixe plus aucune limite d’âge pour se présenter à l’élection, hormis un plancher établi à 30 ans révolus. Nouvelle république signifiant remise à zéro du « compteur de mandats » pour le président sortant, Sassou Nguesso peut donc à nouveau briguer, en 2016, la magistrature suprême. Il sera alors âgé de 73 ans et pourra, sauf accident de l’histoire, rester en poste jusqu’en 2031, date anniversaire de ses 88 ans. Là non plus, ce ne sera même pas une « première » en Afrique : le chef de l’État zimbabwéen, Robert Mugabe, réélu en 2013 à l’âge de 89 ans, poursuit actuellement, un peu à la va-comme-je-te-pousse mais toujours avec autorité, son sixième mandat…
L’opposition n’a joué que d’un effet de manche et, il faut l’admettre, s’est révélée trop timorée pour affronter le pouvoir. Au fil des jours, ses mots d’ordre n’ont été que pour annuler les marches prévues, inciter les jeunes à rester chez eux, calmer toute velléité de dire « non » au référendum. Seules quelques voix de la diaspora, à peine audibles et de toute façon bien protégées par les kilomètres les séparant du terrain, ont appelé mais en vain à la mobilisation et à la lutte contre la confiscation de la démocratie.
Aujourd’hui, une partie de la société civile, surtout parmi les plus jeunes, crie au complot. L’opposition est accusée de couardise et de connivence secrète avec le pouvoir. Des rumeurs circulent : l’un de ses ténors aurait vendu un bien immobilier pour plusieurs millions de francs CFA à un membre de l’entourage du président et, du coup, aurait invité ses militants à lever le pied pendant les manifestations du 20 octobre dernier. D’importantes sommes d’argent auraient circulé en direction des leaders des plateformes Frocad (Front républicain pour le respect de l’ordre constitutionnel et l’alternance démocratique) et IDC (Initiative pour la démocratie au Congo), avec pour conséquence l’annulation de la seconde opération de « désobéissance civile pacifique » prévue pour le 23 octobre, soit deux jours avant la date du référendum. Aucune autre « action » n’a été entreprise, malgré quelques fumeuses promesses et faute de temps.
Par ailleurs, la réaction française avait été ambigüe : le président François Hollande a d’abord réaffirmé l’indépendance du Congo – sous-entendu : la « Françafrique » a disparu et l’ancien colonisateur ne se mêle plus des soubresauts politiques de son ancien pré carré – et, partant, le pays avait donc le droit absolu à procéder à ce référendum, au nom de la démocratie. Quelques jours plus tard, le chef de l’État français faisait volte-face en rappelant son propre discours prononcé en novembre 2014, à l’ouverture du sommet de la Francophonie à Dakar, dans lequel il fustigeait les « modifications opportunistes de constitutions ». Il n’en demeure pas moins que le principe de réalité a dominé : Denis Sassou Nguesso et son Congo pétrolifère sont des alliés objectifs de la France.
La communauté internationale a donc tourné la page de la Constitution du 20 janvier 2002, tout en recommandant aux Congolais de veiller désormais à tenir des élections libres et transparentes. Mais qui s’en soucie ? La Chine et la Russie ont salué les résultats du référendum. La France est désormais davantage préoccupée par les attentats tragiques survenus à Paris le 13 novembre, et les Américains, même s’ils souhaitent toujours rester en lien avec le Congo, respectent avant tout le fait qu’il s’agit du champ d’action privilégié de la France. Que reste-t-il aux jeunes qui s’étaient mobilisés pour tenter de prendre en main le destin du pays et le leur par la même occasion ? Rien qu’une amère déception.