La pandémie de SARS-CoV-2 et le monde de la recherche : le bon, la brute et le truand
2020 sera l’année de cette pandémie provoquée par le virus SARS-CoV-2 et de sa maladie associée (la COVID-19), dont les relations ne sont toujours pas très claires. Mais elle sera aussi l’année, pour les amateurs des western spaghettis, de la mort d’Ennio Morricone. J’ai donc organisé mes propos autour du titre d’un de ces fameux films dont il a composé la musique : le bon, la brute et le truand (Il buono, il brutto, il cattivo). Et comme certains gouvernants ont osé assimiler les actions à entreprendre pour lutter contre la pandémie à une guerre, quoi de plus logique que d’évoquer mes réflexions avec un film tourné dans le contexte de la guerre de sécession.
En ce qui concerne le bon, je dois dire que j’ai été relativement surpris par la capacité des organismes de financement de la recherche à réagir pour donner des moyens aux chercheurs, en constante chasse pour travailler, dans un contexte toujours aussi ridiculement concurrentiel. Évidemment, la bureaucratie française a quand même mis quelques mois pour réagir et ouvrir quelques appels, il ne faut pas rêver! Étant en lien direct avec le Canada, j’ai immédiatement réussi avec des collègues à répondre à leur premier appel à projets d’envergure très tôt lancé, dès le mois de février 2020. Je savais en outre que la compétition serait un peu moins rude car peu d’équipes réagissent si vite, ce qui a été confirmé lors du second appel canadien de mai 2020 où le taux de succès a été bien plus réduit. Puis, lorsque l’appel français s’est ouvert, nous avons pu mobiliser de nouveau une équipe interdisciplinaire pour proposer un projet complémentaire dans plusieurs pays de quatre continents sur la résilience des hôpitaux face à la pandémie. Le bon a été notre capacité de réaction, notre résilience, la volonté de collègues issus de traditions disciplinaires très différentes et de pays très variés de vouloir s’embarquer. Cela m’a permis de confirmer l’intérêt d’une telle approche ainsi que celui de travailler avec des personnes ouvertes au débat d’idées et à l’interdisciplinarité, ce qui n’est pas fréquent dans notre monde où la modestie et l’humilité ne sont pas toujours la norme, certains évoquent même le narcissisme scientifique. En outre, cela va nous permettre de continuer notre réflexion sur l’usage (et les dérives) du concept de résilience que nous abordons dans deux autres programmes de recherche (ClimHB, UNISAHEL). Enfin, au Sénégal, le bon a été la réactivité du gouvernement à se préparer à l’arrivée de la pandémie et à l’organisation de mesures importantes dont nous avons analysé l’acceptabilitédans le contexte d’un autre nouveau programme de recherches coordonné par l’IRD (ARIACOV). Le Sénégal vient même d’être classé le second meilleur pays au monde dans son intervention contre la pandémie par un journal étatsunien, USA Today (via le COVID-19 Global Response Index)… dont la méthode reste à débattre… comme l’avait été le classement de la France en 2000 comme disposant du système de santé le plus performant du monde… trois ans avant la canicule et ses 15.000 décès supplémentaires !
La brute a été de découvrir qu'on a tenté de m’influencer pour que je ne propose pas de projet à l’appel ANR FLASH COVID. Je n’avais jamais vu cela dans ma carrière même si je croyais avoir tout vu dans les dérives de ce processus de compétition à outrance que l’on nous impose. J’ai aussi été surpris de voir comment le comité scientifique COVID-19 en France n’avait fait que reproduire cette vision dépassée que la santé n’est qu’une affaire d’épidémiologie et d’infectiologie/virologie. La santé publique a été absente et les sciences sociales accessoires, Anne-Marie Moulin se demandait dans une entrevue donnée à AOC en quoi les personnes sélectionnées pour les sciences sociales représentaient-elles l’expertise du champ. Évidemment, les experts en santé publique et les représentants de la société civile ont aussi été oubliés. Il a fallu plusieurs mois avant que ces « sages », qui pourtant avaient compris l’importance de ces approches dans la lutte contre le VIH, ne pensent ou ne demandent l’intégration de ces voix indispensables, ce que le gouvernement a finalement refusé ! La permanence de cette vision dépassée de la recherche en santé, centrée sur l’approche biomédicale a été confirmée dans le processus de sélection des projets de l’appel spécifique ANRS COVID Sud où les sciences sociales et la santé publique étaient quasiment absentes du comité de sélection final. L’annonce de la fusion de cette agence avec REACTING, le réseau des maladies infectieuses piloté par l’INSERM, n’est pas de bon augure pour la promotion d’une approche globale de la santé et non centrée sur des maladies et le biomédical. La brute est aussi cette recherche de données primaires pour que des experts en méthodes moulinent leurs modèles loin de la réalité. Plusieurs personnes, que je ne connaissais pas, m’ont contacté pour avoir des données, pensant que j’étais proche des acteurs du système sénégalais pour les obtenir alors qu’elles sont bien gardées ! Je n’ai jamais revu ces personnes. A Dakar, surpris aussi par l’absence de la diplomatie française concernant la pandémie et les questions de santé mondiale sur la scène nationale; surpris de l’absence de son ambassadrice à l’échelle internationale, et du conseiller régional santé accaparée par la gestion du rapatriement… des Français !
Enfin, le truand de cette pandémie reste le populisme scientifique. Quelle tristesse ces débats hallucinants à Dakar ou Paris sur un traitement miracle (l’hydroxychloroquine) que j’ai vu dans un petit sachet dans les mains d’un malade avec qui je parlais dans la zone rouge d’un hôpital à Bamako. Impossible d’avoir une discussion sereine avec les soignants et les amis sur ce traitement. En outre, tout cela a été brouillé par l’absence de recul et d’expertise dans les débats, tout le monde souhaitant parler de tout et tous les médias donnant la parole à tous (le narcissisme évoqué plus haut?). Ces derniers ont eu du mal à comprendre la différence entre un scientifique et un médecin, comme le prouve le dernier « sondage » de journalistes du Monde peu outillés sur ces questions semble-t-il. Le vœu de silence demandé par Guillaume Lachenal dans Libération au début de la pandémie est resté dans les cellules de l'abbaye de la pierre-qui-vire, y compris par moi. Je n’ai pas résisté à prendre la parole sur Mediapart dans cette cacophonie internationale, notamment pour évoquer la vision réductrice et dépassée de la santé publique francophone ! Évidemment, les plus grands truands scientifiques restent ces revues prédatrices qui ont largement profité de la crise pour proliférer et ces apprentis qui ont osé (ou ont été abusés) écrire dans ces revues ou publier n’importe quoi (suivre l’actualité via cet excellent blog de Hervé Maisonneuve). Dans notre revue systématique actuelle des publications sur la résilience des hôpitaux, on est estomaqué de la prolifération des articles mais aussi de la médiocrité de nombres d’entre eux.
Le monde de la recherche va-t-il apprendre de cette crise ? A quand un processus réflexif ouvert, transparent et respectueux des diversités ? Une mémoire sans conflit d’intérêt ?
PS : texte adapté (merci aux deux collègues pour leur relecture d'une version précédente) d’un commentaire écrit pour le CEPED Actu