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Billet de blog 9 juin 2023

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Défaite. Un « thread »

Greg Yudin, professeur à École des sciences sociales et économiques de Moscou (Shaninka) et directeur du département de philosophie politique, se demande si le bruit qui commence à courir en Russie d’une possible défaite est le signe d'un tournant dans la guerre en Ukraine.

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Défaite. Un « thread ». 1/23

Un signe important est, selon moi, le bruit qui commence à courir en Russie d’une possible défaite. Je dois dire qu’on l’entend maintenant de plus en plus souvent, ce qui constitue un changement radical par rapport aux premiers mois de la guerre. 2/23

Pendant un bon moment, personne ne prononçait le mot de « défaite », même parmi ceux qui considéraient l'invasion comme un choix insensé. La situation a changé. 3/23

Si une majorité de Russes demeurent indifférents, ou préfèrent éviter d’y penser, ceux qui osent en parler se rallient de plus en plus à l’idée selon laquelle la guerre se terminera probablement par la défaite de la Russie. 4/23

C’est peut-être particulièrement vrai de certains Russes qui, pour une raison ou une autre, tendent à soutenir Vladimir Poutine dans cette guerre – notamment parce qu'ils ne voient pas la différence entre les intérêts de Poutine et ceux de la Russie. Cette attitude s’observe chez des personnes issues de milieux professionnels divers et de classes sociales relativement élevées. 5/23

Cette même attitude se retrouve chez certains dirigeants politiques. Evgueni Prigojine et Ramzan Kadyrov jouent chacun leur partition, mais, entre les lignes, transparait une inquiétude commune : l’un met en garde contre la catastrophe imminente, l’autre parle d’une situation « très difficile ». 6/23

La lutte politique que se livrent les seigneurs de guerre féodaux fait qu’il est difficile de concevoir que cette armée puisse remporter la moindre victoire. Dans leur langage perce la crainte de la défaite. Voici ce que j’entends souvent dire : « Je ne vois pas comment cela pourrait se terminer par une victoire ». 7/23

La récente confession d'Andrey Kovalev, un des principaux promoteurs immobiliers du pays, est également révélatrice. Poutine a farci la tête des riches avec des histoires à dormir debout sur la manière dont il finira par l’emporter. Aujourd’hui, ils semblent perdre confiance. 8/19

Sans être un expert militaire, je suis au fait de l’état moral des troupes : il est au plus bas. Deux motifs pour partir à la guerre demeurent : 1. une rare occasion de gagner un peu d’argent et 2. la soumission. 9/23

Je ne serais pas surpris que l'armée russe, après avoir subi quelques revers supplémentaires, finisse par s'effondrer totalement. Je n'ai aucune idée de la probabilité d’une telle éventualité – la question des capacités offensives de l’Ukraine reste ouverte – mais je considère qu'il s'agit d'une possibilité réelle. 10/23

Les médias contrôlés par l'état préparent le public à des revers éventuels. 11/19

La capacité de Poutine à enrôler davantage de soldats continue à être importante, mais elle est limitée. Mais surtout, elle est affectée par la situation sur le champ de bataille. Personne ne veut faire partie d'une armée en perdition. 12/23

Il ne s'agit là, bien entendu, que de signes avant-coureurs. Poutine n'aura de cesse de tenter d’étouffer les braises de la désobéissance. Pour se traduire en actes, cette attitude – qui consiste à reconnaître la possibilité de la défaite – doit s'appuyer sur une certaine vision de l'avenir. 13/23

Ceci pose une question difficile : à quoi pourrait ressembler la défaite ? 14/23

Poutine a martelé l'idée selon laquelle une défaite signifierait l'invasion de la Russie, le démantèlement du pays, le viol des femmes russes, le massacre et la crucifixion des enfants, et la domination du pays par des forces étrangères. Kovalev, lui-même, souligne que la défaite serait une catastrophe. 15/23

Beaucoup de Russes sont persuadés que leur pays est mortellement menacé par les forces de l'OTAN. Des personnes, qui en d’autres circonstances savent pourtant garder la tête froide, m’expliquent que tout cela est extrêmement grave mais qu’on ne peut rien y faire : « Si nous ne prenons pas Kiev, c’est eux qui prendront Moscou ». 16/23

La discussion sur la défaite commence à s’engager en Russie. Or, il est essentiel de dissocier l'idée de la défaite de la peur de la catastrophe. Qui sera vaincu ? il s’agit là une autre question. 17/23

S'il ne fait aucun doute que le peuple russe devra assumer une part importante dans la responsabilité de cet agression brutale contre l'Ukraine, il est cependant important de distinguer des responsabilités diverses. La faillite des plans atroces de Poutine n’est pas la défaite de la Russie. 18/23

La Russie avait perdu le jour même où cette guerre fut déclarée. Le pays a déjà subi des dommages considérables. Mettre fin à cette guerre en reconnaissant les frontières internationalement reconnues des pays engagés ne serait pas une défaite pour la Russie, mais le début d'une renaissance. 19/23

Ce n'est pas un hasard si RT tente de nous faire croire que « nous irons tous à La Haye si nous perdons ». 20/23

Mais c'est un mensonge qui n’a pas lieu d’être. C’est eux qui perdront et c’est eux qui iront en enfer, et ils le savent bien. Quant à nous, nous avions perdu lorsque cette guerre a éclaté. Il nous faudra alors reconstruire le pays et rétablir les relations avec nos voisins. 21/23

Cette attitude qui se fait jour offre des opportunités nouvelles. Plutôt que se demander de quelle partie du territoire de l’Ukraine Poutine voudra bien se satisfaire – ma réponse est toujours Dresde –, il est grand temps de faire l’analyse du rapport coûts/bénéfices de la défaite et du départ du Poutine. 22/23

Il s’agit d’une conversation qui doit avoir lieu à la fois entre les Russes et à l’international. Il ne fait aucun doute que Poutine fera tout ce qui est en son pouvoir pour que cette conversation n’ait pas lieu. Mais plus vite une solution émergera, plus vite cette guerre se terminera. 23/23

***

Traduction de l'anglais d'une série de tweets rédigés par Greg Yudin, professeur à École des sciences sociales et économiques de Moscou (Shaninka) et directeur du département de philosophie politique. Les tweets originaux ont été publiés le 9 mai 2023 et sont disponibles, sous la forme d'un « thread », au lien suivant : https://threadreaderapp.com/thread/1656074583559262208.html.

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