
Foutu réveil matin. Vite se lever, ce matin pas question que j’me rate, z'y va que je m’arrache. Allez bouze de là ! Va bien falloir que j’me Grimm avant de filer chez ma vieille pochtronne de Mère Grand à l’autre du bois des râbles. J’vous jure, avec elle c’est rien d’un conte de faits ! Sûre qu’entre deux rototos de Castelpif elle va encore me faire la retape à propos de mon look soit disant déjanté.
« Et ton pantalon tout troué. Et tes baskets encore crottés. Et ta veste aux largesses exagérées. Et tes cheveux Perrault- xydés. Et tes ongles peinturlurés. Et ta gouille de charretier. Et patati. Et patata… »
Encore et toujours la même sornette, c’est elle qui picole et c’est moi qu’elle saoule. Un comble. Enfin, me voilà prête, surtout rien oublier sinon la vielle bourrique va éructer tout son fiel. P…. avec toutes ces boutanches de gros rouge qui tâche, mon Eastpack, certaine qui va s'exploser. J’vous jure, pas idée. Allez ma vielle parka rapiécée, ouais mémé je sais… et zou vogue la galère.
Le temps est au gris. La forêt drapée dans sa corpulente couverture de brumes hibernales. Pas âme qui vive aux alentours, à peine le silence étouffé des pas sur le tapis de feuilles mortes pour la bonne cause. Purée de pois ! Loup y es- tu ? M’entends- tu ? Que fais- tu ? Quelle histoire à dormir debout. On m'y reprendra pas de Cîteaux.
Entre les rares trouées de lueurs effarouchées une ombre furtive se glisse à l'arrière des doubles-rideaux. Sans grand ménagement elle se prend les pinceaux dans une longue racine pour venir s’espatarer de tout son long au pied de mes Nike ta mer. Bras ballants, malingre silhouette qui me fixe de ses grands yeux de bichette tout estourbis. Bredouillant quelques grommellements feutrés, celui qui se prend pour le loup me propose de faire un bout de chemin ensemble.
Qu’est ce qui veut ? Qu’est ce qu’il a ? Qui c’est celui là ? T’as vu ta tronche, oh mon gars. Manque plus qu’il me colle aux basques. Pot de colle le zigue. Eh, toi, tare ta gueule à la récré !!!!
- Ze suis le loup. Le grand messant loup…
- Morte de rire.
- Ze suis le loup. Ouh ! Ouh!
- Et moi Alice au pays des vermeils.
- Tu devrais avoir peur de moi. Tout de même, ze te dis que ze suis le grand messant loup. Ouh, ouh !!!
- Et moi le rééénard et toi le réééloup. Dis donc mon gars, t’as trop maté les chevaliers du Fiel. Trop drôôôôle.
- Même que ze manze les petits chaperons rouzes ! Slurp!
- Ben dis donc, tu dois être au régime depuis des lustres. Pain sec et à l’eau. Allô quoi ! Non mais arrête un peu de zozoter, c’est d’un ridicule.
- Personne me croit zamais, moi Canis lupus lupus, descendant de Canis lupus arctos, croisé par hasard avec Canis lupus dingo.
- Dingo, ça c'est sûr. Dans ta géniale logis t’as du louper un truc mon gars.
Chemin faisant, à l’orée du petit bois des songes où dormaille la Belle de Cadix à l'essieu de velours, la petite chaumière engoncée dans l'abondante frondaison. Toc toc toc.
- Tire la chevillette, la bobinette cherra.
- Mémé, arrête un peu tes délires. Kling kling kling. Tiens voilà tes boutanches, tu vas pouvoir te pochtroner grave !
- Oh, la ch’tiote, un peu de respect tout d'même. File moi donc une rasade, voilà des lustres que les mouettes ont les pieds au sec !
- Mémé, t’exagères. Regarde-moi tous ces cadavres. À la consigne ça vaut une fortune!
- Eh mais c’est le loup ! Ouhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh! Il y a siiiiiiiiii longtemps, que j’ai pas vu le loup !
- Vas-y mémé, refait le coup du loup.
- Ouhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh!
Canis Lupus à la fourrure peladeuse se met à frétiller la danse de saint Guy. Illico presto Mère Grand lui emboîte le pas, tels deux larrons en foire. Jamais vu la vioque avec le pied si leste. À guincher de la sorte on dirait qu’elle a retrouvé une seconde jeunesse.
- Oh mon loup, mon grand loup!
- Eh mémé, redescend de ton nuage, ce pôvre bougre qui m’a suivi jusqu’ici n’a rien du terrible carnassier au pelage luisant, à la queue touffue, aux crocs acérés, au museau effilé, aux grands yeux jaunes…
- Fillette, hip’s, j’suis pas si Blanche que Neige. K’es tu crois ! Le loup ? Quoi le loup, y’a bien longtemps que je l’ai vu. Même qu’ensemble on a dansé le branle du loup. Pas à moi le coup de la petite vierge effarouchée.
Peut-être bien que si elle lui roule une galoche, l’affreux jojo va se transformer en prince charmant. Après tout pourquoi pas ! Vu l’ambiance je préfère prendre la poudre d’escampette. Allez zou j’me tire de là. Bonne bourre !