Entre campagne et faubourg où perdure cette ambiance d’un ton si particulier, l’époque semblait être suspendue à l’atmosphère des lustres d’antan. Comme si à contre courant de la frénésie urbaine, le temps avait osé prendre le temps. Ici, à la grâce de la brume dissoute.
Calée sur la demie, la grande aiguille de l’horloge flanquée sur le fronton de l’édifice pointait à l’extrémité Sud. À cet instant précis le bourdon des cloches sonnait le rappel des pèlerins éparpillés sur le parvis, en proie aux aléas du vent glacial venu rajouter son grain de sel aux doléances du ciel.
Au seuil de la bâtisse bruissaient les premières notes de l’hymne à l’amour, délicate mélodie vibrant sous l’archet du violoncelle. Entre élégance et vive émotion, fragments d’adagio dispersés dans la splendeur lyrique. Jour ultime. Autant de vies à traverser l’Éternité. Immuable chemin de croix. Indéniable cours de foi. Sur ce versant en marge de nous mêmes.
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Au cœur de la nef la lumière qui filtrait au travers des vitraux s’incarnait divine révélation. Sensation d’intense clarté. Indéchiffrable vague vivante à la verticale du dôme central. Combien avant nous sont passés par ici ? Et combien d’autres passeront encore par là ? Dernier sacrement. Ultime renoncement. Perpétuel recommencement. Évidence même.
Échappé d’entre louanges et cantiques, à la dérobée ce chapelet de mots s’entrechoquant les uns contre les autres, rebondissant en écho le long du grand mur circulaire de galets et de brique. Chacun étayant une ébauche de sens à la supplique du Père sanctifié. Cieux…Volonté…Pardon…Offenses… Mal…Tentation. Entre les silences égratignés la vie retenait son souffle jusqu’à l’infini des espérances. Ferveur liturgique.
Absorbées par les psaumes de bénédiction, les petites flammes, réceptacles de vie, brillaient d’une légèreté inconnue jusque là. Instant après instant, détaillant ces infimes grains de sable venus parachever le roman de cette savante alchimie qu’est l’amour, baigné de jours de clarté dont l’énumération pourrait se prolonger jusqu’à l’infini.
D’abord éclats de voix exaltés, porté aux nues par cette litanie de stentor, l’Ave Maria aux retentissements d’insolubles apories, qui pour soulager les peines, volontiers se pare d’ordre divin. Et puis la lézarde se fissure, au travers des arpèges du piano trois strophes qui reprennent chacune la même mélodie, on croirait entendre au lointain l’appel des âmes sans ombre. La main sur le cœur chacun s’incline face à l’adversité, là où n’est faite aucune concession. Il y aurait-il un peu de ciel juste après l’enfer ?
Tout à coup cette étrange sensation de se sentir vivant, diablement vivant. Pour combien de temps encore ? Qu'est ce qui nous fait avancer coûte que coûte ? Se souvenir, de chaque instant pour que se perpétue l’immuable cycle de la vie renouvelée, recommencée, ressuscitée d’entre les flots. Jusqu’à la prochaine vague, seul face à l‘océan.
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