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Les mots ont ils le pouvoir d’altérer le cours de l’histoire? Profondément persécutée lors la croisade des Albigeois, Albi classée « La cité épiscopale » au Patrimoine Mondial de l’UNESCO en 2010, atteste cette farouche volonté de l’Église à neutraliser l’influence cathare, comme en témoigne la cathédrale Sainte-Cécile, imposante forteresse de brique rouge, symbole du pouvoir ecclésiastique. Sous le joug dominant de l'orthodoxie religieuse, des siècles de calamités et d’opprobre pour étayer la version de leurs faits. L’Enfer du décor.
Dernière facétie en date la candidature officielle au patrimoine mondial de l’Unesco des « Citadelles du vertige », qui avec ferveur et ténacité dominent le massif des Corbières et les contreforts des Pyrénées, dont l’appellation « Châteaux cathares » semble remise en cause par certains érudits sous couvert d’altération historique. Comme un déni d’initiés
Face à la controverse qui enfle à vue d’œil cet abandon est fortement contesté. À croire qu’en coulisses se perpétue un nouvel épisode de mystification à l’encontre de ce bout de terre d’Occitanie nommé Pays Cathare. Les rebaptiser sous la nouvelle bannière à fleur de lys « Forteresses royales du Languedoc» ne fait que raviver les plaies béantes d’un demi-siècle de tourments jusqu’au tragique épilogue de Montségur où périrent les deux cent derniers Cathares. Refusant d’abjurer leur foi ils seront brûlés vifs. Les Crematz — martyrs entrés dans l’Histoire — ultimes témoins du déclin d’une civilisation sacrifiée sur l’autel divin dont les résurgences vont forger le caractère et l’identité de tout un peuple qui jamais ne baissera la tête.
Comment d’un simple trait de plume éradiquer les croisades menées de main de fer par le royaume de France sous la bénédiction papale du Vatican? Croisades contre les albigeois dont les faits et gestes sont relatés dans la Canso — poème épique aux versets exaltés par l’hubris des champs de bataille. Il était une foi, celles de ces bonhommes et de ces bonnes femmes, guère enclins aux préceptes du pape et de ses évêques. Parfaits, pauvres gens ou chevaliers faydits dépossédés de leurs châteaux et de leurs fiefs, tous étaient hérétiques, épuisés par les folles saignées des croisades. Période sombre qui a laissé une empreinte indélébile à travers les esprits et les campagnes.
À l’apogée d’inexpugnables éperons rocheux, depuis des siècles leurs fantomatiques silhouettes dardent le ciel au mitan de l’éternité. Vertige des hauteurs rudoyées par l’insolence de l’Autan et du Cers poudrés de frimas et autres consorts. Longtemps rompues à l’abandon mais jamais reléguées dans les griffes de l’oubli les ruines de ces forteresses du passé témoignent du martyr de ces lieux où malgré tout souffle cette âme cathare vouée à l’espérance de liberté.
Terre d’insurrection, terre de résistance, terre de sacrifices, fief des trobairitz —troubadours, poètes du fin’amor, l’amour courtois. Au fil des cours des châtelains ils ont essaimé avec splendeur Paratge — noblesse d’âme — ainsi que Convivencia – « L’art de vivre ensemble dans le respect mutuel de l’altérité » selon Alem Surre Garcia, auteur et historien toulousain. Valeurs suprêmes revendiquées par le peuple d’Oc.
Abritée à l’arrière de la mélancolie des ruines, la mémoire enfouie, que ni les failles des temps ni la folie des hommes ne sauraient effacer. Condamnés comme hérétiques les cathares deviendront l’objet d’une persécution frénétique jusqu’à leur complète éradication. Sous le joug de l’envahisseur brandissant l’étendard de l’hérésie —fallacieux prétexte à la domination puis à l’annexion du comté de Toulouse au domaine royal — relayée par l'Inquisition pour réduire en cendres les herbes rebelles.
L’anéantissement de tout un peuple, de sa civilisation, de son art de vivre. Génocide en pointillés. Ainsi sonnât le glas de l’indépendance occitane. Presque une banalité de le ressasser : sept siècles d'histoire commune n'ont jamais tout à fait effacé l'ancienne frontière entre la France du nord et celle du midi, celle de langue d'oïl et celle de langue d'oc.
Pour que la tragédie cathare ne soit pas balayée d’un simple revers de la main. Pour qu’à jamais se perpétue le besogneux labeur de Michel Roquebert, Jean Duvernoy, Robert Nelli, Simone Weil, Jean Ballard, Déodat Roche, Joë Bousquet, Yves Rouquette, Yves Maris, Henri Gougaud, Anne Brenon, Pilar Jiménez et tant d’autres défenseurs de prestige. Pour qu’au pays de la chocolatine l’accent du Midi chante à tue-tête les louanges du ciel. Pour que d’entre les ombres sournoises jaillisse l’étincelle du renouveau. Pour que parole de vérité s’élève de la voix des ténèbres. Pour que le vertige des citadelles ne trouble pas la vision de ceux qui prétendent réécrire notre histoire. Pour qu’enfin prenne sens la prophétie de Guilhem Bélibaste — dernier des Parfaits immolé au bûcher — gravée sur la stèle, place du Plô à Lavaur.
« Al cap dels sèt cent ans, verdejera lo laurel »
Au cap des 700 ans, le laurier reverdira.
Où finit l’histoire, où commence la légende. Qu’ils soient authentifiés ou pas, les châteaux cathares perpétués en citadelles du vertige professent l’épopée cathare dont il nous reste la mémoire, les récits, les légendes et l’inspiration spirituelle. Inestimable héritage dont nul ne saurait nous dépouiller.