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Je ne suis qu'un rêveur...

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Billet de blog 8 avril 2024

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PASSAGÈRE CÉCITÉ

« Cécité: point de vue » Michel Laclos

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Dans le noir le plus absolu. Parfait oxymore dont la proposition me laisse un temps soit peu dubitatif. Quant au prix affiché : 84 €! Quand même, ça pique les yeux, pour une première approche à l'aveugle ce n’est pas rien. J’avoue que l’idée ne m’emballe guère. Et puis une sortie nocturne en plein cœur de la cohue Toulousaine à partager la table d’illustres inconnus, de quoi bousculer au plus haut point mes habitudes devenues casanières. Quelle galère !

Ma chère et tendre dulcinée ayant décidé du choix de ce lieu insolite pour fêter dignement nos noces de porcelaine, je ne peux que m’incliner et satisfaire au mieux ses moindres désirs. Même si sortir de sa zone de confort n’est pas une mince affaire. Advienne que pourra !                        

Selon quelques infos glanées ça et là avant de diner, j’ai pu apprendre que lorsque l’on perd l’un de ses cinq sens, les autres compensent largement le déficit sensoriel. Comble de malchance ce soit me voilà enrubé par quelque affect saisonnier, et qui plus est non voyant par-dessus le marché. Cerise sur le gâteau.

À ma gauche, un homme à la voix grave et tonitruante, qui braille son enchantement jusque dans le creux de mes oreilles. Sans doute pense t-il que je suis un peu dur de la feuille. Manquerait plus qu’après ça je devienne sourd comme un pot. Je sens le souffle chaud et humide de sa respiration jusque dans mon cou ainsi que son haleine fétide chargée de vapeurs éthyliques. Sans gêne et sans grand embarras, un mufle de circonstance. En voilà un qui va me gâcher la soirée, il aura fallu que ça tombe sur moi, ça promet.

Toutes papilles déployées, j’essaye de me concentrer du mieux que je peux sur la texture, le goût et les saveurs des aliments proposés, mais malgré toute mon attention je perds le fil de cet exercice culinaire qui ne fait qu’exacerber mon désagrément. Et revoilà l’aboyeur d’à côté qui revient à la charge. Face à cet océan de noirceur, je m’égare dans les arcanes de ce labyrinthe qui me renvoie au pire de mes terreurs nocturnes tapies dans les recoins de mon enfance. Les mains moites, la gorge nouée, saisi par une irrépressible tentative de fuite.

Histoire de vaincre cet écueil temporaire, à tâtons je cherche un verre de vin que j’avale d’une seule lampée sans le faire rouler sous la langue, ni même l’aérer en bouche. Aucune saveur olfactive, aucune trace de quelconque cépage de cet assemblage pour le moins mystérieux. Déception à la clé. Aurais-je perdu aussi le goût ? Cela commence à bien faire ! Et pour couronner le tout, voici que mon hurluberlu de voisin braille à tue-tête de sa gouaille de gai luron, tout en me balançant de grands coups de coude dans les omoplates. Cette fois ci c’en est trop, je me lève en frappant violemment du poing sur la table. Expression en braille ! S’en suit un long silence de cathédrale. Effet bœuf.

Faudrait voir à rallumer la lumière dans ce foutu restaurant !

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