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Si le cœur vous en dit, laissez-vous donc conter un brin d’histoire en poussant les portes des temps anciens. Celle qui, dans le fil rouge de ses entrailles, vante les louanges de ces discrètes citées séculaires, figées dans l’apanage des siècles. Sur la pointe des pierres, dans les pas de ceux qui un jour ou l’autre s’y sont frayés chemin entre deux bouffées de vent.
Au VII° siècle avant notre ère évangélique, jouxtant la cité grecque d’Agde, un important oppidum fortifié fut découvert, très certainement celui des premiers fondements de la ville antique de Piscenae, traversée de part en part par la petite rivière La Peyre aux vertus blanchissantes selon certaines légendes encore bien ancrées dans l’inconscient collectif.
Du V° siècle jusqu’au IX° siècle, la Septimanie, ancien patronyme de la province du Languedoc, se trouve plongée dans une longue période de troubles, propice à bien des flots d’agitations. Au cœur de cette éclipse des temps inféodés, Pézenas, soumise à l’effacement et à l’oubli, disparait des tablettes de l’histoire. Un temps d’abandon absorbé dans le désordre des songes. Mystère d’évènements passés sous silence.
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Au VII° siècle avant notre ère évangélique, jouxtant la cité grecque d’Agde, un important oppidum fortifié fut découvert, très certainement celui des premiers fondements de la ville antique de Piscenae, traversée de part en part par la petite rivière La Peyre aux vertus blanchissantes selon certaines légendes encore bien ancrées dans l’inconscient collectif.
Du V° siècle jusqu’au IX° siècle, la Septimanie, ancien patronyme de la province du Languedoc, se trouve plongée dans une longue période de troubles, propice à bien des flots d’agitations. Au cœur de cette éclipse des temps inféodés, Pézenas, soumise à l’effacement et à l’oubli, disparait des tablettes de l’histoire. Un temps d’abandon absorbé dans le désordre des songes. Mystère d’évènements passés sous silence.
Ce n’est qu’au X° siècle que son nom réapparaît à la candeur des jours sous la grâce de Guillaume, vicomte de Béziers qui, en 990, fit don de la villa à sa fille Garsinde. Au fil des épopées, l’habitat dispersé à travers les alentours, finit par se regrouper autour du château seigneurial. Ceinturant la ville, les premiers murs d’enceinte s’érigent en forteresse à l’assaut des cieux constellés de soies d’azur. C’est alors qu’émerge le castrum de Pézenas, ressuscité des mornes profondeurs. Dans l’opéra des bouffes tout défi n’est plus qu’offrande.
Engoncée dans les méandres de l’hérésie cathare, prise en étau dans les griffes lapidaires de la croisade contre les Albigeois, la ville passe entre les mains de Simon de Montfort, obscur baron d’île de France, à la fois bourreau et martyr. Pézenas devient alors la première ville du Midi à être rattachée à la couronne. Aléa jacta est…
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Par la suite, les foires vont fortement contribuer à l’épanouissement de sa richesse. Les drapiers languedociens viennent y côtoyer d’autres marchands venus des contrées avoisinantes. Pisans, Génois, Majorquins et Catalans participent à la renommée de ces étals de commerce au faîte de leur apogée. Au début du XVI° siècle grâce à l’action de la famille des Montmorency, Pézenas se transforme en petite capitale provinciale de la province du Languedoc.
Faste période de prospérité où la ville médiévale se relie aux nouveaux quartiers. Pierres, briques, tuiles, ardoises, boiseries, ferronneries racontent l’empilement des âges à la mesure de certains imaginaires enfouis à l’abri des murailles, qui ont fleuri ici et là jusqu’à conserver intact ce patrimoine, précieux héritage à l’abri des clameurs de haro.
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Selon les dires semés à tous vents et autres qu'en-dira-t-on soufflés dans l’interstice des murs d’enceinte, c’est par ici que tout a commencé. Histoire passionnée d’une rencontre impromptue entre un bourgeois gentilhomme et un jeune saltimbanque encore méconnu, bien trop impatient de brûler les planches.
N’ayant point rencontré le succès escompté avec sa première troupe l’illustre théâtre, en compagnie d’une dizaine de compères tous férus de spectacle vivant, à Pâques 1646 le jeune Jean Baptiste Poquelin quitte la capitale ornementée de ses palais cousus d’or et autres fioritures d'agréments. Empruntant la route des chemins buissonniers à travers les petites villes de province, les voilà qui déambulent ça et là au gré des représentations improvisées.
De 1645 à 1658, un long périple de treize ans dont les errements les conduiront jusqu’à Rouen, Nantes, Poitiers, Bordeaux, Toulouse, Carcassonne, Grenoble, Albi, Béziers, Montpellier, Avignon, Grenoble, Vienne, Lyon, Dijon et Pézenas en point d’orgue. À la grâce des Muses la troupe colporte son écho festif entre Languedoc et vallée du Rhône, jouant la comédie dans la cour des châteaux, parfois en des palais municipaux et même jusqu’au cœur de certains jeu de paumes transformés pour l’occasion en théâtre populaire
Filandreuses années d’itinérance animée par le feu sacré au détriment de quelque célébrité notoire, à porter au pinacle cette passion brulante avant de s’établir en cette petite cité au sud de la France. Molière a posé ses valises à Pézenas en 1653, depuis son souvenir n’a jamais quitté la ville.
Simple hasard ou choix judicieux ? Sans doute le bleu azuré du ciel, à moins que ce ne soit la tendre clémence du climat, ou encore cette douceur de vivre qui invite au farniente sous l’ombre des oliviers tandis qu’au loin s’écharpent les embruns portés par la clameur du vent frivole. Certainement que l’enthousiasme du mécène des lieux, Armand de Bourbon, Prince de Conti, a joué en faveur du dramaturge pour qu’il transforme ainsi Pézenas la provinciale en capitale théâtrale.
"Si Jean Baptiste Poquelin est né à Paris, Molière est né à Pézenas". Marcel Pagnol
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À l’écart des échoppes d’artisans où claquent les cartes bleues, au détour des petites ruelles pavées de bonnes intentions, Pézenas se prête volontiers à la flânerie inspirée de ses mystères épars à créer la rencontre de l’œuvre des comédiens des tréteaux et de regards novices en la matière. En y prêtant un peu plus d’attention, vous devriez entendre résonner quelques truculentes facéties de l’illustre théâtre. Dans le décor de pierre, de bois et de lumière filtrant dans les fissures temporelles, l’harmonie vous cueille, vous accueille en son écrin. Un premier cri, un premier souffle. Et soudain, dans la résurgence de cette intimité tout s’apaise.
Sur le cours Jean Jaurès, artistes, comédiens et autres chanteurs de passage en ces lieux de dilettante, à même le sol ont laissé leurs empreintes de pas, cliché stéréotypé du fameux Hollywood Walk of Fame. Des paillettes et des étoiles plein les mirettes. Rien d’étonnant d’y apercevoir la silhouette évanescente du dramaturge oscillant entre mythe et réalité. N’est ce point le propre des vagabonds des limbes de poursuivre leurs rêves éveillés ?
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Dans le dédale des ruelles où le temps semble suspendu aux lustres d’antan, à qui veut bien s’y attarder, de nombreuses traces témoignent du passage plus célèbre des comédiens et dramaturges de langue française. Au cœur de la vieille médiévale, bâtisses et hôtels particuliers se parent de façades façonnées par les mains expertes des maîtres ouvriers de différentes corporations de compagnon. De la ciselure des pierres jusqu’aux ouvrages de fer forgé, l’architecture s’y dévoile sous ses meilleurs apparats, aguichant ça et là l’œil novice des passants médusés d'étonnement et d’admiration.
Agrafes et mascarons, clés sculptées de visages taillés en demi relief illustrent différents thèmes : saisons, divinités personnages et autre représentations allégorique. Balustres rampantes à la volée d’escaliers taillées dans la masse. Croisée d’ogive défiant les mirages terrestres. Ferronnerie forgées à même l’enclume. Autant de détails architecturaux parmi les bijoux impérissables de cette œuvre d’art à ciel ouvert.
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À déambuler de la sorte au fil des lieux fréquentés par l’illustre bateleur, le hasard ouvre une brèche, imprévisible feinte des temps. Improbable rencontre entre deux personnages clés qui ont inspiré ces lieux remarquables patinés de leur cachet médiéval. L’authenticité lovée en cet écrin de vielles pierres.
Autre époque, autres mœurs, autre parcours tout aussi atypique pour cet enfant du pays, autre monstre sacré, illustre compère du mot lierre. Au détour d’une des petites ruelles, sur la place centrale, discutant le bout de gras, le Misanthrope et l’ami Zantrope. Duo décimal dont la providence est soleil.
Clin d’œil aux clichés d’alcôves de la temporalité. Avec pour seule ambition de faire rayonner l’étendue de ces passions brûlantes faisant feu de tout bois. Pézenas, la ville aux multiples talents.
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Le 16 avril 1922, c’est à l’aube printanière que Lapointe Robert Jean-François, Joseph, Pascal dit : Boby pousse son tout premier cri, (Ne point confondre avec le rasta couette de Babylone. Toute ressemblance...), donnant à la vie cette couleur mémorable qu’il sut, au détour de ses contrepitreries légendaires, barbouiller de la crème de son chapelet de mots qui langage que lui. Encore tous estourbis, à jamais s'en souvient la longue lignée généalogique de tous les papas du monde.
Le papa du papa du papa de mon papa
Était un petit pioupiou
La maman du papa du papa de mon papa,
Ell', ell' était nounou
Lui son nom, c'était Aimé Dépèch'
Doté d'une sérieuse déclivité à forte pente pour les études, lis tes ratures et maths et tiques lui prêtent ce regard en biais des plus enthousiaste qui ne le quittera plus. Inspiré par cette fibre artistique naissante pour embrasser pleinement sa truculente passion au phrasé si tarabiscoté que les Académiciens, verts de rage, en perdent leurs palmes. Mots râles, sauve qui veut. Comprend qui peut.
l' n' répond pas, mais il approch'
De sa démarch' gauch'
Et l'on peut voir
Dans son regard
Comm' un' lueur d'intelligence
Au sortir de sa bulle combinatoire des espaces non euclidiens, le jeune premier, éπphénomène de foire, grand adepte de la constante d'Archimède à la mine débonnaire, voue un talent sans faille pour la combinaison harmonieuse des sons, égrenant ses gammes mineures, non point majeures, à grands coups d'archet sur un violon d’Ingres qu’il entreprend de faire sonner tzigane. Turlututu. Hurluberlu chapeau pointu. Un comble, rien de très rationnel. Clé de sol ou de fa, la clé des chants pour d'infinis nombres décimaux sans motif répété. Lui qui voulait jouer de l’hélicon.
La femme tronc qui est si bonne
- Eh ! maman que m'importe les troncs bonnes
Je veux jouer de l'hélicon
Pon pon pon pon
À quelques encablures de là, du côté de la Venise du Languedoc, dans l’univers étriqué de sa caravane, un jeune gitan, s’écorche le bout des phalanges sur les cordes de son hispanique guitare. Petites mains d’argent. Que dire.
« Le violon, de deux choses l’une, ou tu joues juste, ou tu joues tzigane. Moi, je n’ai pas tellement le choix, je joue tzigane. Y’en a qui prétendent que le violon ne supporte pas la médiocrité ! C’est faux ! Le violon supporte la médiocrité, c’est ceux qui écoutent qui ne la supportent pas. »
Un tant soit peu farfelue, l’idée fut toutefois reprise par un autre clown à la gouaille d’Enfoiré. C’est l’histoire d’un mec jouant Le temps des cerises, au violon avec des gants de boxe. Notes désaccordées. Méli mélodie.
Ah la la la la ! Quel méli mélo, dis !
Ah la la la la ! Quel méli mélo, dis !
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N’en faisant qu’à sa tête, à tue-tête, son esprit déjà farfelu l'entraîne vers d’autres horizons plus enclins à son ardeur de boute en train qui lui sied à ravir. Jeux de mots et cales Hambourg, qui n'est point son port d'attache, vont égayer les textes de ses futures compositions parsemés de quiproquos et d’à peu près, qui par la suite deviendront d’intarissables bijoux dignes de ce compagnon orfèvre de la confrérie de Saint Éloi.
Tandis qu'au fil de l'onde la TSF répand ses péripéties radiophoniques jusqu’aux pieds de la citadelle endormie sur ses lauriers, il découvre cette vague d’artistes de cabaret. Il aime plus particulièrement Félix Leclerc, Henri Salvador ainsi que les textes de Marc Orlan. Féru de poésie, il lit Prévert et Queneau, lui aussi passionné de mathématiques.Troubadour certes, mais pas piqué des vers.
De doux baiser's et de caresses
Je suis un tendre troubadour
Et je ne vis que pour l'amour
Oui pour l'amour
En 1951, sous le pseudonyme, B.Bumbo, Il publie son premier ouvrage à compte d’auteur: Les douze chants d’un imbécile heureux. Treize textes fondateurs, révélateurs de son talent en herbe, dont quelques-uns deviendront chansons phares de son œuvre iconique : Le poisson Fa, Sentimental Bourreau, Insomnie ou encore Revanche et Ta Katie t’a quitté. Grains de folie qu'il entonnait avec fol entrain: J'ai fantaisie.
J'ai fantaisie de mett' dans ma vie
Un p'tit grain de fantaisie ! Youpi ! Youpi !
Révélé par Bourvil, qui reprend Aragon et Castille dans son propre film Poisson d'Avril en 1954, sa carrière est désormais lancée. Une comète au faîte du ciel. Il connaît alors un plaisant succès en se produisant rive gauche, fleuron de des artistes en vogue, dans le cabaret parisien Le Cheval d'or. De par sa stature et son élocution si atypique de gai luron, il attire un public peu habitué à tel verbiage alambiqué. Il rencontre François Truffaut, Anne Sylvestre, Raymond Devos, Ricet Barrier ainsi que l’ami Georges, avec qui il se lie d'une intarissable amitié. Les copains d’abord, les copains d'accord.
« Ce satané Boby Lapointe, depuis qu’il a tourné le coin, à Pézenas comme à Paris, ses copains et admirateurs ont du mal à s’y habituer. En ce qui me concerne, les soirs où son amitié et sa bonhomie me manquent un peu, je fais comme si de rien n’était, j’écoute ses chansons pour qu’il continue à vivre le bougre et il continue. Mon vieux Boby, putain de moine et de piscénois, fais croire à qui tu veux que tu es mort ; avec nous les copains, ça ne prend pas. » (Georges Brassens 1976).
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La barbe fleurie et l’œil pétillant de malice semblent tout droit emprunt à la bonhomie légendaire du trublion piscénois donnant le change au seuil de cette comédie imaginaire. Frère des nymphes, le satyre associé au culte de Dionysos, ripaille des ses dernières facéties qui ne laissent personne de marbre, de Carrare ou de Caunes Minervois. .
Au terme d’une fin de vie chaotique parachevée en crabe, quelques décennies plus tard il connaît un regain de succès posthume auprès des nouvelles générations qui, en un clin d’œil, miroir de son âme, redécouvrent le paysage sonore et musical de ce troubadour atypique et malicieux.
Cela ne va pas sans dire pour autant qu’il ait ébouriffé son dernier mot. Soufflé n'est pas jouet. Ne vous esquivez point de la sorte sans l’avoir vu ou aperçu, immortalisé au dos d’une façade surmontée d’un fronton cintré. Sur la pointe des pierres, ce voyage qui oscille en ferventes paroles entre songe et manifestations concrètes d'une certaine réalité. Ça va, ça vient...
Toutes ses bontés passées
Ses exploits
Il compte comme un huissier
Qu'on lui doit
Ton cœur n'a plus la chaleur
Que j'aimais