Agrandissement : Illustration 1
" Mesdames et messieurs les jurés, me voilà ici devant vous pour défendre avec force et conviction les intérêts de ce pauvre Monsieur Chocolat, accusé à tort et à travers de tous les maux d'une époque décadente où les mots déterminent l'ampleur de cette débâcle annoncée. Mais avant toute spéculation hasardeuse, afin de dissiper le moindre des malentendus à son propos, je vous invite à prendre quelques instants de réflexion pour détailler de pied en cap le prévenu, tout en faisant abstraction bien entendu de quelconque préjugé malencontreux à son propos.
Contre toute attente je vous demanderai de ne point tenir compte de sa carnation cacaotée que certains s’empresseront d’associer illico presto à de rances connotations racistes de supporters footballistiques singeant moultes primates postures. S’il vous plait, ne jubilez point de la sorte, j’en entends déjà rire sous cape. Vous ne manquerez point d’être surpris d’apprendre que le sieur Chocolat ici présent ait un frère jumeau semblable à la candeur de l’aube. Par quel miracle génétique me direz-vous, là n’est point le sujet. Vu la piètre maîtrise de mes prestations vocales je vous épargnerai toute complainte et n’irai point jusqu’à pousser la chansonnette du Claude, le Nougaro à la plume d’ange : « Armstrong, je ne suis pas Noir, je suis blanc de peau… »
Profitons de cet interlude musical pour un bref retour en arrière, en ce passé pas si lointain à ce stade précis du tout premier jour de votre conception, à cet instant crucial où dans l’alchimie des corps se combine le fruit de cet amour charnel. Vous y êtes… ? Selon vous, quel serait la dose prescrite de cacao indispensable à parfaire la pigmentation future de votre peau ? Un soupçon, une pincée, une lichette, une cuillérée ou bien une louche? Quel peintre aux sillages d'outrenoir un tant soit peu délicat maîtrise à ce point le destin d’un homme jugé ici sur la seule couleur de sa peau au détriment de l’intégrité de son être. Silence je vous en prie, un peu de tenue. Point d’injure du style « Y’a bon Banania !! »
Réfléchissez un instant, et si vos parents respectifs dans un début d’abus, avaient usé et abusé de ce divin nectar des dieux Aztèques ? À partir de combien de fèves de cacao votre destin aurait basculé couleur chocolat ? Éteignez la lumière et essayez donc d’ivoire un peu plus clair dans le bien fondé de vos pensées. Obscur et diaphane, l’alternance jour-nuit bouscule les malentendus. Bien que dans le monde musical une blanche vaille deux noires, alors écoutons ensemble avec plus grande attention le pamphlet du poète à l’accent de rocaille : « Allez Louis, alléluia ! Au delà de nos oripeaux, noir et blanc sont ressemblants comme deux gouttes d'eau. »