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Je ne suis qu'un rêveur...

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Billet de blog 10 octobre 2023

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ET SI L’ON FUGUAIT PLUS LOIN QUE NOS SOMMEILS

« J’ai cessé de me désirer ailleurs. » André Breton

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Illustration 1

Semblant ne mener nulle autre part qu’au bout du monde, la petite route sinueuse bordée de murets de pierres sèches se perd jusque dans les moindres recoins du grand plateau. Bien que les lieux ouverts aux quatre vents paraissent déserts, quelques pancartes à la dérobée des sous bois décèlent l’intrigue d’éventuelle présence humaine. Adossé aux contreforts du Massif central, ici se dissimule un paysage au couvert de forêts de chênes pubescents où de toute part la pierre jaillit des entrailles telluriques.

Dans la magie des cieux inaltérés, porté par les courants ascendants un milan noir tourbillonne sans effort, infatigable dans sa quête. Auprès de la prairie d'herbes sèches à peine une dizaine d’agneaux et de brebis caussenardes en un semblant de troupeau. Selon une légende de la nuit des temps, le reflet du soleil sur les roches calcaires des Causses du Quercy abîmait les yeux des brebis. Pour les protéger, un jour d’hiver, un berger entoura les yeux de ses bêtes avec du charbon. De ce côté ci, une poignée de chèvres se délectant de jeunes pousses de genévriers embaumant la fin d’été, mais point d’âme qui vive en plein cœur de ce plateau de calcaire délaissé à la flore revêche.

Illustration 2
© Vent d'Autan

Si parfois la poésie se cache dans les détails, ici à bout de falaise vertigineuse surplombant les méandres langoureux de la rivière, elle prend la hauteur de sa superbe par delà les sublimes panoramas suspendus à cette intime sensation de quiétude. Subjugué par la magnificence des lieux les mots vinrent à lui manquer, l’alchimie du verbe, fascinante et jubilatoire ne pouvait que se  conjuguer qu’au plus que parfait. Entre réel et imaginaire, plongé dans la béatitude de l’extase, le poète issu de Champs magnétiques tomba sous le charme discret de ce village perché sur les hauteurs abyssales qu'il surnommait « la rose impossible dans la nuit ». Son bout de paradis serait donc ici.

«  J’ai cessé de me désirer ailleurs. » André Breton

En ce lieu de révélation le Surréalisme allait revendiquer la libre association des mots pour faire place à un nouveau langage, vocabulaire mystique. Casser les codes et mettre l’accent sur l'imprévisible proéminence de la sémantique en perpétuelle mouvance. Les mots désordonnés, juxtaposées les uns aux autres, tel une fresque de poèmes organiques, épurés non plus par l’esprit mais par la mouvance des Surréalistes. L’écriture affranchie de l’esthétique littéraire, déliée de sens et de forme, accordée aux forces de l’inconscient libéré du contrôle de la raison.  Mouvement poétique, artistique, linguistique.

André Breton décrit le surréalisme comme un « automatisme psychique pur, par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autres manières, le fonctionnement réel de la pensée ». Fernando Arrabal, Georges Bataille, Antonin Artaud, Paul Éluard, ainsi que bien d’autres auteurs décideront de le suivre dans son inépuisable quête.

« Nous remplissons des pages de cette écriture sans sujet ; nous regardons s’y produire des faits que nous n’avons même pas rêvés, s’y opérer des alliages les plus mystérieux. » André Breton, Louis Aragon, Philippe Soupault- Les Champs magnétiques

Illustration 3

Comptant parmi l’un des Plus beaux villages de France, Saint-Cirq Lapopie fait partie de ces sites remarquables, qui au fil des siècles ont su conserver le charme et l’authenticité de leur riche passé. À la fois discret et séduisant, il ne cesse de briller de mille feux, même à la tombée de la nuit quand s’éteignent les lumières du bourg afin de préserver l’intégrité de ce ciel d’encre nocturne parsemé d’étoiles filantes. Poésie des Perséides.

Pavés de calades de galets patinées par la rugosité des temps, les petites ruelles descendent à pic jusqu’au pied de la falaise abrupte où ondule en douceur le cours du Lot. Au pied du rocher élimé par la pétulance des vents environnants, moulins, ports, écluses et barrage parsèment le paysage fluvial. Taillés à même la roche, les anciens chemins de halage révèlent le faste d’une activité batelière florissante.

Depuis Bordeaux, les bateaux chargés de  leurs précieuses cargaisons remontaient le courant capricieux de la rivière jusqu’au port fluvial de Bouzies. Les gabarres à fond plat étaient tirées soit par les hommes, soit par  des animaux de trait. À leur retour elles acheminaient minerai de bauxite et charbon de l’Aveyron ainsi que céréales, tabac et vin de Cahors. Avec la venue du chemin de fer le trafic fluvial perdit de son ampleur, les gabarres n’étant plus que chimères en suspens dans l’imaginaire collectif.

Maisons à arcades d’échoppes ancestrales et pans de bois en colombage, portes en arc brisés, tour aux fenêtres gotiques, ancienne maison forte crénelée, mur d’enceinte seigneuriale, donjon roman fortifié à contreforts. Ici le temps n‘est plus compté, où que le regard se pose l’histoire raconte les péripéties des siècles.

Des générations entières sont passés par ici avant de s’effacer dans les méandres des âges, d’autres sont venues leur succéder marquant leur époque révolue, puis d’autres encore viendront à leur tour au sein de la genèse que les poètes cisèlent dans l’idylle d’un nouvel âge d’or. Seuls les lieux conservent le prestige de leur authenticité, les hommes n’y sont que de passage, si bref soit-il ils contribuent à l’élaboration de cette fresque intemporelle.

Illustration 4
© Vent d'Autan

Devenu lieu de prédilection des peintres et des écrivains, Saint-Cirq Lapopie conserve intacte la trace de tous ceux qui se sont laissés envouter par le charme et la volupté de ce petit bourg suspendu à la crête des nuages. Joseph Rignault, Henri martin, Pierre Daura, Man Ran et tant d’autres personnalités diverses du monde des arts et de la culture ont déambulé dans le dédale des ruelles étroites, soit en mal d'inspiration ou en quête de déambulation. Sous le coup de cette irrésistible attraction céleste, l’imprégnation des lieux  tel un secret perdu dans les pierres naturelles du Lot.

Séduit à son tour, André Breton, bien décidé à jouir sans entrave de ce havre de paix fait l’acquisition de cette maison  du 13 ° aux fenêtres gothiques, flanquée d’une tour du  12°siècle. Surplombant la vallée qui étend son point de vue, l’ « Auberge des Mariniers » est la plus ancienne bâtisse du village où le poète, chef de file du mouvement surréaliste vint séjourner chaque été de 1951 jusqu’à sa mort en 1966.

Dans l’intimité de ce pan d’histoire, d’éminents artistes échafaudèrent le Surréalisme d’après-guerre faisant la part belle aux jeux surréalistes, aux débats, aux créations poétiques, littéraires et cinématographiques insufflés par l’esprit des lieux propice à faire rêver les plus indécis.

Arts, peinture, littérature et poésie, le poète amoureux des mots a laissé des traces dont le moindre mouvement laisse trahir sa présence. Tout à coup le mystère se déploie au travers du vent. À flanc d’abîme, alchimie et surréalisme s’entrelacent dans la plus énigmatique des créations contemporaines. Pénétrer dans ces secrets d’alcôve d’où surgissent les mots au déclin de l’arbre à poèmes retient le souffle et l’attention de chacun des visiteurs de cette extraordinaire épopée. Nul n’en sortira indemne…

« Je cherche l’Or du temps… » André Breton

Maison André Breton : Alchimie ou l’art de « prendre sur toutes choses une revanche éclatante »

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