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En d'autre temps, où seul un petit village résistait encore, nous nous serions retrouvés, attablés autour d’un joyeux banquet festif, arrosé de cervoise tiède, conjurant le mauvais sort à l’ombre d’un grand chêne majestueux, grisés par les vocalises d’un druide mal embouché. Par Toutatis, le ciel ne nous est pas (encore) tombé sur la tête, quoique puissent en dire prédicateurs et charlatans de mauvaise vertu, agitateurs des épouvantails de la terreur !
Tout en maugréant quelques onomatopées d’un argot d’antan, les plus anciens affirmeraient, sans frémir et sans sourciller d’un iota, que nous vivons là une bien drôle d’époque, fruit de défiance et d’outrance de cet ordre moral, prédateur de l’essence de nos vies. Nous voilà donc au pied du mur, face à cette déferlante sans fond, que le monde civilisé n’a pas su voir venir. A jouer avec le feu, les apprentis sorciers ont allumé le brasier ardent du grand incendie que, prédisait jadis, Saint Jean, apôtre des malédictions. Le feu, la mer, les pestes, l’Apocalypse serait-elle en marche ? Si au pays des aveugles, les borgnes son rois, alors méfiance…
Nous traversons une étrange période de troubles, de celles qui s’inscrivent en millions de trépas, dans les pages les plus sombres de l’Histoire. Peste noire, choléra, grippe espagnole ou asiatique, sida, Ebola, l’humanité a toujours été en proie à de redoutables épidémies, qui n’ont cessé de décimer, au travers des siècles, des pans entiers de populations. Depuis l’aube des temps, Les virus ont pignon sur rue, rien de nouveau au royaume de l’infini microscopique. Ce nouveau venu, devenu pandémie internationale, égérie de la mondialisation, se répand aux quatre coins de la planète, faisant fi des frontières, des races, des religions, des sexes et des âges, frappant aveuglement, au hasard de l’infortune de sa vitesse de propagation.
Et comme chaque soir, au crépuscule du jour qui s’évapore dans les brumes de la nuit, conviés à la solennelle communion du sempiternel JT de 20 heures, ce décompte, infect et morbide, des sacrifiés sur l’autel du sommeil éternel. La danse macabre des morts, en exergue sous la lumière crue des projecteurs. Ni pitié, ni lamento, ni liturgie pour exprimer l’exaltation des âmes. Juste cette indifférence affichée en guise d’apitoiement, aussi intolérable et fracassante qu’en soit l’intensité de la tragédie. Quelle est donc l’effet subversif de cette énumération comptable ? Quelle force pulsionnelle inconsciente et refoulée déclenche cet afflux d’enthousiasme nauséabond ? Ce regard là, biaisé, révèle les déviances d’une grille d’interprétation soumise à influences comptables. Du chiffre, rien que des chiffres.
A vous, grands pourfendeurs de l’actualité glapissante, colporteurs du sensationnel et du ridicule, des chiffres à vous faire tourner la tête, vous en voulez ? La mortalité dans le monde correspond à 1,81 décès chaque seconde sur Terre, soit 109 par minute et près de 157.000 décès par jour, soit près de 57,3 millions chaque année. La mortalité dans le monde
Combien d’innocents pulvérisés sous les bombes, enflammés au napalm, irradiés sous l’atome ? Combien de vies pubères fauchées au champ d’honneur, ensevelis à jamais sous les charniers de l’horreur ? Combien de guerres médiques, puniques, guerre de 100 ans, guerre des six jours, grande guerre, drôles de guerres ? Qui se souvient et compte encore les sacrifiés de l’indicible ?
Combien de ventres dilatés, gonflés de dysenterie, squelettes affamés aux yeux globuleux sortis de leur orbite, décimés par d’inépuisables famines, tandis qu’au bord de l’autre monde, celui de l’outrance, fruit du pêché d’excès et de croissance infinie, l’obésité morbide ravage 2 milliards d’adultes et 350 millions d’êtres humains ?
Combien de vies asphyxiées par l’altération de l’air, vicié par les émanations de polluants industriels de l’activité humaine ? Combien de fumeurs, partis en fumée dans les vapeurs de nicotine ? Combien de haschich tourneurs, évaporés aux essences de THC ? La cigarette tue plus de 7 millions de personnes par an, consumées dans des écrans de fumée.
Combien de suicides non assistés, de dépressions au dessus du jardin, de coup de blues à fleur de spleen, d’idées noires carburant de tristesses insondables, de coup de folies et d’aliénation en crise ? Sinistre prolifération de symptômes et de résignations des trépanations du quotidien, soumissions à la quadrature du cercle infernal de la vie moderne : licenciement, chômage, dépression, divorce. Tous tombés dans les affres de la productivité, combien encore….
Combien de coups de cœur et de coups de sang, de crabes enragés aux pattes crochues, venus déchirer des lambeaux de vie chevillés au corps ? Combien de maux, d’affections, de douleurs, de fièvres, de plaies, de souffrances, de martyres, de mal a dit, de saloperies de maux savants finissant tous en ite ? La liste ne saurait être exhaustive.
Et l’homo sapiens pontifiant, de découvrir avec étonnante stupeur, sa destinée soudain mortelle; cruelle et cinglante déception. Cessez de nous infantiliser, assez de nous faire culpabiliser, vos croyances ne sont que l’argutie stérile de votre doxa dominatrice des pensées. Ce virus que vous vénérez avec tant d’insistance et que vous placez au centre de toutes vos préoccupations n’est qu’une infime goutte d’eau perdue dans l’immensité des océans, juste la partie immergée de l’iceberg. Ce que l’on veut bien nous faire voir pour mieux maintenir la réalité, cachée, tue, tout en occultant cette gabegie sous le vacarme de vos balivernes.
Nous n’avons rien à attendre de vos injonctions médiatiques. Laissez nous vivre pleinement et jouir sans entrave de nos vies, aussi dissolues soient elles. Laissez nous profiter de l’envie brulante de notre folle rage d’exister, nous autres, mortels, simples mortels. La mort est une pandémie sexuellement transmissible. Donner la vie, c’est octroyer la mort. Ainsi est établie la destinée du genre humain.Si la mort nous joue des tours, c’est pour que nous puissions apprécier et savourer toute l’intensité de chaque parcelle de cette vie frêle et fragile.Comptez donc, si le cœur vous en dit, sans jamais plus compter sur nous, pour nous emporter dans votre grotesque farandole.
"Il faut avoir une musique en soi pour faire danser le monde " Nietzsche
* La fabrique du crétin digital - Michel Desmurget (les trois plus grands tueurs de la planète : le tabagisme, l’alcoolisme et l’obésité, p 316 à 329)