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Je ne suis qu'un rêveur...

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Billet de blog 13 octobre 2025

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VAGABOND D'ÂME IV

« La pause, elle aussi, fait partie de la musique. » Stéfan Sweig

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Illustration 1

CÉSURE

Dans les fracas étincelants de la coupole arctique la lumière bouleverse le moindre des scintillements comme pour donner une respiration au plus infime interstice. Lueurs en suspension, ombres fuyantes, reflets moirés, reliefs saillants, effets de contrastes tour à tour apprivoisés pour donner de l’esprit à cet infini aux repères chavirés par la longue nuit sans sommeil.

Au bout du bout, l’avènement du monde, la nature qui s’offre en spectacle vivant, tout aussi grandiose que tragique, à la mesure des chamboulements en cours. Sur ces terres lointaines se joue l’avenir de la planète. À vue d’œil la fièvre des glaciers s’accélère dans un silence des plus criminels. Bientôt les icebergs, voués à la dérive, auront quasiment disparu. D’ici peu la banquise ne sera plus qu’un vague souvenir des temps heureux. À terme le Grand Nord aura perdu son âme.

Contre toute attente Nils se laisse déborder par cette émotion contenue depuis si longtemps. Et dans le flot lacrymal la même teneur iodée que celle des salves d’écume échouées sur le bord de grève. Silhouette figée dans ces instants de silences émus. Depuis son départ précipité, il a éclipsé toute notion temporelle, s’affranchissant de cette notion des plus arbitraire. Pas à pas il s’est volontiers abandonné dans l‘enchevêtrement des sentiers, guidé par les seuls éclats du jour, bordé la nuit par les pluies des filantes qui constellent le ciel.

Un peu plus de quatre mois de marche soutenue et quelques quatre mille kilomètres parcourus pour en arriver là, face à l’ampleur de cette esquisse picturale plantée dans l’immensité du décor. Sous son regard de doux rêveur la métamorphose des lueurs éphémères en proie aux tourbillons magnétiques.

Savourer l’instant aussi fragile soit-il. Profiter pleinement  de l’intime communion avec les éléments. S’abandonner aux caprices des quiétudes éphémères. Serrer les vents au plus près. Enfin repu, empli de cette sensation de devoir accompli, dénouement d’une aventure insolite. L’instant d’un léger flottement l’image du planisphère de la grange lui revient en mémoire accompagné du vertige de ces nombreux  doutes entravant son ambition. Bien qu’à priori la distance lui semblait démesurée, tout autant  que ce projet quasi insurmontable,  sans trop y croire le voilà bel et bien installé sur le toit du monde avec pour seule et unique compagne sa fidèle solitude.

Quelle force mystérieuse a bien pu l’aiguillonner à se dépasser jusqu’à le conduire en ce lieu si inhospitalier ? À nouveau une multitude de pensées foisonne à tue-tête, plutôt que de sans cesse les poursuivre sans raison,  il se contente de les regarder déferler sous la complainte  des embruns virevoussants. L’instant d’après il retrouve cette forme de sérénité empreinte au fil de son périple. Se poser. Un peu. Un temps de répit. Histoire de s’imprégner du moment. Privilège de la grâce des cieux. En toile de fond le soleil de minuit invite au recueillement de l’âme. Certains défis ébranlent le destin des hommes.

Bien avant son départ Nils avait pris grande précaution à voyager léger, sans encombre. Juste le minimum, le strict minimum. Au prix de douloureux sacrifices, à contre cœur il s’est séparé de son reporter de poche qui l’accompagne dans chacune de ses virées. Alors à chaque halte il reste un long moment à fixer l’intégralité des alentours jusqu’à ce que chaque détail, surtout les plus infimes, s’imprègnent au plus profond de son être. À l’étape du soir, avant de s’endormir il fait défiler chacun de ces instantanés jusqu’à ce que le sommeil l’étreigne dans ses bras. Voyager le jour, vagabonder la nuit. Et tous ces rêves peuplés d’inexorables contrées à l’écart des flux d’agitation permanente.

Comme chaque matin, le corps tout engourdi, Nils s’éveille aux fioritures de l’aube, pied et cœur léger, prêt à reprendre la route, celle qui le conduira au gré des nuances de la vie. Toujours plus loin, comme une échappatoire sans fin, corps à corps avec les rendez-vous secrets. Comme par enchantement l’optimiste reprend toujours le dessus, il semble bien avoir trouvé la paix, celle qu’il n’espérait plus, celle qu’il pourchassait depuis des lustres sans qu’elle veuille bien se laisser apprivoiser. Pourquoi ne pas s’y attarder quelque temps et prolonger ce sentiment de grâce. Une escale au paradis blanc, après tout pourquoi pas ?      

Le regard tourné vers le large, il scrute la baie qui, gueule béante, s’étire jusqu’au Nord où les lumières se lézardent en nuages de vapeur à la dérive des continents. Niché dans les replis de cette anse abritée des vents, une dizaine de cabanes aux couleurs bariolées. Face à la fonte des glaces que chacun croyait éternelle le doute n’est plus permis, la nature perd le nord.                                                                                                                         

Perplexe, Nils dépasse le panneau de bois qui semble porter le nom de ce minuscule  îlot. Le tout premier autochtone rencontré l’ignore totalement. Le second le toise du regard. Le troisième le salue d’un geste amical. Enfin le quatrième l’interpelle dans un langage inconnu. Son sourire est aussi chaleureux que sincère. À ses côtés, un chien de traîneau, robuste et racé, à la silhouette de colosse. Pas de barrière de langue, contrairement aux humains le langage des animaux reste universel.

L’instant d’un flash, de vieux souvenirs égarés dans les méandres des temps ravivent la mémoire de Nils. Une brève de vie partagée avec deux fidèles Alaskan Malamute — Onouk, intrépide chef de meute et Okia, mi louve, mi sauvage —inestimables compagnons d’infortune qui  ont su lui  insuffler le frisson du grand Nord. Mais sous la pétulance de l’existence,  le rêve a fini par  capoter. Au premier regard il retrouve intacte cette ferveur d’antan, sans aucun doute quelque malice hasardeuse du destin. Tandis que sur ces terres lointaines se joue l’avenir de la planète, le vent s’époumone contre les parois de ces falaises, qui depuis la nuit des temps, semblent offrir l’hospitalité aux oiseaux de passage, aux songes éthérés ainsi qu’aux folies des grandeurs. Seul au bout du monde, l’étendue de contours inachevés.

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