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Je ne suis qu'un rêveur...

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Billet de blog 14 août 2023

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FLAGRANT DÉLIT DE VAGABONDAGE

« Rimbaud poète, cela suffit et cela est infini. » René Char

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Vent d'Autan

Longtemps il hésita. Trop longtemps sans doute. Sans aucune envie, sans aucune attente. Presque un instant d’éternité. D’infimes raisons, toutes aussi chancelantes que vacillantes. Chavirant de mille bords sans oser franchir le seuil, sans pouvoir se dépasser, sans jamais se hasarder à aller de l’avant.

Ultime tentative, toujours le premier pas, celui qui coûte. Balloté dans la mélancolie de rêves naufragés. À mille lieux de vastes paysages de cartes postales aux allures désabusées. Plages échouées, bancs de sable enlisés. Implacable fiasco de jours d’errance.

Partir. Rester. S’en aller. S’enfermer. L’entre deux. Paralysé. Au beau milieu du gué. Sans cesse confronté à d’innombrables dilemmes, tout aussi âpres que cuisants. Autant de dérivations plausibles que d’impasses improbables, miséreux tours de passe-passe. À guetter ce qui importe, ce qui pénètre en profondeur l'évanescence des faits les plus futiles ainsi que les sensations suscitées dans l'influx de l’instant. À la manière d’un haïku. Providentiel.

Vagabonder, au fil du vent et de ses agitations. L’idée se faisait de plus en plus pressante, à peu de choses près d’une étonnante fluidité. Diabolique obsession, un rien obscène, entravée par les mésaventures du doute ajoutées à la confusion d’une réalité toujours plus prégnante.  À prier le ciel et ses dévotions pour se délivrer de tant de tourments à la peine. Foule de tenants et d’aboutissants chargés d’entraves. Tapis au fond de l’impasse, les rêves, en suspens. Trois petits points, suspension.

Illustration 2
© Vent d'Autan

Sur les étagères encombrées, classés par ordre anarchique quantité d’ouvrages imprimés, reliés ou brochés, florilège de pas imprégnés dans le sillon de chemins détournés. Ribambelle de livres accumulées au fil de péripéties donnant libre cours à l’imaginaire débridé. Autant de farouches envies en rangs serrés  que de projets inachevés, semés en route dans le sel de la déroute.

Tickets de voyage tombés en complète désuétude, voués à l’épineux oubli. Atermoiements sans fin. Périples au cabotage littéraire. Tout un univers frôlant l’onirisme, comme une traversée sensorielle habitée par une certaine forme de mélancolie. Écume des jours de traine des âmes à la peine.

Empreint de noctambules promesses, dès potron-minet le jour vint à poindre, murmurant des miracles d’éclats. Quelques prémisses d’un mouvement charnière. Au travers de l’interstice des volets clos, les premiers rayons de soleil s’infiltraient dans l’intimidé de la chambre à coucher.Il était temps de s’extraire de la douce étreinte des bras de Morphée. Solennelle félicité.

En toile de fond, dans le dédale des ses errances littéraires, compilés entre les pages de papier grisé se profilaient les parcours atypiques de ces funambules du griffonnage au sortir de terres d’aventure. L’espace d’un éclair, il se mit à consulter nerveusement chacun des titres posés sur la tranche des ouvrages, pour la plupart négligés dans la paresse des abandons. Allait-il trouver le mot clé, catalyseur de cette folle ébauche, révélateur de cette soudaine appétence pour l’alchimie du verbe ?

Ici commençait le voyage, aux marges de péripéties d’un certain songe. Murmurant quelques bribes de phrases syncopées, sa voix chuchée s’abima dans le silence des entournures. Sentant poindre une certaine forme de nervosité, une ardente poussée de fièvre brûlait en lui. Sans plus rien lui demander son esprit vint à prendre le large par une sorte d’envoutement sacré.

Peut-être était-il permis de s’en aller plus loin, à son insu, dans les interstices du récit de ces quelques mots du poète qui se fit voyant. Des mots semés au gré de ses pérégrinations, tels des songes amarrés à la lisière des cris lointains.

«  Par les beaux soirs d’été, j’irai dans les sentiers

Picoté par les blés, fouler l’herbe menue… 

Rêveur, j’en sentirai la fraicheur à mes pieds,

Je laisserai le vent baigner ma tête nue.»

Illustration 3
© Vent d'Autan

Au fil de cette démarche tantôt hasardeuse, son regard furtif figea toute son attention sur cet ouvrage inespéré, tel une aubaine s’extirpant du lot. Entre ses mains tactiles, effleurant à grande précaution l’objet de convoitise, il fit montre de grande curiosité, certain de détenir la plausible clé des songes. Sur la pointe des pieds, la plus belle chose dont il puisse faire l‘expérience. Avec grande délicatesse, d’un œil avisé il observa scrupuleusement le manuscrit apparu telle une aubaine, le scrutant sous ses moindres coutures.

Combien de mains avant lui avaient bien pu effleurer ce recueil duquel se dégageait si profonde authenticité? Précieux comme une relique d’antan, façonnée dans les entrailles d’une vieille échoppe d’artisans où les souvenirs défraîchis subsistaient encore, suspendus aux lustres d’un savoir faire ancestral. Sous sa croute de cuir vieilli, la patine des temps avait l’aubaine d’un coup du sort.

Dérobée au faîte des voûtes du plafond maculé de vielles poutres doublées de chevrons épars, la lumière filtrait à travers les percées du toit, tombant en colonnes radieuses dans les marches du grand escalier en colimaçon.  Du côté des murs enduits de torchis entre colombages et boiseries, une coursive filait jusqu’à l’arrière-cour à ciel ouvert.

À l'abri des curiosités, dans un recoin de poussières, une presse en bois d’un autre temps vétuste, précieux, solennel, quasi monacal.  Figés sur les chiffres romains, les aiguilles de la grande horloge au milieu d’un instant de plénitude. Silencieux, le balancier s’était tu, sans grand souci d’affection monotone.

Illustration 4
© Vent d'Autan

Submergé par cet élan tout restait envisageable, comme si l’on pouvait esquisser quelques lignes de fuite et donner aux mots les couleurs du ciel et de la vie. Pourquoi s’en aller plus loin, si loin ? Et si le voyage était intérieur, à destination de soi-même, vagabond éveillé ? Peu à peu l’idée faisait son bonhomme de chemin, gagnant un peu plus de terrain, comme pour sortir de l’ornière.

Blotti dans le confort d’un quotidien sous anesthésie, quelle serait la prochaine destination ? Ailleurs sans doute, où la fascination opère, pas trop loin d’ici. Plus éloigné paraissait l’horizon, désireux de se fondre dans les tentures du ciel. Échoué sur les grèves de la Mer Rouge, là bas, tenant son destin entre les mains. Aucun souvenir du récif côtier recouvert de paillettes d’or. Lancinant périple porté par les semelles de vent.

Chevauchant dans les reflets de l'écume, le long de la piste aux lueurs fauves, toujours en quête d'un récit perdu, Rimbaud, citoyen du monde, vint à passer par delà l'horizon, en ces décors d'intrigue.

" Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées..."

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