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Au sortir des griffes hivernales la ferveur printanière ne se fait guère prier pour réveiller les plus folles ardeurs assoupies le temps de l’hibernation saisonnière. Enfin débarrassés de ce vaste linceul gris monotone, dopés d’excès de chlorophylle les paysages aux alentours verdissent à foison. À vue d’œil le changement se précipite dans une course effrénée, folâtrant avec les lueurs changeantes des jours à rallonge.
De sa palette de couleurs l’impressionniste parsème ça et là quelques touches d’éclats. Un soupçon de jaune pour les forsythias, une pincée de blanc immaculé sur les amandiers, une lichette rose carmin au faîte des prunus, un carrousel de nuances bleues dans l’immensité des cieux. Sous ces traits esquissés, peu à peu la nature que l’on crut morte revient soudain à la vie. La belle au bois dormant.
Loin de se découvrir d’un fil, Avril perpétue le cycle des saisons. Bien que Mai n’en fasse qu’à sa tête le printemps déploie sa farandole. Au comble l’exubérance florale, boutons d’or, marguerites, pâquerettes et coquelicots. Où que se pose le regard l’effervescence pétille de mille éclats sous le pépiement des oiseaux.

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Dans un recoin de rocaille, bien loin du désert de Chihuahua, entre les feuilles argentées de l’olivier et les fleurs roses du laurier, elle trône là, silencieuse depuis tant d’années, humble, presque effacée. Plus évasée que haute, son imposante rosette hérissée de vastes feuilles charnues, enchevêtrées les unes dans les autres, semblables à une carapace, rajoute une touche graphique à la plantureuse succulente. Divinité rustique au talent exotique.
En plein essor printanier, par un de ces rares miracles de la création, soudain sorti de sa longue léthargie l’agave entame une prodigieuse métamorphose. Dans une course folle à la conquête du panthéon, à raison de quinze centimètres par jour une hampe florale de cinquante centimètres de circonférence s’élève au-dessus de la couronne de feuilles jusqu’à tutoyer les splendeurs célestes, culminant à presque huit mètres de haut. Stupéfiant mât de cocagne à la gloire de Déméter, fertile divinité.

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Au faîte de son apogée les premières ramifications se manifestent les unes après les autres avec une disposition qui rappelle les branches d'un arbre. Soudain le tronc, lisse de toute aspérité, enfile son costume d’apparat. Mettant toute son ardeur à contribution, fin juillet, début août, l’agave fleuri enfin provoquant curiosité et émerveillement. Que d’instants de grâce magnifiés .
À son sommet se ramifient multiples panicules où sont rassemblées des centaines voire des milliers de fleurs, belles inflorescence jaunes d’or au nectar sucré, véritable délice des pollinisateurs hébétés par cette soudaine ivresse. Toutefois cette beauté éphémère signe aussi la fin de son cycle de vie. Une fois en fleurs, l’agave meurt, laissant un souvenir impérissable ainsi que plusieurs drageons prêts à assurer la relève. Intrique aussi dramatique que spectaculaire.

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À bout de souffle le chapelet de feuilles se laisse tomber d’épuisement - chiffes molles en grande perdition. Le reine se meurt, elle ne fleurit qu'une seul fois. Malgré ses efforts elle ne peut échapper à l’inéluctabilité de la mort, mettant en évidence l'absurdité de la vie face à la fatalité. Tragédie du théâtre de l'absurde mis en scène par Ionesco.
Tandis que l’obélisque tangue sous l’estocade des vents, au pied de la plante un amoncellement de graines jonche le sol, prêtes à germer pour une nouvelle épopée. Perpétuel renouveau. Remarquable leçon de vie sous fond de résilience. L’été de toutes les attentions.
Agave — The blues.

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