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Au détour d’un chemin de campagne ondoyant en douceur entre bois et prairies, impossible de discerner les contours confus de la masure dérobée à travers l’exubérante frondaison. Sous le friselis du vent rien ne semble troubler la quiétude des lieux exaltés par l’insouciant babillage des oiseaux des campagnes. Alouette des champs, bergeronnette citrine, fauvette grisette, corbeaux freux, corneille noire, pipit des prés, bucolique ritournelle. Comme par enchantement, en cet écrin de verdure la vie semble bien plus voluptueuse, en accord avec l’insouciance de chacun des instants.
Jamais vraiment abandonnée mais sobrement défraîchie, la bâtisse de vaste ampleur a su traverser les caprices des temps sans pour autant en subir les outrages. En totale harmonie la façade nippée d’un enduit de chaux s’impose à la prunelle des yeux ébahis. Fruit d’une patiente élaboration chaque trace de taloche ajoute une touche d’authenticité à l’onctuosité naturelle de la matière. Ouvrage d’art d’un ferronnier disciple d’Héphaïstos, la treille patinée de bruns marbrés de rouille s’accommode de l’intemporelle beauté d’une faramineuse glycine aux allures des plus tentaculaires. Façon à elle d’accueillir et de séduire chacun des visiteurs tombés sous le chapelet de son charme. Délice d’apparat en grappes veloutées.
Reines des jardins de curé, sauvageonnes et buissonnantes, prodigieux gauras et intrépides coquelourdes attirent les regards envieux par la vivacité de leurs petites fleurs à l’attrait des plus généreux qui soit. Sous la brise des petits matins emprunts de perles de rosée l’une et l’autre mènent la danse, folle sarabande de vivaces en grâce. De chaque flanc du perron de pierre deux plantureux hortensias garnis d’inflorescences pommées. L’un poudré de nuances mauves à rose pâle, l’autre grimé de tons violine. En plein essor l’éloquence printanière des beaux jours.
Dissimulé à l’autre bout de la tirette le timbre fêlé d’un clocheton chiné chez quelque brocanteur du coin. Digiding, digiding ! Digiding, digiding ! Voilà sans doute le facteur porteur d’une missive au parfum d’amour, ou bien le boulanger avec une grosse miche à la croûte dorée de sa dernière fournée, à moins que… Digiding, digiding ! Personne à l’horizon, à peine une volée de chenapans d’école buissonnière. Sonner la cloche et prendre la poudre d’escampette, le tustet, jeu qui pourrait presque relever du « patrimoine » de l’enfance d’antan. Ancré dans la ténacité certaines traditions contribuent à l’ardeur des terroirs ancestraux.
Par le fenestrou à peine entrouvert, en catimini s’infiltre cette douceur champêtre un temps occultée par la torpeur de l’hiver aux cotonnades brodées de givre. Rehaussé par la clarté dominante l’intérieur, épuré avec soin, se pare de tons clairs tout aussi désuets qu’envoûtants. Ainsi chaque nuance de blanc chuchote sa préférence avec la mièvre lumière du Sud. Secret de bastides au charme ancestral. Hors du temps, ce cocon de calme et de douceur soucieux d’authenticité. Calfeutré à l’arrière des persiennes l’odeur de lavande fraîchement grappillée révèle une certaine insouciance aux reflets satinés. Une porte dérobée témoin de nombreuses intrigues amoureuses dont les murs de pierre conservent jalousement le mystère de vieux rêves décatis. Au fil des générations quelques fantômes à l’esprit tempéré y ont entreposés d’innombrables souvenirs dont chacun peine à se défaire.
Une galerie de portraits sépia orne le hall d’entrée théâtral déroulant sa fresque murale sur un escalier colimaçon enroulé autour d’un balustre de fonte. Une panière en osier, une malle de voyage cloutée, un miroir au tain abîmé, une commode veinée d’un dessus de marbre, un plumier, un encrier de porcelaine, une boite à bijoux, une montre gousset, une canne à pommeau d’argent, une ombrelle de dentelle, une lampe à pétrole, une comtoise qui égrène son lot d’hier et d’aujourd’hui ressuscités.
Bien que l’été n’ait point toqué à la porte, le mercure frôle déjà son lot de records insensés. À grands coups de yo-yo la frénésie caniculaire étouffe les ardeurs le plus véloces. Assoupie le temps d’une sieste, la vie à l’abri des piqûres du soleil, calfeutrée derrière les contrevents. Aucun souffle, aucun chambard, à peine le cliquetis du balancier, imperturbable métronome meublant le profond silence d’après-midi au pied des cendres de l’âtre. Un fauteuil crapaud, un voltaire velours carmin, un vieux club avachi, une étole de tulle, un tapis persan aux couleurs chatoyantes, une bibliothèque feutrée, caverne de livres à reliure cuir. Plaisir de lire qui retranche du monde et ralentit le temps. Bonheur rare, précieux.
Sur le rebord de la fontaine quelques échos de moires damassées déploient l’étoffe des songes. Le souffle court, à perdre haleine, silhouette frêle, regard brillant, la nuit écarlate brodée d’embellies folâtres. Un pan plus large de ciel pour horizon, comme pour privilégier l’atmosphère douce et sereine d’un secret d’alcôve soudain suspendu à la voûte d’un soir de printemps. Selon les dires des anciens une fée y aurait élu domicile. Quelques uns prétendent l’avoir aperçue dans un reflet d’aurore. D’autres bien moins crédules se moquent de ces légendes enjolivées par la piété populaire. Aussi léger qu’une esquisse de fin d’été, un ange en osmose avec l’épure des lueurs.