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Au hasard de ses divagations de spectateur solitaire, il avait préféré emprunter ce petit bout de chemin de campagne, truffé de nids de poule et de tracteurs poussifs de retour des champs, plutôt que la voie rapide qui traversait d’un trait continu ces paysages de splendeurs sans jamais en apprécier l’étendue bucolique.
Dans l’attente de passer sur l’autre bord de la berge, comme à l’accoutumée son esprit vagabondait au fil de la musique en fond sonore. Depuis la nuit des temps il avait cette propension à s’évaporer du monde à la poursuite de ses folâtres pensées qui filaient à tue-tête comme un ballon de baudruche dans les caprices du ciel
Par dessus tout il aimait bousculer l’ordre des choses, sortir des us et coutumes qui embouteillent la fièvre du quotidien. S’affranchir des inflexions de la monotonie, avant que la pureté de l’innocence enfantine ne se perde pour de faux semblants, gâchis de toute pulsion de vie.
Distrait, songeur, rêveur, distant, lointain, détaché, absent. Au-delà, autre part, à l’écart. Intime exploration. Encore plus loin. Ailleurs. Vers ce qui nous traverse et nous met en mouvement. Cette quête de sens, tel un cap que l’on suit, que l’on poursuit. Divine providence.

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La délicatesse des petits matins, le frémissement des palpitations de l’aube, la flamme ondoyante de la palette des couleurs, un défilé de nuages dans un ciel irrité, un bouton de fleur à peine éclos, un champ effleuré en sillons, des murs de poussière sous une bâtisse à l’abandon, des volets clos à l’abri des regards, un bémol porté par les jérémiades du vent, un joli brin de plume de l’exil des anges.
Malgré la sagesse éclairée d’un certain âge, tout est prétexte pour basculer à la lisière des limbes. Voyageur immobile, entre deux fractions de seconde où toute notion temporelle suspend son impérieuse activité. Brève suspension figée dans l’instant. Bulle féconde de futilité. Tour d’ivoire au milieu des cours intérieures. Laps de temps. Lacune que l’on ne cherche point à combler, propre au détachement de la meute des vicissitudes humaines. Instant crucial. Rare et précieux.

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Interloqué par l’insolence d’une telle loufoquerie, il se mit en quête d’indices propices à la révélation de cette caracolante enseigne, digne d’un poisson d’Avril de jeunes carabins en culottes courtes. Depuis la hauteur du pont suspendu à voie unique, vestige d’un siècle passé, on pouvait apercevoir la rivière qui serpente entre les méandres bordés de cette luxuriante végétation dont le bariolage teinte les eaux limpides.
Exquise oasis de fraîcheur en ces temps de canicule estivale. Pas un chat à l’horizon, à peine le frémissement perceptible de la brise légère. Ici tous les évènements révèlent du pur hasard. Enquête de fils à retordre. Aucune chaloupe à mettre à la mer.

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Nichée au confluent de deux cours d’eau tonitruants, la Pointe domine la bastide du XIII° fondée par Sicard Alaman. Au terme d’un long périple à travers le parc régional du Haut-Languedoc, venu des monts d’Espinouse, l’Agout vient se mêler aux eaux argileuses du Tarn, qui depuis le mont Lozère se précipite de part en part des paysages escarpés de montagne, sillonnant un territoire marqué de son empreinte, riche en histoires.
Du haut du pont de pierre de taille, la vue reste aussi imprenable que l’esprit dissident des autochtones qui peuplent les lieux. Mirifique coulée de verdure étendant ses ramifications tout autour du serpent d’eau allant bon train dans le mouvement ondulatoire de l’inconnu. Quelques hérons cendrés viennent y nicher en toute quiétude, trouvant en ces lieux poissonneux copieuse abondance de substantielle pitance. Sentinelles immobiles, droits, cou replié, ils semblent dormir, dressés au cœur de la flore diversifiée.

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Gonflé d’orgueil par l’afflux retentissant de son comparse dramaturge, dans le courant alternatif de ses eaux versatiles, tantôt calmes et tantôt vives, la rivière Tarn, enfant de bohème issue du dieu gaulois Tarnis, poursuit sa fol épopée à la conquête de sa destinée d’affluent. Entre impénétrable et insaisissable, l’énigme des conteurs de fable prend ici des tournures d’incertitude, enorgueilli de franges océaniques. Ici commence la mer.

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Point de mouettes blanches à l’horizon, si ce n’est quelques égarées du lot en compagnie d’une colonie d’aigrettes, grappillant leur menu fretin dans les décharges à ciel ouvert. Enivrées par les effluves des matières organiques en décomposition, les voici déboussolées, ayant perdu tout bon sens du bruissement des vagues et de la mélodieuse complainte du vent sur la grève.
Contraint, forcé, mis à l'étroit par la convenance humaine, les flots récalcitrants endigués au gré d'écluses et autres prises de force. Faisant fi d'autant de sauts d'obstacles, entorses à son libre cours, l'intrépide poursuit sa course aléatoire jusqu'à cette union sacrée avec Garona, la rivière du roc au tumulte de troubadour ponctuant les syllabes scandées comme des vers à rythmique variable. La belle bleue, aperçue au loin, se rapproche peu à peu. Griserie océanique, mélange de pudeur et de fierté. Une bouteille à la mer.

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A contre courant, dans sa course effrénée dans l’entre deux mers, voilà qu'elle croise le mascaret, reflux des grandes marées d’équinoxe, étrange vague qui remonte le fleuve sur une centaine de kilomètres. Phénomène spectaculaire, subtil mélange des eaux douces et des eaux iodées chamboulées par l’onde du grand large.
Plus que quelques obstacles avant de se jeter à corps perdu dans l’immensité du grand estuaire, confluence de la Garonne et de la Dordogne. Territoire aux attraits sauvages entre marais et prairies humides. Espace mouvant en perpétuelle renaissance. Un monde naturel et fragile dont la beauté bouscule les lois de l’entendement.
Une impression de calme et de sérénité se dégage des lieux en lien direct avec la philosophie de ces marins revenus à bon port après de périlleux voyages. Cousue de fil rouge, la révélation retisse le fil de son intrigue. L’estuaire est à lui seul un univers qui s’apprivoise toujours mieux au ralenti.
Résonance et transparence, Maîtres mots en palimpseste dont les contours s'estompent sans jamais disparaître. D'un continent à l'autre, au creux de la vague. C'est le vent du large qui gonfle les voiles.

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Quel est le sens profond de cette quête qui nous traverse et met en mouvement la quintessence de la vie? Sens: le mot à lui seul porte tous les espoirs d’une profonde aspiration dont les remous de l’existence n'ont guère l'apparence d'un long fleuve tranquille. Celui qui nous mène jusqu'au bord de mer. On est tenté d’y voir un signe, on peut y voir la main du destin. C'est écrit: Ô céans. L'infini.

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Le vent en poupe, de la Punta de Sant Sulpici jusqu’à la pointe de Grave, du commencement de la mer aux portes des immensités océaniques. Le défi reste de taille, suivre son instinct, sans jamais renoncer, pour trouver la bonne trajectoire.

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