
Cette passion frivole qui par une douce matinée de printemps les avait étreints à corps et à cris dans ses griffes acérées n’était plus que lointain souvenir suranné dont ils feuilletaient à présent les pages écornées. Sans prévenir le désir et ses folles aspirations avaient filé à l’aune du temps passé ; ils étaient las, l’un et l’autre, bras ballants à ressasser inlassablement le feuilleton de ces instants suspendus à leurs lèvres flétries, tout estourbis de cette piètre quiétude qui avait enflammée leurs émois les plus fébriles sans qu’un voile d’éternité n’ait eu raison de la large déchirure du ciel.
« Ô nymphe! S'il est vrai qu'Éros, le jeune archer, ait su d'un trait doré te suivre et te toucher. » Leconte de Lisle.
Par un prodigieux jeu de miroirs le mirage de leur chatoiement s’était révélé dans la candeur de leurs âmes. D’une franchise aussi innocente que puérile ils crurent en leur bonne étoile, sans se douter un seul instant de la diablerie de ce coquin de sort. Pétillants de cette naïveté qui caractérise les fous d’amour, lors de leur première rencontre ils s’étaient promis, jurés, de ne point ressembler à ces vieux couples aigris et acerbes dont l’usure prématurée avait forci le plus vil de leurs comportements. Si l’amour rend aveugle, l’accoutumée le rend vache. Surtout ne pas finir comme eux. Et pourtant…
Emportés par la fièvre de cet élan fondateur, aux prémisses des fourmillements qui agitaient les zones torrides de leurs nuits sans sommeil, d’un commun accord ils avaient scellés leurs promesses au bas d’un parchemin pour le meilleur et pour le rire, liant et reliant leurs noms en lettres d’or sans se douter un seul instant oh combien la vie trépidante et fougueuse est bien loin d’être ce long fleuve tranquille qu’il avaient cru apercevoir dans le fond de leurs yeux prégnants de réciproque sincérité. Aucune superstition d'auspices et d'augures au faîte de l’horizon tout autour du cadre idyllique, rien ne présageait la complainte monotone des choses inanimées qui enveniment le face à face avec l’infini.
« L'amour ne voit pas avec les yeux, mais avec l'âme ; et voilà pourquoi l'ailé Cupidon est peint aveugle ; l'âme de l'amour n'a aucune idée de jugement : des ailes, et point d'yeux, voilà l'emblème d'une précipitation inconsidéré. » William Shakespeare
Fondue comme cierges pieux à la Madone vénérée, la frénésie des premiers instants avait succombé sous les coups de butoir des lendemains qui déchantent à hue et à dia jusqu’à la rigueur d’une tragédie antique. Quoique l’on en dise, sans aucun signe timoré l’instant de grâce, aussi éphémère que les ailes des papillons épris dans les lueurs estivales, leur fit faux bond sans que l’un et l’autre n’aient pu appréhender l’ombre des continents échoués. En perdition au pied de l’écume des flots, à contempler impuissants l’ampleur de la débâcle des premiers regards échangés sous la voûte céleste. Le cœur en berne, les âmes à la peine.
« Il n'y a rien de plus puissant ou de plus cruel que l'amour. » Lauren Palphreyman
Rancœur, regret, déception, désillusion, déception, défiance, usure, lassitude, déréliction, mélancolie, défection, résignation, renoncement, sacrifice, détachement, amertume, les tourbillons de leurs ébats charriaient des torrents de lambeaux au milieu d’effroyables remous de râles et de suffocations désespérées au cœur d’un quotidien désabusé.
Griffures, écorchures, égratignures, chamailleries, jérémiades, querelles, disputes, au fil de l’inflexibilité des saisons le prince charmant s’est transformé en crapaud commun, quant à la belle princesse en marâtre des bois, fable sordide et cruelle de la réalité d’amours défuntes au milieu d’effroyables remous. Grisé par les tempêtes d’un Poséidon déchaîné, le frêle esquif qui les ballottait au gré des quantièmes rugissants, prenait la houle des eaux noires sous leurs exclamations étouffées. D’invraisemblables nuées éparses à ne plus savoir ni où et ni comment conter fleurette.
Allaient-ils réussir à s’extirper de la flétrissure des jours maussades et retrouver intacte l’alchimie des corps ? Allaient-ils franchir la prochaine étape sans faire naufrage, les corps hurlant à la grâce du ciel ? Après avoir dépassé sans encombre le Cap de Bonne Aventure allaient-ils pouvoir franchir celui des tempêtes de Bonne- Espérance ? Les voiles sont au vent ce que sont les feuilles agitées à la douceur des choses. L’éternité que nul ne saurait étreindre.
« Il est des jours où Cupidon s'en fout. ». Georges Brassens