
Sous un soleil plus que radieux, la foule, dense et bigarrée, s’est donné rendez-vous au rond point du Séquestre, porte d’entrée vers la cité épiscopale. Bleu du ciel immaculé, la croisade des Albigeois, sous le regard médusé des chaines télévisées, mobilisées pour l'occasion. Sous le feu des projecteurs, dimension nationale.
Si pour l'occasion un panel de journalistes s’est invité pour couvrir l’actualité trépignante, c’est sans doute en partie à cause ou grâce, à la venue des leaders syndicaux cantonnés à l’arrière du cordon sécuritaire. Une incursion au sein de la petite cité Albigeoise, terre de Jaurès.
Délocalisation salutaire pour saluer l’ampleur et la détermination de toutes ces petites villes de province qui manifestent leur profond mécontentement. Laissons aux médias le soin de décortiquer cette séquence syndicale hors du commun.

Parce que la France, celle des terroirs, existe bel et bien en dehors du périphérique. Extra muros, la vie au vert, envers et contre tout, jubilatoire. L’amour, tout comme le bonheur, est dans le pré. L’un n’allant pas sans l’autre. N’en déplaise aux énarques prétentieux dont arrogance et suffisance font preuve de tant de grossièretés. Mépris de classe sociale.

Tout comme au premier jour chaleureuse ambiance populaire et fort esprit de solidarité intergénérationnel. Sur les pancartes confectionnées de bric et de broc, les slogans, hauts en couleurs, tous plus inventifs, plus ingénieux les uns que les autres impriment la tonalité de l’action collective. La retraite, sujet d’actualité qui mobilise, qui rassemble et qui fraternise. Tant de chaleur humaine ne peut passer inaperçue. Qu’on se le dise haut et fort !

Entre espoir et révolte, le souffle de l’indéfectible tribun marque sa présence dans chacun des esprits, conscients de l’enjeu. Des plus jeunes jusqu’aux ainés, une seule et même voix à l’unisson. Courage et détermination qui vont de pair. Puis Jaurès s’en vint à la rescousse.
« Une voix qui va jusqu’aux dernières oreilles, agréable, claire, très étendue, un peu aigüe, une voix non de tonnerre, mais de feux de salve » Jules Renard.

Sous un florilège de drapeaux qui claquent au vent, le cortège s’élance au son des pétards assourdissants. Fumigènes colorés, sifflets, tambours et trompettes, cacophonie sonore pour que l’esprit joyeux et festif du défilé soit à la hauteur de la ferveur collective. Quand battre le pavé devient bien plus qu’un simple acte citoyen. Multitude de petites gouttes d’eau qui font faire de grandes rivières.

Après plus de deux heures de déambulation contestataire, le cortège long de quelques trois kilomètres, s’immobilise sous un tonnerre d’applaudissements. Selon les chiffres, un peu plus de 50.000 manifestants pour cette journée historique, soit l’équivalent de la cité Albigeoise.
« Et la rue elle est à qui ? Elle est à nous !. A qui, à qui, à qui ? A nous, à nous, à nous !»
Envahissant la place du Vigan, la jeunesse, bien décidée à en découdre, s’improvise spectacle vivant, scandant a capella « Grève générale » suivi de « La jeunesse emmerde, le Front national… ». Le ton est donné.

Quelques frissons inexplicables tant la cohésion est palpable, ici la démocratie n’est pas un vielle idée décatie, elle s’incarne bien au-delà des clivages politiques qui nécrosent ce pays. Liberté, Égalité, Fraternité. De mémoire d’Albigeois, du jamais vu. Ce soir, Jaurès peut s’endormir tranquille. Qu’il est beau ce petit peuple quand il se manifeste. Comme un rêve, éveillé.

Comme un rêve
Bien souvent, dans la contemplation et la rêverie,
nous jouissons de l’univers sans lui demander ses comptes ;
nous aspirons la vie enivrante de la terre avec une irréflexion absolue,
et la nuit étoilée et grandiose n’est plus bientôt,
pour notre âme qui s’élève, une nuit dans la chaîne des nuits.
Elle ne porte aucune date ; elle n’éveille aucun souvenir ;
elle ne se rattache à aucune pensée ;
on dirait qu’elle est, au-dessus même de la raison,
la manifestation de l’éternel.
Nous ne nous demandons plus si elle est une réalité ou un rêve,
car c’est une réalité si étrangère à notre action individuelle
et à notre existence mesquine qu’elle est, pour nous, comme un rêve ;
et c’est un songe si plein d’émotion délicieuse qu’il est l’équivalent de la réalité.
Jean Jaurès