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Je ne suis qu'un rêveur...

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Billet de blog 20 octobre 2025

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PROMESSE DE L’AUTAN

« S’émerveiller, c’est ne jamais s’habituer. » Christian Bobin

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Illustration 1

Pourquoi donc cette frénétique attirance pour ce simple objet du plus banal des quotidiens auquel je vous voue une aliénable passion ? Aucune explication palpable pour le commun des mortels. Ustensile des plus anodin pour certains, fidèle compagnon de vie il tient cependant une place toute particulière au sein de ma providence.

En remontant le fil du temps, je me souviens si bien de ces instants, un peu édulcorés par un semblant de nostalgie, en compagnie de mon grand-père, héros de mes échappées belles. Dès les premières ébauches de l’automne, d’une impatience non feinte nous filions en vitesse à l’orée de la forêt  jusqu’à nous fondre dans l’enchevêtrement des sentiers en quête d’éphémères merveilles des sous-bois. Cam-pai-ròl. Combien j’ai pu prononcer ce drôle de nom à voix haute dont la résonance n’a cessé de m’émerveiller.

Haut comme trois pommes je peinais à le suivre pas à pas de peur de me perdre au cœur de la luxuriante frondaison. À travers les entrelacs des hautes  futaies les minces lueurs du jour folâtraient au pied  de pans de clairières.  Monde inconnu parsemé de légendes et de mystères qui bordaient chacun de mes songes. Aux aguets, je scrutais le monde bruit un tantinet suspect. Un craquement de branche, un bruissement de feuille, un gazouillis d’oiselet, un souffle de vent. Là haut un écureuil funambule, par là un hibou somnambule, plus loin un faon la bise, à mes pieds un hérisson tout en peloton.

Bien plus aguerri mon grand-père ne souciait guère de ces bavardages bucoliques, d’une attention particulière il furetait selon son gré à travers ce labyrinthe sylvestre qu’il semblait connaître par cœur. Pas trop rassuré je semais des petits cailloux blancs amassés dans le repli de mes poches. Aventurier du moment, petit Poucet au jour le jour. Un brin étourdi, mon esprit vagabondait au plus près des nuages sans que je ne me soucie de faire cueillette.

D’une main leste et habile, à l’aide de son bâton de bois il écartait les feuilles mortes pour dénicher quelques beaux spécimens qu’il déposait avec délicatesse au fond de ma charmotte en osier brut non écorcé. À chaque fois il s’appliquait à me décrire sa nouvelle trouvaille en la nommant avec des noms de son pittoresque inventaire. Parfois je me demandais s’ils ne les avaient pas inventés rien que pour moi. Pradelet, coucourlet, bouziquet, escabrina, doumégal, réméjol, piboulado, bruguet négré et tant d’autres dont j’ai oublié le sobriquet. Et à chaque fois de sa voix caverneuse qui résonnait au fond des bois, tout en roulant les R  il entonnait sa phrase fétiche.

« Que passesse lou Rei, se tiraria pas sou capel, lou camparol »
Que passe le roi, il n'ôterait pas son chapeau, le champignon

Dans l’ombre de ses pas, du bout de mes godasses je m'amusais à faire rouler les bogues de châtaignes tombées à terre. Ainsi s’éternisait la chasse au trésor sans que je ne trouve ni la moindre ombelle, ni le moindre pied surmonté d’un chapeau. Au fond de mon amour propre je pestais contre la terre entière et les dieux de la mycologie. Avec la lenteur d’une limace de bocage je trimballais mon embarras jusqu’à bailler aux corneilles. Tandis que les rayons de soleil dardaient la cime du ciel, accompagnés de quelques  crampes se manifestaient les premiers gargouillis. Même si aucun bruit extérieur ne feutrait au fond de cette tanière, certainement que l’horloge du clocher frappait les douze coups de midi.

Enfin nous allions pouvoir casser la croûte comme il s’amusait à dire. Mamie nous avait préparé une collation digne d’un festin de roi. De son sac il tirait un bout de nappe qu’il étalait sur un carré de verdure, y déposant un à un chacun des mets dont je raffolais. Puis, suivant le cérémonial des repas de famille il dépliait la lame de son fidèle couteau de poche qu’il essuyait sur un revers de manche. D’une caresse familière il entamait fermement de larges tranches de pain. La croûte de la miche qui croustille, son odeur si  délicieuse, il suffit que je ferme les yeux pour qu'encore je m’en souvienne. Hier, un autre jour qui pourrait bien s’accomplir aujourd’hui.

À chaque bouchée je dévorais du regard ce couteau dont il ne séparait jamais, à croire qu’il dormait avec. Malgré ma convoitise je n’ai jamais osé lui demander de bien vouloir me le prêter. Certainement qu’il se serait défilé sous quelque prétexte. D’après ses dires il lui avait été donné par son grand-père et un jour prochain il serait à moi. Du fond de ses grands yeux vert de gris une perle de nostalgie. Entre deux silences, d’un brin bougon il me l’avait promis.

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