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Je ne suis qu'un rêveur...
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Billet de blog 22 mars 2023

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CELUI QUI FUNAMBULE PARMI LES SONGES

En ce monde de manifestations silencieuses, nul pareil pour laisser paraître au travers de nos rires, de nos rêves et de chacun de nos désirs inachevés, la poésie de l’absurde, madrigal de nos nuances subtiles.

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Illustration 1

Son nom aurait très bien pu figurer au bas du générique d’un des films de Buster Keaton. Mais rien de tout cela. Autre temps, autre époque d’un monde désormais révolu. L’épopée glorieuse du cinéma muet estampillé noir et blanc. Si toutefois l’idée le faisait sourire, il préférait s’en amuser, totalement détaché du sort spécial de cette drôle d’implication. Lui, figurant de second rôle n’avait ni le talent, ni l’envergure d’une telle pointure charismatique. Sous posture d’anonymat, point question de rivaliser.

La caméra tournait à vide, faisant des tours de piste en sens inverse des aiguilles d’une montre, avec pour illusion cette faculté de pouvoir remonter le temps. Comme pour retrouver la magie des lustres d’antan au travers de cette lanterne magique qui captivait  l’innocence et la naïveté enfantine.

Depuis peu il avait perdu le fil du récit de son parcours d'enfant de la balle, l’inspiration lui faisant cruellement défaut. En quête de renouveau, il visionnait en boucle les vieux films du comique burlesque qui avait imprégné l’itinérance de son libre parcours, au point de se donner l’illusion d’enfiler le costume du parfait sosie. Sans doute trouverait-il  une nouvelle piste qui allait lui ouvrir les yeux et mettre un terme à cet épisode de disette.

Illustration 2

À son insu, «  L’homme qui ne rit jamais » avait forgé sa capacité à toujours se laisser surprendre jusqu’à toucher au plus près ces vives émotions à l’origine de coups de cœur enchanteurs. Ressentir l’impalpable, approcher l’insolite, jusqu’à y  puiser l’esprit vital de cette quintessence.

Fasciné par l’invraisemblance baroque de ce personnage excentrique, Il connaissait par cœur chacune des ses postures et de ses mimiques qu’il rabâchait à tue tête jusqu’à épuisement. Ainsi donc, bon an, mal an,  il menait sa vie dissolue de saltimbanque, un brin bohème, teintée de quelques nuances poétiques. Sans métier, cent misères.

La désinvolture caractérisée de son attitude nonchalante faisait partie intégrante de son personnage cousu main, en total décalage avec ce fourbi du monde.  Rien ne semblait pouvoir bousculer cette façon de se comporter avec totale liberté qui faisait de lui cet être à part, en marge de toutes conventions.

Si pour certains cette forme décalage semblait susciter quelque sorte de mépris, voir de profond dédain, pour ceux qui avaient l’opportunité de l’approcher au plus près, rien ne laissait paraître telle sentence. Toute différence implique de se retrouver sous la férule de la vindicte populaire. Il était, point. N’en déplaise aux ombrageux, aux soupçonneux et autres frileux.

Illustration 3

Le hasard faisant parfois plutôt bien les choses, au plus inopportun épisode de son épopée il s’était improvisé décorateur de théâtre. Pas de grandes envolées entre planches et tréteaux, juste une scène de bric et de broc, résolument éclectique, dans l’urgence des retrouvailles avec cette fougueuse énergie qui catapulte l’ardeur vitale du spectacle vivant.

À l’écart des foules endiguées, un endroit insolite glané sur les docks, arc-bouté contre le vent dans l’ombre des carcasses des grues oxydées par la rouille et l’abandon. Univers défait voué à la ferraille, cargos en déroute, marins à la dérive, tapineuses effarouchées, mouettes désorientées, sous le regard des fuyants, naufragés de leur propre existence contemplant le vide de chaque bord du précipice. Prochain décor d’une œuvre qu’il voulait effervescente, pétillante de vie, de liberté.

Bien peu ragoutant au premier abord, l’ancien atelier dans son jus saumâtre, maculé de relents de cambouis, d’huile de vidange et de moteurs désossés, allait devenir ce prochain lieu de convergence, chapelle baroque pour que les mots se cognent sur les murs et que la musique survolte l’espace. Curieux voyage au sein d’une nouvelle expérience sensorielle et festive.  

Parfois, il déambulait à l'arrière du vieux zinc patiné par l’orgie des folies bacchanales. À certaines heures tardives de la nuit, il usait ses cordes vocales, à la fois éraillées par les péchés capiteux d’une jeunesse bousculée et de par les longues nuits banches hantées le long du blues de ses propres insomnies. Au vieux port de la lune, sa présence emplie de fougueuses promesses redonnait souffle de vie en cet environnement jadis bancal. Sorte de clan marginal où le cœur bat bien plus intensément que l'azur du ciel un soir d'été.

Illustration 4

Aux chemins de lumière, il préférait les sentiers d’exil, ceux qui mènent vers les lieux d’un temps perdu où les souvenirs vivaces restent ancrés au plus près des ressentis. Avec cette espèce de jubilation à laisser libre cours aux multiples facettes des talents en herbe, véritable fil rouge de chaque improvisation. Donner du sens, aller plus loin, défricher les zones d'ombre. Ailleurs, à l’arrière des sentiers cabossés, à ciel ouvert, au plus près de l'infini des songes.

Sur un rythme trépidant et syncopé, la caméra gesticulait en tous sens, le regard vide, désaccordé. De par la scansion de la mesure, chaque image tournoyait en mouvements confus s’élançant dans l’espace rétréci. Plus de son, juste la parole portée par la beauté du geste. Au commencement était le muet, devenu art perdu.

Éteignez la lumière et la vie s’enlumine, ici, à l’autre bout des lueurs naissantes de l’aube.

« Les souvenirs d’enfance, c‘est du cinéma muet »  Annie Ernaux

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