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Je ne suis qu'un rêveur...

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Billet de blog 22 septembre 2023

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TU COMPRENDRAS QUAND TU SERAS GRAND

" L'enfance est un lieu auquel l'on ne retourne pas mais qu'en réalité on ne quitte jamais" Rosa Montero

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

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Du haut de mes quatre ans et demi et du bout de mes souliers vernis, je regarde ce monde qui m’entoure avec mes grands yeux d’enfant. Au fil des jours j’observe attentivement les uns et les autres sans trop comprendre grand-chose à ce désordre affectif. Comme c’est si compliqué d’être grand !

Je n’ai ni grand frère, ni petite sœur avec qui occuper mes journées. Heureusement qu’il y a mon ours brun, mon plus fidèle compagnon. Comme je ne lui ai pas trouvé de nom, je l’appelle Nounours, c’est bien plus pratique comme ça. Il m’accompagne partout, même que chaque soir il s’endort dans mes bras.

Tiens, l’odeur de tarte aux pommes enjambe le seuil de ma chambre. Maman doit déjà être aux fourneaux. Chouette, aujourd’hui c’est dimanche ! Je peux traîner au lit, et puis papa doit être là. Allez, vite, ni une ni deux, je me lève. C’est le seul jour où toute la famille est enfin réunie.

En semaine, papa n’est jamais là. Il s’en va loin, très loin, travailler sur les chantiers, à l’autre bout de mon nez qu’il me dit au creux de l’oreille. Mais moi, je voudrais bien savoir où que c’est, loin ? Là bas, de ce côté ci, ou bien par ici vers ailleurs ? Personne ne répond jamais à mes questions. « Tu comprendras quand tu seras plus grand. » Même que Nounours y sait pas, lui. Alors je reste seul avec mes idées farfelues qui trottent dans ma petite tête.

Mais avant de s’en aller, papa, à chaque fois il vient me faire un bisou sur le front. Il marche toujours sur la pointe des pieds pour ne pas me réveiller, moi je fais semblant de dormir. Mais chut, c’est un secret entre Nounours et moi. Eux ne comprendraient pas. D'ailleurs ils ne comprennent jamais rien.

Alors je reste seul avec maman et Nounours bien sur. Parfois je trouve le temps bien long, trop long. Chaque matin je regarde le nombre de jours sur le calendrier, je me languis de l’attendre. Pourquoi part-il si loin et aussi longtemps ? Je voudrais bien qu’il m’emmène dans sa valise, comme ça je saurais enfin ou c’est, loin.

Notre famille est si riquiqui qu’elle tient dans le creux de la main. Mes parents y veulent pas d’autre enfant, je les entends souvent se disputer : «  Pas le moment, plus tard, pourquoi pas, faut voir… et patati et patata ! » Pourtant ce serait chouette, non ?  Plein d’autres enfants comme moi ont des frères ou des sœurs et parfois les deux à la fois. C’est trop injuste. Je voudrais bien qu’on m’en prête un ou une, juste pour essayer comme ça, voir comment c’est  d’être à plusieurs, en finir d’être toujours seul.

Maman veut plus que son ventre s’arrondisse comme une baleine et puis papa il dit que les enfants ça coûte cher. Les garçons dans les choux, les filles dans les roses et maintenant les enfants dans le ventre des baleines. Je n’y comprends rien à toutes leurs histoires de grands ! Moi je veux toujours rester petit, ne jamais grandir. Na !

Parfois un vieux monsieur tout ridé passe nous voir, il doit être  muet parce que je n’ai jamais encore entendu le son de sa voix. Personne ne m’en a jamais rien dit, mais j’ai bien compris que c’était un grand- père, mon grand père. Il reste un long moment avec papa et puis il s’en va comme il venu. Aucun regard, aucune parole, un fantôme. Il habite juste à côté de chez nous, mais pas question d’y aller, je crois bien qu’ils sont fâchés depuis longtemps, mais ça c’est des histoires de grands qui ne me regardent pas. « Tu comprendras quand tu seras plus grand. »  Trop compliqué pour moi.

Mon papy, le vrai, il habite à l’autre bout de la France, du côté de la ligne bleue des Vosges, dans un petit hameau tout près de la forêt. Chaque été j’y passe toutes mes vacances, seul, sans mes parents, mais Nounours vient avec moi. Et puis chez papy il y a Blanchette, le chat noir, des poules et aussi des lapins. Avec mamie chaque matin, ensemble nous allons au poulailler ramasser les œufs et puis le soir on donne à manger aux lapinoux. Ils sont trop choux ! Ici les journées passent si vite et le soir je m’endors d’un seul trait.

À la pointe du jour, le coq me sort de mes rêves. Avec mamie, on va au lavoir, je peux faire flotter les bateaux que papy me fabrique avec un bout de bois, des clous et un morceau de tissu pour les voiles. Des fois j’aperçois une grenouille qui sort sa tête de l’eau, mais impossible de l’attraper. Mamie me donne un bout de savon pour faire des bulles qui s’envolent dans de grands éclats de rire. Que la vie est douce est à la campagne. Même pas besoin de frère ou de sœur.

Demain, fini les vacances, papa et maman vont venir me chercher. Je voudrais tant rester ici, mais tous me disent que c’est pas possible. « Tu comprendras quand tu seras plus grand. » Trop nul les grands!

Dis c’est quand les prochaines vacances ?

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