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Je ne suis qu'un rêveur...

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Billet de blog 25 avril 2023

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AU SON DE L’APOCALYPSE

« Le troisième ange sonna de la trompette. Et il tomba du ciel une grande étoile ardente comme un flambeau; et elle tomba sur le tiers des fleuves et sur les sources des eaux. » Apocalypse 8:10

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Illustration 1

Comme chaque année, au prélude nocturne printanier, d'un seul et même élan vital, une foule d’anonymes se rassemble afin de commémorer le terrible événement et pour saluer la mémoire de tous ces valeureux qui ont péri au sacrifice de leur vie.

Dans la lueur des bougies qui scintillent comme un fardeau de songes, chacun  prête religieusement l’oreille aux chants et aux poèmes interprétés par les quelques survivants. Au sein même de ce mélange d’émotions contrastées, rires et larmes se conjuguent à l’unisson telle une résonance fraternelle dont chacun se doit de panser les plaies, cherchant quelque brèche de vérité. Retour de l'angélus et des heures sonnantes.

Sans autre foyer que les esprits meurtris, au plus près de l'épicentre de la pire des catastrophes, flotte comme un sentiment de solidarité, une impression d'appartenance fraternelle, invulnérable cause commune dans sa foi . À lui seul le vertige qui bourdonne aux oreilles.

Quel pourrait bien être le rapport entre l'Apocalypse de Jean et le Tchornobyl des alchimistes épouvantés ?  D'origine ukrainienne, Чорнобиль, signifie « herbe amère », plus spécifiquement « Absinthe ».  

« Le nom de cette étoile est Absinthe; et le tiers des eaux fut changé en absinthe, et beaucoup d’hommes moururent par les eaux, parce qu’elles étaient devenues amères. » Apocalypse 8:11

Illustration 2

Terrés dans les impénétrables entrailles des laboratoires les plus secrets où fuse et infuse la plus grande concentration de matières grises, les alambiqueurs des temps modernes mettaient en œuvre la corrélation scientifique du savoir et de la connaissance afin de percer les profondeurs des mystères de l’uranium enrichi.

Juste après l'intrépide conquête de l’élément feu aux temps préhistoriques des cavernes, paré d’orgueil et d’arrogance, l’humain  se mit en quête d’apprivoiser la puissance démonique de l’infiniment petit, posant sans trop le savoir les bases de la prochaine Apocalypse.

Toujours plus haut, encore plus fort, jusqu’aux racines du pêché d’hybris. L’avènement de l’ère nucléaire aux plus hauts sommets de la démesure. Des terribles bombardements d’Hiroshima et Nagasaki jusqu’à cette date fatidique, gravée dans les jours sombres des diaboliques vanités .

Illustration 3

C'est au cours des années 1970 que la ville de Pripyat émergeât de l’immense complexe de Tchernobyl, fleuron de l’Empire Russe. Inscrit au fronton du cinéma de quartier, en lettres capitales le nom grandiose de Prométhée. Dressée face du bâtiment aux lignes épurées, la statue de bronze représentant le Titan qui osa subtiliser le feu divin afin de le restituer aux hommes. Divine comédie.

 « Mais le brave fils de Japet sut le tromper et déroba, au creux d’une férule, l’éclatante lueur du feu infatigable ; et Zeus, qui gronde dans les nues, fut mordu profondément au cœur et s’irrita en son âme, quand il vit briller au milieu des hommes l’éclatante lueur du feu. » Hésiode- La Théogonie

Sur les cendres de la révolution d’Octobre, la propagande officielle se glorifiait de cette maîtrise absolue de l’atome, inépuisable source de l’énergie du progrès. À l’aube d’une nouvelle ère prometteuse, Velikaya Rus retrouvait le faste des lueurs de l’Empire souverain des tsars. Enorgueilli dun optimisme grandiloquent, le directeur de Tchernobyl affirmait avec prétention : “ Le réacteur nucléaire, c’est comme un samovar. » François Flahault- Le Crépuscule de Prométhée.

Vision prométhéenne de l’homme contribuant à la démesure de l’humanité. Exprimant une force supérieure, le feu reste scabreux à maîtriser. En tant qu’élément déchaîné, il devient impossible à arrêter. Ainsi, il se change en ennemi du vivant et de l’humanité toute entière.

Illustration 4

Dans la nuit du 25 au 26 avril 1986, à 01 h 24, le réacteur n° 4 explose, déclenchant la plus "grande catastrophe environnementale de l’histoire de l’humanité" selon les Nations Unies. Sous un déluge de feu, le démon atomique à l’ampleur de son désastre. Réaction en chaine. L’engrenage fatal.

Passé sous silence radio par les autorités Russes responsables de l’accident qui vient de se produire, la Suède est le tout premier pays à informer le monde du désastre. En ce matin là, à la pointe de l’aube, la vielle Europe décatie s’éveille avec la gueule de bois des jours de mauvaise haleine. En dérobant le feu sacré, Prométhée avait aiguisé le courroux des Dieux.  

Au travers des cieux assoupis, retentissant dans un fracas de tonnerre, l’explosion régurgite une gigantesque torchère provoquant un incendie radioactif qui dévore les alentours quinze jours durant. Non loin de là, une des  forêts voisines porte désormais le nom de « forêt rouge », couleur caractéristique des aiguilles de pins morts. Mirage meurtri de frissons épouvantés.

Tandis que les hommes s’éreintent à bâtir des murs bien plus élevés que toutes les barrières de fortune, près de cinquante tonnes de combustible nucléaire se dissipent dans les airs, laissant échapper l’armada de nuages radioactifs. En toute impunité,  le fameux “nuage de Tchernobyl” se franchit impunément les frontières au nez et à la barbe de tous les gouvernements.

Porté par les ascendants des Carpates, il se répand librement sur l’Europe de l’Ouest et les pays scandinaves, atteignant même l’Amérique du Nord, disséminant ça et là  ses poussières de radiations. Selon les estimations, la quantité de retombées radioactives serait 400 fois plus importante que celles de la bombe d’Hiroshima. Divine malédiction.

Illustration 5

Douloureux héritage de l’aliénation des hommes face à l’aveuglement de leur ivresse.  Devoir de mémoire collective et prise de conscience fraternelle. Sous son sarcophage de béton le volcan muselé reste malgré tout redoutable. À l’intérieur, le cœur fondu est encore radioactif pour quelques milliers d’années. Malgré l’arche gigantesque qui isole le réacteur endommagé depuis 2016, de nombreux capteurs enregistrent de plus en plus de neutrons. Quelle menace hante ses entrailles?

Devenue zone morte à jamais, Tchernobyl reste un des endroits les plus radioactifs de la planète. Située dans la zone de confinement, appelée zone d’exclusion, la  ville fantôme de Pripyat  y subsistera, contaminée pour les 300 prochaines années à venir, à minima. Selon les sources le bilan total de la catastrophe varie entre 4 000 et 93 000 victimes.

De nos jours impérieux, de nombreux combats se déroulent au plus du dépôt des déchets nucléaires de la centrale, où les forces russes ont pénétré depuis la Biélorussie. Selon le président Zelensky, Moscou a recours à la "terreur nucléaire".

Quelle sera l’issue de cette belligérance massive ? La folie des hommes déclenchera t’elle le feu nucléaire ? Il va falloir nous habituer à vivre dans ce chaos vertigineux qui vire au démoniaque, au cœur de ces abîmes où se dissolvent maintes palabres et moultes sermons. De cette interminable homélie, nulle liturgie.

Illustration 6

Déplacée à l’entrée de la centrale, les bras levés vers le ciel, la statue de Prométhée rend désormais hommage à l’armée des  nombreux « liquidateurs », restés sur le site au péril de leurs vies, pour tenter d’endiguer la catastrophe.

« On peut raisonnablement supposer, qu’au moins sept cent mille liquidateurs, civils et militaires, ont travaillé pendant la première année qui suivit la catastrophe, engagés dans un combat titanesque.» Galia Ackerman

Abandonnés à leur triste sort, un des derniers liquidateurs ironise de la sorte sur leur misérable condition : "A chacun ses mensonges, on vous a dit que le nuage s'était arrêté à la frontière, on nous a dit que nous étions des héros. La seule différence, c'est que nous avons vraiment sauvé l'Union soviétique de l'époque, peut-être aussi l'Europe. Et que nous mourons tous à petit feu dans l'indifférence." La Croix

L’interminable mensonge des pouvoirs. La parole flouée dont on estompe les contours pour les rendre trop naïvement crédules. Hypocrisie du mensonge par l’aliénation des foules.

« Il y a pourtant de l’humain dans ces régions là. Et rêver de passer à côté ou au-dessus d’elles fait sortir de la condition humaine et mène au pire » Maurice Bellet- La traversée de l’en bas

Illustration 7

1986 Tchernobyl. 2011 Fukushima. Sous silence de l'atome, l’histoire des hommes défiant les Dieux, inlassablement se répète en boucles. Lancinante litanie des vanités politiques sans grand souci des fagots d'épouvante. Au bord du précipice, le destin précipité de toute l’humanité. Quelle sera la prochaine échéance de l’Apocalypse ?

« Pour la première fois de ma vie, j’ai entendu le bruit de la radiation. Pas le grésillement des dosimètres : le bruit de la radiation, c’est le silence qui hurle. » Vincent de Swarte -Le Paradis existe

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