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Je ne suis qu'un rêveur...

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Billet de blog 26 janvier 2024

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« On peut se perdre ou disparaitre dans une grande ville. On peut même changer d’identité et vivre une nouvelle vie. » *

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Illustration 1
© Vent d'Autan

L’époque avait troublé les esprits et une fois de plus déplacé les lignes de démarcation au-delà des rives Rhénanes. L’Alsace et la Lorraine avaient sombré corps et âme du côté obscur des bas fonds. 1870- 1914- 1939. Trilogie barbare. Dans la führer de l’ombre, la traque aux étoiles jaunes se voulait implacable, triste réalité d’un morne quotidien tapis dans le spectre de visages de détresse. Sous ces allures d’efficience le monde et ses encombres n’était guère plus qu’un vaste chaos sans nom, sans repères, sans lueurs. L’éclat d’une clameur dans l’immensité d’arrière- cours.

Soucieux des vociférations de haine proférées au seuil des jours fauves, avec son patronyme à consonance judaïque, Waldo Blunt, fieffé baladin aux mœurs cavalières avait préféré se réfugier du côté de la capitale et de cette vie Parisienne où résidaient quelques unes de ses connaissances au sein du monde des arts et du spectacle. Dès lors son existence paraissait absorbée dans un songe matinal, à l’écart du fracas des lames déferlantes, mais pour combien de temps encore ?

La valise en cuir noir qui contenait l’essentiel de sa vie de saltimbanque l’accompagnait au fil de son périple expiatoire. Sans aucun regret, faisant table rase de son passé de romanichel il quittait ces lieux devenus l’antichambre de l’enfer. Il n’était plus qu’un vagabond lointain condamné à cette vie d’errance, irrévocable destinée des siens depuis la nuit des temps. Une vie de bohème, de zig et de zag, sans attache, sans ancrage, libre comme le vent dans des paysages inconnus.

« Si l’on habite près d’une gare, cela change complètement la vie. On a l’impression d’être de passage. Rien n‘est jamais définitif. Un jour ou l’autre on monte dans un train.» *

Illustration 2
© Vent d'Autan

À la nuit tombée, au détour d’un étroit labyrinthe de ruelles obscures, à cette heure fatale où pas mal de chats se font gris, accompagné d’un pianiste de talent médiocre il faisait un numéro de claquettes au sein du Cabaret de la Plume, 13 rue des Saints Pères, non loin de la place de la Concorde. L’endroit assez coquet était fréquenté par une foule disparate d’insouciants ivres de jouissance au cœur de ces longues nuits d’insomnie antidote à la clameur guerrière.

Après son passage sous le feu des projecteurs, Waldo, Casanova de basse- cours, y faisait son joli cœur flattant et aguichant ça et là la gente féminine venue s’abandonner aux délices d’un moment d’égarement. Et chaque soir, son charme ravageur de brun ténébreux produisait son effet, à coup sur il repartait au bras d’une des plus jolies filles du lot. Lui, l’accompagnateur mondain ne pouvait se résoudre à quelque rempart de solitude. En son for intérieur ce gouffre béant où les dieux mènent la danse.

«Mais l’inconnu est l’homme des foules, et il est vain de le suivre, car il restera toujours un anonyme, et l’on apprendra jamais rien sur lui.» *

Un soir de grande affluence où l’effervescence des lieux laissait libre cours à multiples excès, il rencontra celle qui sans le savoir allait devenir son cœur de cible. Une grande brune aux yeux verts qui accaparait toute la lumière. Subjugué par la grâce et la beauté de cette libellule du soir, son sang ne fit qu’un tour. Dans le scintillement de la nuit le ciel venait de lui décocher une étoile.

Bien loin de son entourage mondain, Geertruda Oppenheimer était venue là un peu par hasard, portée par l’entrain de ses amis bien décidés à chasser la morosité ambiante qui couvait sur la capitale, comme s’il leur fallait conjurer le mauvais sort par n’importe quel zèle enthousiaste. Mais pour combien de temps allaient-ils pouvoir se dérober à l’inflexible destinée du monde aux abois ?

Sceptique au tout premier abord, elle s’était laissée entrainée aux frivolités de cette folle nuit loin des tracas du quotidien. Emportée dans ce tourbillon de réjouissances elle s’affranchissait de la pesanteur de sa lignée, imprégnée de cette appartenance suprême entre grandeur et éminence. À vingt ans, on a tant besoin de fraîcheur et  de légèreté que parfois l’insouciance vous mène au pire.

« Sous leur regard, la vie courante finit par s’envelopper de mystère » *

Illustration 3
© Vent d'Autan

Waldo n’avait d’yeux que pour elle. N’exauçant que ces plus sombres desseins, il se devait de conquérir son cœur de riche héritière d’une des plus grandes familles de diamantaires installées sur la place Vendôme. Pour sur son destin prenait une tout autre tournure, lui le petit escroc de pacotille tenait peut-être là au creux  ses mains sa revanche sur la vie. Âpreté du pouvoir, âpreté de l’argent, autant de recours pour s’extirper de sa piètre condition où se défont maintes palabres. Ultime planche de salut.

Geertruda allait lui servir de marchepied pour accéder à de bien meilleurs augures. L’amour n’était que prétexte illusoire à de feints secrets de faste et de gloire. Sous son regard filandreux se camouflaient d’haïssables meurtrissures, nul ne pouvait le croire infaillible dans sa quête de prétention. Certains décryptent la réalité, d’autres se content de l’observer. En finir avec cette rancœur d’affiliation à sa propre lignée ployant sous le faix de la fatalité.  Poursuivre sa ligne de vie, coûte que coûte, quitte à s’affranchir de la sentence des Dieux afin qu'il y ait plus de page inachevée. Sale teint banque…

« Il y a des êtres mystérieux- toujours les mêmes- qui se tiennent en sentinelle à chaque carrefour de notre vie  » * Patrick Modiano

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