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Je ne suis qu'un rêveur...

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Billet de blog 27 janvier 2023

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Gueules noires, terres de houille

Patinée par l’impétuosité des vents, contrariés au gré d’effluves marécageux, la topographie des lieux, chargée des vicissitudes des saisons porte burinée en son sein, l’empreinte indélébile des affres d’un temps honni, classé dans les registres de l’Histoire de l’humanité au chapitre de l’exaction humaine.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© nadia-herrati

Du bassin minier du grand ch’Nord, classé au patrimoine mondial de l’Unesco, jusqu’au plateau de schiste Carmausin du Ségala, dans les pas de l’infatigable tribun à la barbe fleurie se dessine l’impériale hégémonie de la domination des hommes et des éléments qui composent le vivant.

Mêmes répétitions, mêmes similitudes de ces alentours de solitude, affectés en leurs chairs par la trame de vies de meurtrissures. Destinées croisés de ces gueules noires sacrifiées sur l’autel de la dévotion à la révolution industrielle. Au temps de la mine, de cette manne providentielle qui fit vivre quelques milliers de laborieux avant le crépuscule du minerai et de ses vassales. Apogée et déclin de l'exploitation des territoires du charbonnage. Coke en stock.

Vies fracassées dans le froid et l'effroi de ces houillères, à courber l’échine et à se crever la paillasse à coups de grisou et de silicose. Malédiction karmique de générations dévouées au progrès du développement d’une civilisation au faîte de sa gloire. Acteurs d’une force silencieuse, privés de l’essentiel de vivre. Tragédie en sous sol, mineur.

Illustration 2

Sous terre ils s'en sont allés creuser dans les entrailles des limbes. Immersion dans la fièvre quotidienne de ceux qui se consumaient à bras le corps pour extraire le précieux minerai, combustible industriel de cette société en plein essor. Une humilité à toute épreuve, fierté d'un héritage de deux siècles d'histoire du monde du charbon. Fantômes d'un passé glorieux.

Eux, qui chaque journée, la peur au ventre, les tripes nouées, la gorge serrée d’angoisse descendaient par centaines et milliers, le long du puits des Enfers jusqu’au plus profond des entrailles des fosses d’extraction de la houille. Cette perle d’un noir profond qui se moque éperdument de leurs visages figés comme la pierre. Tous devant travailler dur, vite et profond. Mains noires qui s’emballent pour ramasser le filon. L’essor au détriment de leur sort.

Eux, qui, exténués par d’interminables journées souterraines, à gratter la croûte de la terre dans les poussières de silice cristalline. Enfouis dans les boyaux des cavités souterraines, comme des étrangers en guenilles. Les murs y sont mauvais. Noirs. Comme le fond.

Eux, les damnés de cette terre qui les avait vus poindre et qui bientôt, allait les voir succomber, d’épuisement, de mort lente et d’implacable asphyxie. Comme une haleine fétide aux accents maléfiques.

Eux, qu’un jour ou l’autre, elle se devrait d’ensevelir en son ventre nourricier. Au sein de paysages trompeurs, comme si la vie n’était plus qu’un songe à sombrer dans ces torrents de larmes, rugissant en silence en cette monstrueuse supercherie.

 Eux ces enfants cloîtrés entre cordons et corons, vase clos de misère et de déchéance sociale. Nuit et jour l’obscurité y crachant son ombre en sédiments anthracite. Mineurs de fond, forçats sans nom.

Illustration 3

Du haut des terrils iconiques, les montagnes de déchets encombrent la platitude de ce pays coltineur de germes prolétaires. Familles de mineurs, fierté au cœur, chacune portant haut et fort les douleurs anonymes de leur passé peuplé de peines infamantes. Fantômes aux contours irréels et spectres aux traits décomposés par le chagrin et le poids de la famine, des grèves et de la misère. Graines de Germinal à jamais présentes dans les gènes des descendants de ces forçats de l’ombre.

Quand par ici, en ces terres suppliciées, tempêtent les rafales de l’Autan, on peut entendre geindre à travers les carcasses de métal de ces tours décharnées, le murmure des houilleurs du bassin minier. Chimères abandonnés à leur triste sort. Essor industriel laminé par les appétits féroces de la mondialisation rampante.

Illustration 4
Cagnac les mines © Fonds Aimé Malphettes, Collection Musée-mine départemental

Depuis peu, sous l’influx mémoriel d’un passé en voie d’extinction, les territoires miniers sont devenus la nouvelle coqueluche de quidams en quête de sensations fortes. Passage obligé en ces lieux qui se doivent d’être vus et photographiés sous toutes les coutures pour être partagés l’once d’un instant, avant de zapper à l’inutilité de tout autre chose.

Qu’auront- ils retenus de cette immersion en terre de houille ? L’instant de cette escapade buissonnière, se seront-ils imprégnés de l’ampleur des drames de cette tragédie sociale ? Auront-ils conscience du fardeau de ces damnés de la terre ? Se seront-ils imbibés de la sueur des lieux ? Auront-ils senti le soufre de ces douleurs silencieuses, murées dans les entrailles des cordons ? Qu’auront-ils ressentis ou même retenus des décombres de ce passé auréolé de luxuriantes scénographies ?

Repus de tout leur soûl, ils s’en retourneront en leurs pénates, repus de cette satisfaction contrefaite, bercés par l’accomplissement de l’illusoire. Sans affect et sans état d’âme, vers d’autres aventures singulières, épisodes romanesques de conquistadors en mal de vivre. 

Illustration 5

Et dans ce puits de douleurs, portée par le lyrisme de l’Autan, une voix singulière qui s'élève dans les profondeurs de la nuit rappelant son combat contre le pouvoir absolu du patronat. "Dans l'esprit de beaucoup de patrons, le droit de l'ouvrier est précaire et révocable et cesse dès qu'ils en font un usage qui déplaît au patron lui-même".

Ainsi se manifeste Jaurès pendant les grèves de 1892-1895 dans le but de défendre les revendications ouvrières. Accusé à plusieurs reprises d’avoir manipulé les mineurs afin d’accéder au pouvoir, dans un article de « La Dépêche »  du 29 août 1892, il écrit : « Nombreux sont les imbéciles à la tête creuse, au cœur vide, qui ne peuvent pas comprendre qu’on serve, sans arrière pensée personnelle, une grande cause ».

Dix semaines de grève et d’affrontements qui ont permis le succès de la lutte, malgré l'intervention de la troupe armée appelée pour faire respecter "la liberté du travail".  L'évocation des luttes sociales d'antan renvoie invariablement au "grand homme": Jean Jaurès; "le député des mineurs" que bon nombre de Carmausiens nommaient fraternellement "Nostre Joanon".

"C'est ici que Jean Jaurès est devenu Jaurès, en s'engageant à fond en 1892 dans la première grève politique des mineurs pour arracher la réintégration d'un syndicaliste licencié alors qu'il venait d'être élu maire de Carmaux, le premier maire socialiste de la ville", explique le directeur du musée du verre de Carmaux, Laurent Subra.

Un siècle plus tard, la résonance de son engagement  livre le récit universel, porteur d’espoir et de dignité d’un moment d’humanité partagée au croisement de l’histoire. Carmaux la prolétaire et los carbonièrs ( mineurs de charbon). Pour qu’hommage soit rendu aux sacrifices des générations passées

Illustration 6
Fermeture de Oignies 1990 © Edmey

Mémoire culturelle. C'est en décembre 1990, un jour d’hiver froid et gris qu’a été extraite de la fosse 9 de Oignies (près de Lens) la dernière gaillette de charbon. Point final de l’extraction minière et de l’ensemble de ce gisement minier Nord/Pas de Calais totalement souterrain.Terre de mémoires, la région reste fidèle à sa renommée et raconte l’histoire de son passé minier, 270 années d’activités charbonnières. Fin d’une époque.

Une nouvelle page d’histoire s’ouvre en 1984 pour nous conter l’or noir, l’aventure des mines. Le charbon collant à la peau de la région, l’ancienne fosse Delloye à Lewarde dans le Nord, un des « joyaux » des temps, accueille dans l’authenticité du lieu, un musée historique, des expositions ponctuelles ou permanentes documentées dont une sur la découverte des énergies, mais aussi un ensemble d’archives référencées : bibliothèque, cinémathèque et photothèque.

Un voyage éphémère au cœur de la mine (Lewarde) est proposé reprenant l’évolution au fond, les modifications technologiques, les changements relatifs aux conditions de travail des hommes, femmes et enfants « allant au charbon ». La peur du premier jour, les salaires, la formation, les dangers du fond, la silicose, les maladies pulmonaires, la reconversion, la solidarité, le travail dévolu aux enfants. On y évoque les catastrophes minières (coups de grisou, éboulements, chaleur...) jonchant ces presque trois siècles d’activité.

Un moment partage en ce ventre de la terre dont les parois sont chargées d’histoire (de 1720 à 1990), lieux emblématiques des mineurs se retrouvant face à eux-mêmes, à leurs éventuelles pertes d’identité, à leurs solitudes, interrogations, blessures, angoisses... Ces lieux et témoignages désormais ouverts à d’autres champs culturels, ressources inespérées du passé pour l’avenir. Les sciences, l’art, le cinéma et l’écriture!

Illustration 7
Corons et cités minières Hersin-Coupigny © Edmey

Mémoire humaine. L’esprit et l’histoire de la mine ainsi que l’âme et le souffle des hommes, des femmes et des enfants sont repris dans un clip  sorti en 2020: Symbiose, réveil sur le terril (Oignies); gestuelle et chorégraphie d’une transmission intergénérationnelle. En 2022, pour les dix ans d’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco, « Bouge ton bassin ! » reprend les thèmes de solidarité, d’ouverture au monde et à l’autre ainsi que celui du respect de la diversité culturelle.

À ce moment mémoire du bassin minier Nord/Pas de Calais, sont associées les dix ans du Louvre Lens. Des photographies noir et blanc de Robert Doisneau (plus célèbre photographe de l’après-guerre) y sont exposées reprenant le travail à la mine et son monde mais aussi les moments de détente, d’entraide et de camaraderie. Paroles de mineurs: « La vie était souvent difficile avec ses joies, ses peines mais tant de soleil dans le cœur de ceux qui y vivaient ». Rencontres et loisirs dans les estaminets, orchestres amateurs, harmonies et Brass bands créés au sein même des compagnies minières et vie familiale et sociale dans les corons.

Les cités ouvrières, d’abord en barres de maisons accolées, évoluent peu à peu avec jardins et espaces verts afin d’éviter l’affaissement d’un sol truffé de galeries. On y naît, on y vit, on y meurt. Les maisons, propriétés des houillères, retiennent la main d’œuvre, mettent en sourdine les revendications sociales, entretiennent la hiérarchisation, l’isolement et l’assujettissent de la classe ouvrière. Le tout contrôlé par des gardes aux fonctions plutôt obscures, yeux et oreilles des houillères et des corons.

Illustration 8
Chevalet de la base du 11-19 de Loos en Gohelle © Edmey

Mémoire sociale. L’histoire raconte la mémoire des luttes d’antan et la reconnaissance de l’homme et du travail : les mineurs affrontent, collectivement, pénibilité et dangerosité, dans la grande diversité de leurs langues, patois, occitan, italien,espagnol, polonais, portugais... Des conditions de travail et de salaires défendues lors de grèves ici et là en France mais aussi dans la région Nord/Pas de Calais : en 1833, la
première révolte sociale pré-syndicale, « l’émeute des quatre sous ». En 1884, la grève des mineurs d’Anzin aboutit à l’autorisation des syndicats et inspire Émile Zola pour son roman Germinal.

À Courrières en mars 1906, une violente explosion souffle cent kilomètres de galeries souterraines. Ce matin-là, 1 099 mineurs meurent dont 242 enfants âgés d’à peine douze ans. Seuls 589 rescapés parviennent à s’extirper du brasier.

Illustration 9
Jaurès © Vent d'Autan

« Justice ! »  c’est ainsi que Jaurès titre son éditorial du 11 mars 1906 dans le journal « l’Humanité » (dont il est fondateur) lors de la tragédie de Courrières. « Le cœur se serre de douleur et d’angoisse devant la catastrophe de la mine de Courrières.,. Ils peinent, ils souffrent, ils meurent, et une large part du produit de leur travail va gonfler le capital oisif. Ils creusent les galeries profondes ; ils déchaînent au contact de leur pic ou de leur lampe les forces de destruction qui ensevelissent sous la terre éboulée ou dans les flammes jaillissantes des centaines d’hommes ; et ils peuvent être renvoyés par le caprice d’un porion... Car la mine appartient au capital, elle n’appartient pas à la communauté et au travail. »

Outre ses écrits, Jaurès est connu pour son art oratoire hors pair d’ « Une voix qui va jusqu’aux dernières oreilles, agréable, claire, très étendue, un peu aigüe, une voix non de tonnerre, mais de feux de salve » selon l’écrivain Jules Renard.

Le 9 mai 1906, les ouvriers, en grève suite à la catastrophe de Courrières, reprennent le travail obtenant un maigre repos hebdomadaire. La compagnie est blanchie de toute responsabilité par un non-lieu rendu par le tribunal de Béthune, le 11 juillet 1906. « Les catastrophes seraient moins cruelles si elles étaient imputables à la seule nature et si l’humanité avait fait tout l’effort qu’elle peut faire pour les prévenir », écrit alors Jaurès (assassiné le 31 juillet1914).

Rappelons nous, en mai-juin 1941, la grève oubliée, « grève des cent mille mineurs du Nord contre l'occupant », un des premiers actes de résistance collective à l'occupation nazie en France. En 1948, la grève générale et nationale réprimée à balles réelles par le pouvoir, les forces de l’ordre, l’armée et les réservistes... 6 morts, de nombreux blessés et plus de 3 000 mineurs abusivement licenciés.

En 1963, « Le fond, c’est chez nous » ont déclaré les mineurs. De forces vives du pays, ils deviennent du jour au lendemain de farouches grévistes contre la fermeture soudaine des mines. Un arrêt mal préparé, mal géré et pourtant décidé depuis quelques temps déjà par le gouvernement. 1990 voit finalement la fin des mines dans la région Nord / Pas de calais. Un passé minier lourd d’exploitations dans tous les domaines, charbons ardents d’une vie vouée au capitalisme mondial, entremêlé de luttes, de combats ouvriers en quête de reconnaissances, de dignité humaine, de valeurs sociales.

 Marc Ogeret chante « Enfer-les-Mines »,  poème de Louis Aragon sur la fermeture des puits du bassin Nord-Pas-de-Calais : « La colère a le goût sauvage du charbon. »

Illustration 10
Terrils jumeaux de Loos en Gohelle © Edmey

Mémoire naturelle. La région cajole ses terrils, vestiges des activités charbonnières symboles d’une industrie disparue. 200 collines minières, montagnes coniques, plates ou mamelonnées de résidus issues du tri du charbon, s’étirent sur 120 kms de long, 12  de large, façonnant la paysage de la région. Ces terrils préservés, bosses du « plat pays », deviennent des écosystèmes exceptionnels et des refuges sauvages pour la faune et la flore. Les lézards de murailles comme les crapauds s’y nichent furtivement. « Les chevrettes de terril » friandes en végétaux et réputées pour l’originalité de leur fromage, pâturent en liberté, protectrices de la biodiversité et des paysages caractéristiques des terrils.
Les pêcheurs de gardons, brochets et sandres profitent, comme les tritons, les martins-pêcheurs, les hérons cendrés, d’étangs naturels. Des vignes de Chardonnay sont plantées profitant du schiste, du grès et du sulfure, résidus du charbon sur un terril d’Haillicourt ... un
petit folklore audacieux.

Certains terrils, couverts de verdure naturelle ou magnifiés par de simples coups de pouce de l’homme, sont aménagés pour les randonnées. L’un d’entre eux accueille une piste de ski synthétique et des téléskis, un autre un lac pour le ski nautique, sports accessibles aux plus
modestes, perpétuant encore aujourd’hui l’esprit de solidarité si cher au pays des mines.

Illustration 11
Chemin de randonnée terrils de Loos en Gohelle © Edmey

L’extraction, le traitement et la combustion du charbon, fleuron et moteur de la révolution industrielle du 18ème au 20ème siècle, énergie fossile non renouvelable, se révèlent être une catastrophe pour le climat et l’écologie de la planète. Les émissions de gaz à effet de serre, les rejets en CO2, en gaz toxiques, en méthane et poussières ont pollué et polluent encore l’atmosphère et les sols, une bombe pour l’environnement et un drame pour la santé du vivant.

Illustration 12

Depuis la nuit des temps, en cette insatiable quête, l’homme fouille et gratte les entrailles de la terre. Cupidité de son âme. Ainsi s'épuisent les ressources naturelles, vouées au profit des sols érodés. Fièvre de l’or, fièvre des minéraux, fièvre des minerais. État d’exaltation morbide.

 Profanée, mutilée, abusée, éventrée, Gaïa la douce, Gaïa la bienveillante, en proie aux rapaces de la désolation, moribonds passagers clandestins. Cupidité et avidité, désirs ardents de cette tenace voracité. N’y aurait-il point un penchant autodestructeur dans ces tourbillons carnassiers ? Comment restreindre ces féroces appétits à l’impératif de se contenter du peu, quota de sa simple part d’humain, sans préemption abusive ? Tous les enjeux d’une nouvelle ère industrielle. Et si l’histoire de l’humanité n’était qu’un éternel renoncement…

Illustration 13
Duetto © Edmey- Vent d'Autan

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