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Je ne suis qu'un rêveur...

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Billet de blog 27 mai 2024

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DÉCALCO-MANIE

« Tous les dragons de notre vie ne sont peut-être que des princesses qui attendent de nous voir heureux ou courageux. » Rainer Maria Rilke

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Décalcomanie © Magritte

Dépêchée en urgence la jeune fille arbore un de ses plus beaux sourires de nature à enchanter le monde. Un ange aux cheveux d’or, tombé là par le plus grand des hasards. Pas question de faire lambiner les clients, tout aussi impatients qu’exigeants. Question d’éthique commerciale. Au cœur de la cohue matinale, pressés d’en découdre les chalands se bousculent pour gagner une place comme si le temps leur était compté.

Frêle brindille dans l’air du temps, la libellule aux grands yeux verts fait biper les articles d’une célérité à faire pâlir de jalousie. Monotone mélodie du tiroir caisse. Tandis que le tapis roulant avance d’une case, de sa voix sucrée pétille un ravissant bonjour. Profitant d’un laps de temps, elle relève les manches de sa veste en polaire floquée à la marque de l’enseigne. Le long de ses avant-bras, deux imposants tatouages à l’encre de Chine. Noir ébène sur sa peau diaphane. Ingénue des temps modernes.

Reproduites à fleur de peau, les estampes paraissent si réelles qu’elles semblent éclore dans le lointain des plaines éthérées. La manière d’estomper les ombres par la trame des traits souligne la précision du geste dont l’intérêt semble se porter sur le choix iconographique de l’œuvre. Dragon à tête de feu veillant sur les pommes d’or du jardin des Hespérides, farouche et ombrageux monstre ailé revêtu d’une armure d’écailles. Motif récurrent dans le tatouage Irezumi japonais. Entre tradition ancestrale et phénomène de mode le corps devient support indispensable à l’identification de la personne sociale.

« Qui a ouvert les portes de sa gueule ? Autour de ses dents habite la terreur. Superbes sont les lignes de ses écailles, comme des sceaux étroitement serrés. Chacune touche sa voisine ; un souffle ne passerait pas entre elles. Elles adhèrent l’une à l’autre, elles sont jointes et ne sauraient se séparer. Ses éternuements font jaillir la lumière, ses yeux sont comme les paupières de l’aurore. Des flammes jaillissent de sa gueule, il s’en échappe des étincelles de feu. Une fumée sort de ses narines, comme d’une chaudière ardente et bouillonnante. Son souffle allume les charbons, de sa bouche s’élance la flamme » Livre de Job 

Illustration 2

En vis-à-vis, dans le sillage de ses veines estompées, cet étrange fleuron ornemental, vil et obséquieux dont le mouvement rappelle celui d’un reptile ondulant en un enthousiasme sans pareil. À chaque mouvement de son corps l’animal fabuleux prend soudain vie en un flot d’indicibles terreurs, prêtes à renaître sous l’influx des forces occultes. Le combat des Titans ne fait que commencer. L’univers créé par ces esquisses conservant ses propres mystères, le noir demeure le moyen d’expression le plus abouti, plongeant l’imaginaire dans les méandres de la pénombre.

Les images se succèdent en syncopée, en tête du défilé de héros complaisants, Saint Georges terrassant le dragon.  Teinté de sublime, le preux chevalier incarne de majestueuses élévations. Entre mythe et mythologie, les tatouages flirtent avec les songes inachevés. Une touche de frayeur ou de sensualité sur la peau.

« Monsieur…. C’est à vous ! »

Illustration 3

Peu à peu l’air vif de l’extérieur lui fait reprendre ses esprits. En y prêtant un peu plus attention, il se surprend à croiser de plus en plus d’individus estampillés d’impérissables attributs. Effet de mode, phénomène de société, personne n’y échappe, chacun garant de son individualité propre affichée sans pudeur. Il ne peut s’empêcher de repenser à tous ces rescapés de l’enfer, réduits à un simple numéro sur l’avant bras, abjecte signature de l’horreur.

De tous temps au travers des rituels sacrés des tribus indigènes le tatouage, tribal et ancestral s’est imposé comme un art corporel, devenu l’apanage des marginaux : marins, bagnards, galériens, forçats, voyous, truands, yakusas, bikers, rockeurs, punks, skinheads, etc. Toutefois cet aspect symbolique et revendicatif s'est dilué en une démarche purement esthétique. Phénomène de mode, tendance de l’instant. Désormais chacun se tatoue pour affirmer son individualité, bien moins que son appartenance.

Sans que pour autant l’irréversibilité du geste ne lui fasse regretter son coup de folie, lui vient à l’idée cette irrépressible envie de fanfaronner pour seulement quelques jours, sans aiguilles et sans douleur. Simplicité du geste, fièvre passagère. Pour que rien ne dure, juste l’instant. Un simple tattoo façon Malabar. Décalcomanie, manie décalco, madeleine Proustienne. Gourmandise d’école buissonnière à la saveur de bulles de chewing-gum. Intemporel.

Les Zorros, les bandits

Les Mickeys, les Plutos

Mambo les roploplos

Des pin-up en maillot

Elle est mambo la maladie

Elle est mambo la manie

Mambo mambo le décalco

Mambo mambo la décalco-manie

Richard Gotainer

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