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Je ne suis qu'un rêveur...

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Billet de blog 27 août 2023

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À PEINE LE TEMPS QUE LES BOURGEONS NE VERDISSENT

" Le temps passe. Et chaque fois qu'il y a du temps qui passe, il y a quelque chose qui s'efface." Jules Romains

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Illustration 1

Frappé de stupéfaction, dés qu'il apprit la nouvelle son sang ne fit plus qu'un tour. Parcourant de long en large les pages du journal, il voulut à tout prix s'assurer de la véracité de cet entrefilet un tant soit peu laconique. Détachant chacun des mots les uns à la suite des autres, il entreprit d'en décomposer la structure grammaticale comme pour y traquer le moindre des indices. 

Il lui fallait en savoir plus à propos de cet évènement glissé de façon si anodine dans les chroniques de fin de page. N'y tenant plus il s'empressa de fouiller dans les archives familiales propices à cette quête qu'il menait depuis belle lurette. Question d'honneur plus que de principes. Une fois encore il s'empressa de relire à voix haute la coupure de presse extraite du quotidien, mettant en exergue certains mots clés. 

« .....en vue de la préservation du site classé au patrimoine de l'Unesco, d'importants travaux de rénovation et de réhabilitation de la digue débuteront au début de l'automne après la vidange du bassin.... »

Depuis le temps qu'il attendait cette opportunité de pouvoir fouler la terre de ses aïeux engloutie dans les flots endigués. Transmise par voix orale au fil des générations, cette histoire contée devenue légende avait fait le tour des clochers pour parvenir jusqu’à lui au cours d’une conversation surprise au coin du feu. Comme un secret honteux que l’on tait et que l’on cache par peur, par pudeur ou par simple idiotie. Les bannis de la terre en proie à l’errance du destin des déracinés.

Illustration 2
La Capelete © Laurent Basitde

Déployant avec malice l’étendard de son courroux depuis les contreforts de la Montagne Noire jusqu’au dôme pelé de la Capelette ouvert aux quatre vents, voilà l’Autan qui s’engouffre dans les traverses de la forêt de l’Aiguille où jadis trônait ce majestueux hêtre tricentenaire, terminant son périple de trublion au pied de cet écrin de verdure et de fraîcheur. Profitant du soleil levant, chacun de ses reflets changeants se mirant à contre jour dans le calice des eaux  striées qui sous la grand houle se mettent à mugir en vagues déferlantes, véritable mer intérieure au creux des montagnes.

Sous l’impatience des jours à venir, scrupuleusement il se mit à guetter toute trace d’activité humaine. Pour l’instant la ligne d’eau culminait encore à son point d’apogée, le surplus se déversant dans l’avaloir qui en contrebas alimente ce geyser intrépide défiant les lois de la pesanteur. Insolite escapade où chacun se doit d’y prendre la pause.

Chaque matin que la nuit découvre de ses flambeaux, dès la toute première heure, à toute hâte il se rend sur le chantier, entamant inlassablement le tour du lac pour en discerner la moindre des métamorphoses qui renferment en ses entrailles l'âme d'un monde inanimé, dévoyé dans les replis de l'oubli. Mélancolie pétrie de sollicitude. 

Curieux et badauds ne cessent d'affluer en masse, déambulant le long de la digue pour immortaliser l'évènement décennal. Depuis la terrasse du grand Hôtel du lac surplombant l'édifice dans un cadre d'exception, les hôtes de passage peuvent contempler cette immense étendue vidée de l'intégralité de ses eaux. Six millions de mètre cubes emportés dans le tumulte des flots. Ici même fut tourné l'enfer de Claude Chabrol, mettant en scène l'imparable beauté de ces paysages en camaïeu de vert, propices aux intrigues les plus confuses. 

Illustration 3

D'une pudeur faussement déguisée, les racines tortueuses des majestueux pins parasols à l'incomparable silhouette désormais à nue plongent en inextricables ramifications jusqu'au plus profond du fangeux limon déposé par d'infinies strates.

Dès que le crépuscule gagne le ciel, défiant les dangers et les interdits, pris d’une force irrépressible, sous le crissement des graviers il s’aventure jusque dans le lit révélé du petit ruisseau. Qui put bien croire que le mince filet d'eau du cours du Laudot sillonnant le long de monceaux de pierres puisse ainsi alimenter ce monumental bassin de retenue, clé de voûte de l'architecture de Paul Riquet, bâti entre 1667 et 1670 ?

Aucune trace, aucun vestige de l’épopée de ceux qui ont séjourné en ces lieux.  Juste quelques ombres poudreuses soustraites aux regards insouciants, dérobade de fantômes errant sans fin dans les méandres  d’un passé décomposé.

Avait-il rêvé d’une histoire fabulée, enjolivée par la magie des contes ancestraux entre balivernes et fabulations ? Sans presque plus de souvenirs, la mémoire ancestrale n'était plus qu’un oubli aussi vulnérable  que les pages d’un parchemin défait dans la lenteur d’un silence replié  sur cette sensation de dépossession, de vide entre les siècles où le temps se déploie en infimes parcelles d’abandon.

Le petit pont de pierre  par-dessus l’étroit ruisseau, la cloche qui avec grande application tinte les heures timides et solennelles, le tâtonnement fébrile des saisons, les faux fuyants des générations, l’éclipse des destinées, le temps qui brouille les pistes, les pesanteurs fraternelles après si longtemps de sommeil, la pesanteur des silences chaussés de mauvaise haleine, les âmes déchues dans les tréfonds du ciel.

Grandeurs et décadences d’un temps d’abandon prodigieux. Un monde perdu à jamais, englouti dans le cataclysme des flots dont les frontières oscillent entre illusions et déceptions dans la plus mortelle des indifférences.

Le long des berges encore humidifiées s’est déposé un tapis uniforme de mousse verdâtre  donnant aux bords du lac vide un aspect engazonné. Assis sur une pierre, un viel homme au regard solitaire scrute le temps qui passe au loin. À mi mots, l’air faussement distant, d’une voix hésitante dans une grande confusion d'images et de mots, il marmonne quelques bribes de paroles incompréhensibles, usées par les rêveries solitaires de bouteilles jetées à la mer : «  Qui s’en souvient encore… » Comme une histoire d'amour qui n'en finira jamais.

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