vent d'autan (avatar)

vent d'autan

Je ne suis qu'un rêveur...

Abonné·e de Mediapart

309 Billets

7 Éditions

Billet de blog 27 novembre 2023

vent d'autan (avatar)

vent d'autan

Je ne suis qu'un rêveur...

Abonné·e de Mediapart

CHACUN DE CES SECRETS D'OPALE

« Le poète a inventé la nymphe mais la nature avait déjà crée l’océan, le nuage et la femme. » Anatole France

vent d'autan (avatar)

vent d'autan

Je ne suis qu'un rêveur...

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Vent d'Autan

En y prêtant une oreille attentive, de l’autre côté du cordon de la grande dune on peut deviner ce ronflement sourd et lancinant, amplifié par le mugissement des vents certains soirs de grande tempête. Une sorte de lamentation de cantatrice des embruns égrenant sa partition face à un parterre d’insolite. Opéra des bouffes marines.

La toute première fois qu’elle découvrit l’océan c’était à marée basse, au moment des grands chambardements de l’équinoxe quand l’exubérance des saisons bat son plein. Les flots intrépides s’étaient retirés au loin découvrant une immense langue de sable humide, tapissée de varechs et de goémons, indésirable tapis d’algues filamenteuses éparpillées entre les bouts de bois flottés.

Fascinée par cette immensité propre à faire rêver elle se sentit emportée par une force intime à peine dissimulée. Comme l’appel du grand large semblant se perdre jusque dans les replis de l'horizon. Une attirance magnétique, quasi mystique, caché au plus profond de chacun de nous. Quelque chose d’inexplicable ne laissant rien prévoir de quelque destin inconnu.

De quoi creuser son sillon dans l’étrave des jours lorsque vient le temps de larguer les amarres. Sans le savoir le choc ressenti par cette vision allait façonner son idéal de vie, à tel point d’imprégner le moindre de ses faits et gestes. Envoûtée par les secrets de l’onde des rivages au sortir des profondeurs de la mer.

Illustration 2
© Vent d'Autan

Sous les reflets du crépuscule, l’écume des flots scintillait de mille paillettes d’or et d’argent habile à faire s’égarer les promeneurs solitaires. Au fil du temps elle avait fini par se laisser apprivoiser par les mystères de la mer ainsi que les nuances de cette douce lumière tombée des cieux. Comme une invocation surgie d’un rêve animé par quelque sortilège.

Pas un seul jour sans qu’elle ne fasse un détour vers la côte à bénéficier des bienfaits du petit matin ou du couchant. Un instant, en aparté. Une parenthèse, entre les vagues. Un silence, au bord de l’écume. L‘appel des brisants comme venant gronder à son oreille. Frêle et vigoureuse, la dune ondoyante, seule, précaire, fragile, vigilante, dernier rempart face à l’effervescence des eaux céans.

Quasi envoûtée par cette folle mélopée, résister à cette irrésistible attraction n’aurait été que vaine peine. Elle avait capitulé depuis longtemps rendant grâce à ce filtre d’amour qui la liait pour l’éternité des temps avec le fourmillement des eaux profondes et mystérieuses à l’origine de tout principe de fécondité. Captivé par les pulsions et par l’instinct son esprit  s’affrontait à l’inconnu, immergé là bas en ce mouvement perpétuel dont nul ne connaissait les secrets.

Illustration 3
© Vent d'Autan

Lorsque les grandes marées se retranchaient au lointain jusqu’à laisser des pans entiers de son intimité à découvert, elle s’empressait de parcourir ces vierges étendues pour y collecter quelques galets échoués à ses pieds. Selon sa propre règle d’or, stricte et sibylline, dont elle ne franchissait  jamais les jalons, elle sélectionnait minutieusement chacun de ces petits lambeaux de roche arrachés aux strates des roches marines.

Sous l’expertise de ses sens aguerris, pas question de laisser quelque choix hasardeux à son libre arbitre, l’entreprise semblait d’un sérieux à toute épreuve, longuement pensé, murement  réfléchi. En fonction de leur taille, de leur forme, de leur éclat, de leurs stries, de leurs veines, de leurs minéraux, de leur vibration, son choix, hyper sélectif lui apportait cette satisfaction venue des fonds des temps. Fruit de labeur d’un parcours de longue haleine à errer sans but précis le long des plages désertes.

Cette résonance si particulière la ramenait à ses premiers souvenirs d’enfance, à  l’intensité de cette émotion qu’elle tentait de contenir coûte que coûte, tout en la repoussant d’un air détaché, presque absent. Sous sa silhouette harmonieuse, elle avait l’air bouleversée, interloquée par quelques fantômes venus bousculer sa quiétude abandonnée aux caprices de la houle. 

À se laisser attendrir par cette soudaine nostalgie, elle se fit surprendre par les flots de la marée montante venue s’échouer à ses pieds. Il était temps de rentrer, de retrouver la douceur du feu crépitant dans l’âtre de son nid douillet et aussi de remettre un peu d’ordre dans la confusion de ces idées folles. Et pour ne rien arranger voilà qu’il se mit à pleuvoir ce crachin d’encre. I drache toudis ichi éddin.  Il pleut tout le temps ici !

Illustration 4
© Vent d'Autan

Sans trop de conviction, le vague à l’âme, elle cherchait un sens à cette quête immodérée à la poursuite de quelques chimères. Ses yeux paraissaient démesurément grands, d’une troublante splendeur dont l’éclat semblait capter l’infini.  Le clapotis du ressac lui évoquait des bribes de souvenirs d’antan, de cette enfance partagée avec son clan de sang, la chair de son âme. Mais peut-être n’était-ce encore qu’un rêve, le même qu’elle revivait en ce même lieu, berceau dont les effluves se frayaient une issue à travers de nouveaux songes.

L’instant d’un éclair elle l’aperçut  en contre jour, près des eaux où nul souffle ne trouble l’éther, ce grand frère un brin taquin qui à chaque fois lui faisait gober cette invraisemblable sornette, tout en argumentant les propos les plus fantasques :

.«  Tu sais… la mer… elle est partie… sans un mot, sans un bruit. Elle s’en allée… au loin…quelque part du côté des terres d’Amérique. Désormais, à sa place, il n’y a plus qu’un immense désert de sable blond qui étend son ampleur jusqu’à perte de vue et qui par delà le lointain se fond et se confond avec la ligne d’horizon. Sur cette plage inhabitée, balayée par les vents sauvages, on n’y entend plus que le cri aigu des albatros s’évertuant à déployer leurs grandes ailes froissée. Pionniers en herbe de cette piste d’envol...

Plus aucune voile providentielle filant le long des terres dans un jaillissement d’écume. Plus rien… à part le néant de cet océan du vide…. En ce paysage de désolation, désormais le silence y est de rigueur, d’une grandiose profondeur. Parfois quelques chimères surgies des brumes osent s’y aventurer. J’ai même entendu dire qu’à demi couchées sur le sable, elles érigent des amoncellements de petits cailloux alignés symétriquement. Du côté de nos montagnes ces monticules de pierre se nomment des cairns, ils permettraient de baliser les chemins des vagabonds de passage afin d’éviter qu’ils ne s’égarent dans le brouillard des sommets.

Peut-être bien que ce ne sont que ce ne sont que de lointaines légendes colportées par de vieux loups de mers en goguette… D’après les dires, je crois bien que l’on peut encore y ramasser quelques coquillages… et autres perles de nacre… ainsi que quantité de  galets qui à présent tapissent la grand' plage…… »

Illustration 5
© Vent d'Autan

Bien souvent son récit enjolivé d’allégories passagères dépassait son imagination si fertile, à tel point qu’elle buvait pieusement chacune de ses paroles, à la fois fascinée et effrayée par cette extraordinaire fable. Dans ses instants incrédules les images se télescopaient sous le rythme précipité et haletant d’une angoisse stridente, syncopée, fortement accentuée par le mauvais tour que lui jouait son imaginaire. Et comme à l’accoutumée elle courait à perdre haleine pour vérifier que la grande bleue était belle et bien là, enfouie dans le roulis des vagues.

Portée aux nues, son petit cœur s’emballait, de ces petites mains menues elle applaudissait avec grande ferveur, puis prise de jubilation elle riait aux éclats sans que personne ne comprenne ses soudaines exaltations. En ces instants de grâce elle devenait aussi légère qu’une plume portée par la caresse du vent. Plume, compagne de ses futures échappées poétiques.

Lui seul savait. Lui seul s’en amusait, d’ainsi  jouer et rejouer indéfiniment cette même comédie. Lui seul, complice de ces instants de folie passagère, de ce lien indéfectible qui les unissaient de cette infinie tendresse. Avec le temps, ce qui n’était qu’une plaisanterie enfantine avait fini par devenir un jeu de rôle, chacun complice de cette naïve mystification, petit intermède comique auquel ils se prêtaient avec grande délicatesse.

Illustration 6
© Vent d'Autan

Après avoir fait emplette de quelques pépites de cailloux elle s’accordait volontiers une pause à contempler les cieux encombrés de nuages épars. Dans l’infini de l’azur elle cherchait une réponse à son questionnement, un indice, un signe, un trait, une ligne, un augure, un présage des dieux, un capriccio des cieux. Une raison de cette éternelle absence.

Lui, qui désormais surfait sur les comètes à la poursuite des astres. Lui, qui veillait encore sur elle dans le silence du firmament. Lui, dont la présence ne cessait de la bouleverser après tout ce temps. Lui, qui à chaque marée basse semait ces petits galets.

Elle, comme animée par ce puissant sortilège, l’esprit libéré qui s’enfuit et soudain retrouve le chemin qui file entre les étoiles.  La langue de sable avait peut-être bien disparu, mais nul n’y songeait.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.