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                    Pourquoi ce soir là, en dehors de la rigueur des jours, s’est-il aventuré jusqu’à pousser la porte de ce sombre bistrot à l’abri des regards ? C’est à se demander si parfois le tumulte des usages ne prétexte point les promesses contenues à voix basse.
Dans le dédale de cette virée nocturne le hasard qui parfois force les desseins a guidé son pas étourdi jusqu’à cette lueur blafarde accrochée à flanc de réverbère. Entre chien et loup aux temps où les heures s’effondrent, dans un soubresaut vers le large la sorgue tanguait sous le clair de lune. Aiguillonné par les grises givrées un brin de chaleur lui réchaufferait le cœur ainsi que ses déboires d’âme. Des lustres qu’il n’a pas mis les pieds dans tel lieu où passée l’heure fatidique chacune des nuits se transforme en tempête nocturne.
Voilées d’épaisses volutes de fumées les grappes de musique ruissellent en cascades le long des murs à la ruée de cet assourdissant brouhaha. Tout en se frayant un chemin au travers de la horde sauvage, tant bien que mal il s’approche du comptoir en zinc pour commander un expresso bien serré, un double ! Apparemment pas trop le genre de la maison. D’office, le taulier de service tatoué sous toutes les coutures, lui sert une tequila bien frappée accompagnée d’un zeste de lime et d’une pogne de glaçons tout aussi semblables à son apparence de froideur. Vu l’insistance du molosse il n’ose refuser quand ce dernier vint déposer un rail de sel au revers de sa main fermement maintenue. À l‘exubérance d’une tragédie antique un instant de panique s’empara de l’intégrité de tout son être. Et maintenant…
Scrutant les moindres faits et gestes des aficionados vivement alcoolisés il se fait aussi petit que possible, fondant comme neige sous les tropiques. S’il pouvait il se confinerait à son tour dans l’exigu bocal du poisson rouge avec qui faire la conversation. Chaque rencontre reste à risque, télescopage des dissemblances à appréhender.
Entre les kilomètres de pintes de houblon ourlées de mousse tiédie et les innombrables shots de vodka à l’herbe de bison, la pression imbibée jusqu’à plus soif grimpe aussi crescendo que le grand huit à la foire du trône. Sur les lignes blanches d’écume l’armada de tireuses coule à flots continus abreuvant bois sans soif, piliers de comptoir et autres comparses de la nuit. Précipitées dans l’instant, de grosses voix tonitruantes de plus en plus volubiles lui soufflent en chœur vapeurs éthyliques et propos incongrus confondus entre fougue et frivolité. Débauche d’excès en tous genres.
Au moment précis où il aurait souhaité s’éclipser de cette chausse-trappe, une grosse paluche velue l’alpague par le colbac et se met à le secouer comme un vieux prunier chargé de fruits charnus. L’instant d’un éclair il se retrouve dépouillé de ses piètres convictions sur la condition humaine, de ses certitudes à propos des oiseaux de nuit et surtout de ses états d’âme décelés après minuit. La nuit, les chats sont tous mistigris.
 
                 
             
            