Agrandissement : Illustration 1
À peine arrivé sur place qu’il se précipita à l’autre bout de la promenade du bord de mer, là où en principe les badauds de passage rebroussent chemin. Éternel va et vient d’un bout à l’autre de cette déambulation estivale. Tout à coup voilà que son pouls s’accélérait, pas juste à cause de la foulée de ses pas. Le souffle court, une goutte de sueur perlait sur son front. Impatient plus que jamais, il lui tardait tant de savoir, de se rendre compte par lui-même, de voir de ses propres yeux, comme pour se persuader du contraire, incapable d’accepter l’irrémédiable. Pourtant au fond de lui il savait. Alors pourquoi tel déni ?
Ici l’océan jouait une partition époustouflante. Le vague qui dit vagues, le flux qui reflue. Entre murmures et mélopée une voix mystérieuse et omnisciente aux méandres aléatoires. Bien peu prenaient peine d’y prêter l’oreille, mais qu’importe, d’un bout à l’autre de cette épopée le souffle l’emportait sous l’éclat de l’onde marine. Bercé par les vents, son chant se répandait en boules sensorielles jusqu’au lointain, déployant le charme enchanteur de ses harmonies le long des bords de grève. Hors du temps, en dehors des senteurs sauvagines du grand large, comme pour mieux pénétrer l’âme et la séduire sous toutes ses facettes.
Quelque chose avait profondément changé la physionomie du paysage, sans pour autant chagriner les estivants de passage. Quelque chose d’imperceptible que seuls les locaux gardaient inconsciemment en mémoire, vénérable relique d’une épopée révolue. Quelque chose qui avait façonné les plus ordinaires circonstances de leurs vies. Quelque chose dont ils avaient eu bien du mal à s’en défaire et qui malgré tout occupait une place des plus prépondérantes.
Un écueil sur lequel s’étaient brisés tant de rêves échoués au pied des châteaux de sable. Aux grandes marées certains revenaient sur les lieux du naufrage, le cœur à la peine, empli d’amertume, tandis que d’autres fuyaient du regard de peur d’être happés par le spectre du souvenir des jours heureux. Ici s’achevait cette parenthèse enchantée, engloutie dans le tourbillon des vents. Dans le murmure des embruns tout n’était plus que menus débris de fantômes évaporés.
Agrandissement : Illustration 2
Plus aucune trace du vaisseau naufragé des dunes, juste les casemates de béton dispersées le long de la plage. Vigie des furies océaniques, la sentinelle avait sombré corps et âme sous les coups de butoir. Plus aucun signal, plus aucune balise signifiant l’irrésistible disparation du trait de côte. Implacable déferlement maritime. Aucun indice, aucune empreinte matérielle, pas même la moindre épitaphe, juste cet espace désuet voué à l’état sauvage, parsemé d’oyats et autres plantes du littoral, bordé de ganivelles flambant neuf. Ce qui fut n’était plus que poussière de songe, se colportant de bouche à oreille au fil des longues nuits d’été, légende des temps passés.
En proie à ce néant il cherchait quelques repères non dissimulés ça et là. Une silhouette évanescente, un bosquet de pins maritimes, un faux semblant d’incertitude. Impossible de reconnaître les lieux rudoyés par la main de l’homme. Quoi qu’il en soit, le Signal, bâtisse éphémère vouée aux encombres, avait bel et bien disparu du paysage de carte postale. Sujet de multiples tracas, il avait su résister sans se soucier du lendemain, à contre courant des idées folles. Était donc là son seul crime ? Immense sensation d’amertume. Juste quelques poussières de vent
Longeant le bord de mer il s’aventura à travers le cordon de sable où chuchotaient les plus folles étincelles toujours promptes à ranimer la flamme dans la douceur du bleu à azurer. Suspendues au souffle du vent de terre, quelques mouettes des plus audacieuses défiaient l’équilibre céleste. La belle saison n’en était qu’à ses prémices, ébauche de balbutiements, tandis que les chemins d’ici s’en allaient se perdre jusqu’à l’infini. Point le moindre nuage en vue, juste l'horizon en proie à l'infini.