Le régime de Vichy, en nommant à nouveau le ministère en charge des écoles ministère de l’instruction publique et non plus, comme depuis 1932, ministère de l’éducation nationale, avait affiché nettement son orientation réactionnaire : l’école devait se concentrer sur le lire, écrire, compter et chanter la gloire du Maréchal, l’éducation était l’affaire des familles et de l’Eglise. Et l’Etat français avait substitué à la devise de la République -liberté, égalité fraternité-, sa « propre » devise : travail, famille, patrie.
Un discours néo-pétainiste, tenu jusque-là en lisière des médias mainstream, s’affiche désormais à la Une du Figaro magazine, comme le week-end dernier[1]. Le dossier intitulé Ecole comment on endoctrine nos enfants désigne très clairement dans le sous-titre en quoi consiste cet endoctrinement : antiracisme, idéologie LGBT+, décolonialisme et le complot qui manigance tout cela : enquête sur une dérive bien organisée. C’est au nom de la « diversité » et de son corollaire pédagogique l’ « inclusion » que les idéologies ont pénétré dans le temple scolaire avec la complicité d’une partie du corps enseignant. Suprême danger, l’écriture inclusive tente de s’imposer comme la norme et l’institution est dépassée malgré la volonté du ministre.
Il faut bien le dire, en effet : ce ministre pour qui les fondamentaux sont lire, écrire, compter (jusqu’ici tout va bien) mais aussi respecter autrui, sent le souffre. Au nom du respect d’autrui, les enseignants ne peuvent-ils pas en effet créer des conditions pour que nos enfants passent à l’esprit critique l’homophobie, l’exploitation coloniale, le racisme, le machisme ?
Dans un billet récent[2], Claude Lelièvre a rappelé qu’en effet les programmes scolaires, notamment en éducation morale et civique et avant eux, ceux d’histoire et d’éducation civique, ont mis l’accent depuis fort longtemps sur le refus des discriminations, du ministère Haby au ministère Darcos en passant par ceux de Jean-Pierre Chevènement et François Bayrou.
Bref, c’est le consensus républicain autour des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité qui est directement mis en cause.
Faut-il pour autant s’en tenir à dénoncer cette attaque antirépublicaine, et à faire bloc autour d’une école de la République irréprochable ? Ce serait sans doute manquer d’ambition dans la riposte.
Le débat démocratique doit se tenir sur l’Ecole, ses valeurs, ses finalités, et par conséquent sur ce qu’elle enseigne à tous et à chacun. Ce débat ne doit en aucun cas être esquivé, en se contentant d’afficher un consensus républicain accompagné de quelques mesures réactionnaires, pour donner des gages à l’idéologie néo-pétainiste, comme le rétablissement de l’examen d’entrée en sixième, la suspension des allocations familiales pour les parents « défaillants », ou le renforcement de l’autorité à l’Ecole.
Nos enfants valent beaucoup mieux que cela. Plutôt que d’attendre d’un nouveau ministre de l’éducation nationale –ou du même- les dix mesures clés pour l’Ecole des cinq ans qui viennent, il vaut mieux poser le débat de fond publiquement. Quelles finalités les citoyens donnent-ils à l’Ecole ? A partir de là, quels seraient les savoirs à enseigner, et quelle organisation scolaire nouvelle pourrait permettre de les faire acquérir à tous ? De quels personnels cette école nouvelle aurait-elle besoin, formés comment ? Comment faire en sorte que les modalités d’apprentissage et d’évaluation fassent sens pour les élèves, que leur parcours de formation soit autre chose qu’un verdict très socialement déterminé ?
A ces questions, il n’est pas de réponse immédiatement univoque, négociée entre experts patentés. Il faut à propos de chacune d’elles une vraie dispute démocratique, à laquelle tout un chacun peut prendre part, comme citoyen ou futur citoyen, tout simplement.
Samedi prochain, à la Bibliothèque nationale de France, les savoirs scolaires seront au centre du débat, à l’initiative du Collectif d’interpellation du curriculum (CICUR) et du Comité universitaire d’information pédagogique (CUIP). Participer à cette Rencontre[3] est sans doute une bonne manière de dire sans attendre nettement non au discours néo-pétainiste sur l’Ecole, en amorçant la réflexion collective dont notre Ecole et nos enfants ont besoin.
____________________________________________________________
[2] http://blog.educpros.fr/claudelelievre/2021/11/15/lecole-endoctrinerait-nos-enfants-insoutenable/