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Billet de blog 2 septembre 2020

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Lettre ouverte à nos administrations et à ceux qui les dirigent

Que se cache-t-il derrière l'impéritie de nos services administratifs? Personne ne mesure ni ne s'intéresse au fossé qui se creuse entre les administrations diverses et ses usagers. Pourtant les conséquences de ce fossé sont importantes et génèrent dans la société beaucoup de malaises et un double sentiment d'insécurité et d'injustice qui s'accroît et s'aggrave.

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Lettre ouverte à nos administrations et à ceux qui les dirigent

Et si la covid 19 avait principalement jeté son menaçant dévolu sur nos diverses administrations ? Je ne parle pas des fonctionnaires de terrain, les soignants, les enseignants, les agents divers, les policiers...etc. Je parle de ceux qui conçoivent des fonctionnements où, dans les bureaux, des individus retranchés derrière leurs écrans et les plateformes téléphoniques gèrent, par logiciels interposés, nos vies quotidiennes avec plus ou moins de bonheur. Je ne parle pas de guichets ni de comptoirs puisque les différents services ne reçoivent plus, n’accueillent plus, n’échangent plus. Et je ne parle pas des personnes, elles ne font qu’exécuter ce qu’on leur impose.

Avant la covid 19, ce n’était déjà pas facile. Mais toute organisation humaine étant imparfaite par nature et étant imparfaite moi-même, je m’étais résignée, comme la plupart de mes semblables, à cultiver la patience, à solliciter, à re-solliciter, à décrypter les protocoles, à transmettre, à re-transmettre, à excuser les erreurs, à demander qu’on excuse les miennes, et à exulter lorsque j’arrivais à mes fins en remerciant chaleureusement je ne savais pas qui, mais dans l’absolu, par principe. Rien n’est dû. Tout se mérite. Je fulminais de temps en temps dans mon coin et, grosso modo, je ne m’en tirais pas trop mal.

Depuis février 2020, nous sommes entrés dans une ère surréaliste où l’inefficacité rivalise avec la complexité. Que s’est-il passé pendant le confinement ? Tout semble irrémédiablement désorganisé, paralysé, pétrifié. A croire que l’épidémie a laminé les rangs administratifs et que les bureaux, désormais désincarnés, empilent les documents et les requêtes dans une totale indifférence et une inertie radicale. Toute démarche est devenue une entreprise chronophage désespérément vaine, pour le mieux en suspend, pour le pire en échec. On parcours des pages Internet labyrinthiques et absconses sur lesquelles les consignes se contredisent ou restent si imprécises qu’elles ne permettent aucune avancée. Et le dossier reste des jours, des semaines, des mois, « en cours de vérification » sans qu’aucune information précise puisse éclairer nos lanternes qui s’éteignent progressivement. De quoi vous saper le moral, vous mettre les nerfs à vif et vous faire renoncer à tout effort pour observer les règles et respecter la loi.

Et si moi, j’en arrive là – moi qui suis légaliste jusqu'au bout des ongles – je comprends mieux que nous soyons si nombreux à transgresser à tout va un système qui s’autodétruit par sa propre déficience. Au temps de l’Intelligence artificielle et des technologies de la communication, ce constat est aussi paradoxal qu’alarmant. Plutôt que de nouvelles lois qui viennent s’entasser et se contredire, encombrer les prétoires et les cerveaux des juges, plutôt que des manifs qui hurlent une colère légitime mais inefficiente, peut-être faudrait-il envisager de remettre à plat les logiques qui gèrent nos administrations : simplifier les procédures, former correctement qui de droit, créer une communication efficace entre les services, y remettre un peu de chair humaine, supprimer les rivalités absurdes et les querelles de petits chefs et surtout, surtout, rouvrir des « guichets » et des « comptoirs », recréer le lien entre les administrations et leurs usagers parce que sans ce lien, la société court à sa perte.

Des exemples concrets ?

J’ai eu la mauvaise idée de perdre mon permis de conduire et je ne m’en suis pas aperçue tout de suite (je ne dors pas avec mon permis). Je ne pensais pas qu’une perte aussi gênante que banale pût m’entraîner dans des péripéties dignes des Aventuriers de l’arche perdue. J’ai d’abord, bêtement, voulu signaler cette perte à la gendarmerie. Ladite gendarmerie est désormais fermée. On peut exprimer sa requête par un interphone ; ce que j’ai fait. Une voix lasse et métallique vous répond : les pertes de documents officiels ne se signalent plus à la gendarmerie, ni en préfecture, ni au commissariat de police, ni en mairie. Il faut aller sur le site « ants » où l’on peut remplir une demande de renouvellement. J’ai donc saisi la demande de renouvellement de mon permis de conduire. Je passe les incidents et tâtonnements pour remplir ces pages internet : un jeu d’enfant si on y met un peu de bonne volonté.Cette demande doit être vérifiée et validée avant de fournir au requérant une attestation de « droit à conduire ». J’ai déposé ma demande le 30/07/2020 ; elle a été validée le 1/09/2020. Je ne partais pas en vacance mais, habitant en pleine campagne, je ne pouvais pas rester un mois sans conduire. J’ai donc conduit – n’en déplaise au ministre de l’Intérieur et à ses agents – pendant un mois sans attestation. Cette attestation est valable deux mois. Rien ne me garantit que mon nouveau permis me sera adressé dans ce délai. Donc… il y a fort à parier que je conduise à nouveau hors la loi. Sans doute, si je me fais contrôler, devrais-je payer une amende conséquente. Qui sait, peut-être mériterais-je de me faire retirer mon permis… À voir…

Autre exemple haut en couleur : l’envoi postal d’un courrier recommandé. Quinze jours pour un recommandé du nord au sud de la France. À croire qu’il circule en charrette à bras ou qu’il exige quelque villégiature dans certaines de nos si belles campagnes. Mieux encore, dans l’attente d’une nouvelle carte grise envoyée en recommandé après l’achat d’un nouveau véhicule, le facteur passe en mon absence – hé oui, je conduis – et dépose dans ma boîte aux lettres le petit papillon m’invitant à aller retirer mon courrier au bureau de poste dont je dépends. Jusque là rien d’anormal. Je m’y rends donc. Mais là, ô surprise ! Le courrier n’y est pas. Il a été redirigé sur un autre bureau de poste – sans doute plus attractif – à trente kilomètres. On s’excuse. On prend mon numéro de téléphone. On me préviendra. Mais on ne me prévient pas. Une semaine plus tard – j’ai acquis dans la vie une grande patience et surtout l’habitude de conduire sans les papiers requis – je retourne au bureau de poste : on ne comprend pas pourquoi le recommandé n’est pas là...et depuis...on cherche… et j’attends… Il faut rappeler que désormais vous ne pouvez plus contacter un bureau de poste par téléphone. Il faut appeler le service client au 36 31. Alors là, bon courage ! Tapez 1, tapez 2, tapez 3, cela sera positif seulement, et seulement si, vous avez vous-même la réponse à votre problème ; en général, dans ce cas là, vous n’appelez pas n’est-ce pas ? Donc je multiplie les allers et retours à ce bureau de poste qui se trouve à une douzaine de kilomètres de chez moi, en voiture bien sûr, pas à dos d’âne, sans permis et sans carte grise… Quand je vous dis que je vais finir en prison !

Dernier exemple – mais il y en aurait beaucoup d’autres – le généreux programme d’isolation à un euro. Lorsque, comme moi, on a anticipé le problème et réalisé à ses frais l’isolation de sa maison juste avant le lancement du programme, on peut avoir quelques aigreurs surtout si on est sollicité à longueur de journée au téléphone et qu’il faut répéter la même chose à raison de trois ou quatre fois par jour depuis plus d’un an. Sans compter les margoulins difficilement identifiables dans la masse des appels, sans compter les menaces de sanctions administratives si cet isolement n’est pas réalisé… et j’en passe. Même topo pour la pompe à chaleur ou les panneaux photovoltaïques. Mais sur ces derniers, je ne me lancerai pas : il faudrait un journal entier pour rendre compte de la malhonnêteté des prestataires, de la cupidité des organismes de crédit, de l’iniquité de la justice. Car l’écologie est devenue aujourd’hui un vaste champ de foire, un marché juteux où les escrocs, les requins et les truands portent haut le verbe et le chapeau, et rivalisent d’astuces et de perversité. Que ce soit en amont ou en aval des contrats, nos administrations alimentent allègrement les affaires, ferment les yeux sur les combines et sont en fait totalement dépassées par le phénomène.

Le bilan ?

Tous ces dysfonctionnements, toutes ces incohérences amènent inéluctablement le citoyen le plus vertueux à adopter un comportement transgressif, voire à se faire hors la loi par nécessité et/ou par exaspération. En grande majorité, ce sont les citoyens les plus vertueux qui sont le plus fréquemment et le plus durement sanctionnés lorsqu’ils sont pris en faute. Les vrais délinquants savent échapper aux contrôles, les criminels sont vite exonérés de leurs peines, savent, avec un peu d’expérience et un bon avocat, suspendre leur application, obtenir des reports successifs ou invoquer des vices de procédures. Bientôt il n’y aura plus dans nos prisons que des terroristes, souvent présumés terroristes, à juste titre sans doute mais « présumés » tout de même, et d’honnêtes citoyens pris au piège d’une administration déficiente. Soyons juste : ils sont, heureusement, rarement en prison, mais couverts d’amendes et de menaces administratives, ça oui ! Et c’est ainsi qu’un peuple tout entier se nourrit d’aigreur et d’un dangereux sentiment d’injustice.

Mes anecdotes sont sans doute légères et sans vrai caractère de gravité. Je pousse le récit jusqu’à la caricature. Mais il est vrai que j’ai parfois le sentiment qu’il ne faudrait pas grand-chose pour que ma situation bascule dans le chaos et cela me fait frémir d’angoisse. Plus que les bandits de grand chemin, c’est cette conscience là qui produit un sentiment collectif d’insécurité lancinant et destructeur de tout lien social. Le français n’est pas plus individualiste qu’un autre. C’est le cadre dans lequel il vit, ce sont les systèmes auxquels il est confronté qui le traitent comme un individu isolé et déshumanisé et qui martèlent, jour après jour, une logique individualiste qui l’enferme, le fragilise, l’infantilise, le culpabilise et, au bout du compte, le broie.

Alors je plaide pour le quidam, pour le rombier moyen, ni parfait ni mauvais, ni stupide ni brillant, le personnage du milieu, ni riche ni pauvre, ni soumis ni rebelle, celui qui s’inscrit dans ce que les Anciens appelaient la « mediocritas », ce juste milieu garant d’équilibre, de tolérance, d’empathie, aujourd’hui tristement méprisé parce que nous vivons dans le monde de la performance et de l’excellence obligatoire. Non, monsieur Macron, la vie sociale n’est pas l’ascension de l’Everest. Ce ne sont pas les premiers de cordée qui génèrent la dynamique de tout un peuple et la construction de son avenir. Les élites sont précieuses ; elles accrochent des étoiles dans le ciel d’une nation mais ce qui garantit l’harmonie, la solidarité, la cohérence et la réussite collective, c’est le travail des fourmis, de cette masse des gens moyens, ce sont eux « ...les petits, les obscurs, les sans grades... » qui remportent les plus rudes batailles et qui devraient pouvoir en être fiers. Si le pays parvient à surmonter la crise qui le menace aujourd’hui, ce sera en grande partie grâce à eux.

Or je prétends que la façon dont nous traitent les administrations que nous sommes contraints de fréquenter nous fait sombrer insidieusement dans le néant. Ni révolution ni rébellion, je revendique seulement pour le quidam le respect et la reconnaissance qui lui sont dus.

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