
Bagnolet le 25 novembre 2015
Très chère Hélène Bessette
Il y a un peu moins d'un mois, je ne connaissais rien de vous. C'est au 23e étage de la tour Orange (l’entreprise de téléphonie) de Bagnolet que j'ai découvert votre écriture... Vous êtes morte en 2000 , vous aviez 82 ans, et n’aviez probablement pas de téléphone portable, mais nul doute que vous auriez beaucoup aimé être dans cette salle de réunion impersonnelle et lumineuse, assise parmi les spectateurs, employés de l'entreprise qui ne perdaient pas une miette de «Prière de ne pas diffamer, ou la véridique histoire d'Hélène Bessette chez Gallimard’ .
Laure Wolf est le nom de l’actrice qui vous incarne. Elle se tient au plus près de vous,. Elle vous ressemble je crois, comme vous avez la littérature chevillée au corps, elle a le théâtre. Perruque brune, imper beige et baskets au pied, elle a votre insolence, elle s’est donné une voix grave, un peu traînante, accent des faubourgs, Arletty de la littérature. Les yeux dans les yeux, les siens sont d’un bleu clair, transparent ,elle nous dit comment vous vouliez faire Normale Sup. et comment votre condition sociale vous ouvre les portes de l’Ecole Normale mais celle des instituteurs. Jamais à la bonne place Hélène Bessette. Vous écrivez « L’écriture en prose traditionnelle, même lorsqu’elle dit des choses pensées et intelligentes, reste un produit commercial très utile lorsque 30 millions de lecteurs et d’intellectuels réclament des livres. Le langage poétique est forcément celui de ce temps difficile » . Si vous saviez comme cela fait sens aujourd’hui chère Hélène. Gallimard vous publie, vous êtes soutenue par des grands noms de la littérature, Marguerite Duras dit de votre écriture « La littérature vivante, pour moi, pour le moment, c’est Hélène Bessette, personne d’autre en France’. Vous êtes par deux fois sur la liste des prix Goncourt et Médicis. Mais vous ne vendez pas. Alors Gallimard doit se séparer de vous. Qu’à cela ne tienne, vous montez votre revue manifeste , « Le Résumé ». Vous crevez de faim, mais vous écrivez et André Malraux vous envoie un chèque pour un abonnement , et ces mots « avec toute ma sympathie pour votre talent , et mes souhaits un peu inquiets pour le reste ». Trop en avance trop femme, trop dure, trop de caractère Hélène Bessette est trop. " " Écrivain hors norme et d'origine modeste- qui plus est rebelle au milieu littéraire et dote d'un solide caractère" vous êtes insolente, vous dérangez à dire que vous « ne pas chercher une définition du nouveau roman, mais d’un roman nouveau’ . Et, partout, des bleds les plus perdus de France où étés nommée comme institutrice « Tourouvre, vous connaissez Tourouvre?» vous écrivez, vous lisez, vous écrivez, Vous écrivez comme on compose. Vous laissez les mots apparaître, en suspend, se dessiner, devenir narration, débarrassés du poids de la psychologie, vous êtes concrète, comme la musique du même nom. Un de vos romans rencontre un succès public. On vous fait un procès pour diffamation, votre héro¨ne ressemblant trop à une personne connue chez qui vous faites des ménages. . Elle vous intente un procès. La patronne en question est défendue par maître Dumas, Roland Dumas. Il vous piétinera, vous moquera « Elle a eu des voix au Goncourt,on ne sait pas comment… » A la fin de votre vie, sur la porte de votre appartement, vous aviez écrit « prière de ne pas diffamer, Hélène Bessette de chez Gallimard »
C’est à partir de la biographie écrite par Julien Doussinault et votre texte manifeste le Résumé que le metteur en scène Régis Hebette et Gilles Aufray auteur ont écrit cette pièce de théâtre, car c’est du théâtre. Ils ont trouvé La syntaxe rapide, la ponctuation libre, les rythmes justes, en phase avec votre écriture et, ce n’est pas rien, votre humour...
Après l’avoirprésentétout au long du moins de l’automne dans des bureaux, groupes d'alphabétisation, appartements, «Prière de ne pas diffamer, ou la véridique histoire d'Hélène Bessette chez Gallimard» est joué au théâtre en première partie d’un autre texte adapté , toujours par Régis Hebette qui vous connaît si bien à présent ,d’un roman de vous :Si.
Sur le manuscrit de SI, retrouvé dans une malle, est écrit en sous-titre « ou le bal au Carlton. Autobiographie» Il a enlevé autobiographie, mais a gardé le sous-titre pour le titre de la pièce.
Je file dans la grande salle du théâtre de l’Echangeur, où vous vous trouvez, pardon où Laure Wolf, se trouve. Elle joue avec Désirée le personnage de votre roman. Elle s’en donne à coeur joie, héroïne de polar, dans la boutique de vos obscurs objets de désirs. Elle vous la campe cette Désirée, rebelle, une vraie punk,cheveux crêpés par un coup de brosse, bien senti, nuisette satinée , collants résilles et doc. Martens. Désirée 30 ans joue sa vie, joue sa mort. « Dame seule trente ans ne cherche plus personne de compagnie’ . Désirée veut mourir, enfin c’est ce qu’elle dit. Elle construits les scénarios du crime parfait qu’est le suicide puisque l'assassin et la victime ne font qu’un” . Elle convie la famille,les amis, invente une cérémonie pré-mortem dans son théâtre de curiosités,. Elle règle leur compte aux Marguerite, Albert, patronne, magistrat, docteur, marchand de tableaux, de tapis à tous ces hommes qui en veulent à son sexe, toutes ces femmes qui la veulent à sa place, c’est-à-dire auprès d’un homme ! Une bouteille de javel et pince métallique pour le magistrat, un gant qui finit dans un bocal en verre plein d'eau et devient l'un de ces fœtus qui ornent les étagères vielles pharmacies pour le docteur. Un rideau de plastique une guirlande lumineuse et l'on passe d'un hôtel pour parties fines à l'hôpital, du cinéma au cimetière. La scénographie et la mise en scène trouvent la même force brute que le texte.
François Tarot , acolyte musicien, envoie quelques notes de la marche funèbre de Beethoven d'un coup d'archet sur sa belle guitare rouge. Son discret, parfait complice de l’histoire .Une poupée barbie tourne sur le même son. Les boîtes à musiques de Désirée ont un côté gothique. Désirée pourrait être dépressive, mais ce serait trop facile. On la dit folle, comme toutes celles qui disent non à l’avenir tracé d’une vie sans histoire sont dites folle. Quand à la fin du spectacle, Laure Wolf vient saluer , on a envie de lui crier comme on les aime, les folles !
Chère Hélène, Vous aviez coutume de dire que vous seriez reconnue trente, peut- être cinquante ans après votre mort.. Et bien chère Hélène Bessette grâce à Laure Wolf et Régis Hebette, on descendra peut-être à 15…
Je tiens aussi à vous dire que Léo Sheer a réédité quelques-uns de vos livres, je les ai tous achetés.
Véronique Klein
Dytique Hélène Bessette
Prière de ne pas diffamer ou la véridique histoire d’Hélène Bessette de chez Gallimard et Si ou le bal au Carlton
Au théâtre de l’Echangeur à Bagnolet
Jusqu’au 14 décembre