Chaque jour, en France, un.e maire démissionne de son mandat1. L’observatoire de la démocratie de proximité relève que la première cause de démission réside dans les tensions au sein des conseils municipaux. Que ce soit avec les élus d’opposition mais surtout au sein du groupe majoritaire.
L’ONFEL2, l’Observatoire National des Elus Locaux avait observé dès le début du mandat en 2020 les difficultés rencontrées par 350 élu.e.s interrogé.e.s : 30% des maires considéraient que les élus de leur majorité n’avaient pas une vision claire des projets qu’ils souhaitaient entreprendre pour leur commune; 45% des adjoint.e.s considéraient que leur feuille de route n’était pas clairement établie en début de mandat. De même, 40% des conseillers municipaux sans délégation de la majorité ne se sentaient pas suffisamment associés aux décisions de l’exécutif.
Dans une société traversée par la crise de la représentativité, les élus comme les citoyens sont démunis. Les outils mis en place pour faire fonctionner notre démocratie ont été vidés de leur sens et ne semblent plus correspondre aux attentes démocratiques du moment. Les 459 811 citoyens qui ont accepté de devenir conseillers municipaux ne souhaitent pas seulement faire nombre sur le papier. 60% de ces élus officient sans délégation, n’étant ni maires ni adjoints. Ils sont plusieurs dizaines de milliers élus en 2020 à avoir démissionné. On assiste à une crise de vocation, l’établissement d’une liste de candidats est un pari incertain. Y compris dans les partis politiques, il y a peu de candidats à la candidature ! Pourtant, avec ses 494 598 élus locaux et ses 34 787 maires la France est un formidable réservoir démocratique, étant donné son nombre de communes, un record en Europe !
Je ne connais pas d’élus locaux heureux. Ceux que je rencontre sont en surcharge mentale, en proie à des sentiments d’isolement, de paranoïa, de fatigue intense, de découragement. Ils décrivent des conseils municipaux où les gens ne travaillent pas collectivement, où les pouvoirs sont concentrés entre les mains du maire, de son directeur de cabinet et de la direction générale des services. Les adjoints et les conseillers municipaux font de la figuration silencieuse. Le travail en commission thématique est peu existant. Le principe prévoyant que les agents et le cabinet soient tenus de répondre aux sollicitations des élu.e.s est méconnu. Les équipes n’ont pas pris le temps de réfléchir ensemble, en amont, aux enjeux de gouvernance et d’organisation. L’installation du conseil municipal se fait sans intelligence collective, en faisant un copier-coller du dernier règlement intérieur, amendé par un maire qui déjà est happé par l’administration et les pressions politiques.
Ces nouveaux élu.e.s que je connais se sont engagés par conviction, pour mettre leurs compétences au service de l’intérêt général, avec l’idée qu’ils aideraient à changer un peu le monde et surtout préparer l’avenir. Très vite ils ont compris qu’ils n’étaient pas en phase avec l’exercice du pouvoir qu’on leur proposait. Que leur voix était inaudible dans des assemblées délibérantes où les votes à main levée s’enchaînent rapidement, sous pression sociale . Très vite ils ont compris que leur compétences et leur énergie ne seraient pas investies dans le projet municipal. Le travail se fait ailleurs, sans qu’on sache où, par d’autres, sans qu’on sache qui précisément. Qu’ils soient dans l’opposition ou isolés au sein d’une majorité, ils sont souvent victimes de harcèlement moral, dans le huis clos des réunions de bureau municipal ou dans la presse locale. Selon le genre, ce harcèlement prend la forme du sexisme ou de la diabolisation. Au fur et à mesure des années certains ont jeté l’éponge, d’autres ont ménagé leur place par de l’auto-censure. Aucun ne sera candidat pour un nouveau mandat.
Ces expériences ne sont pas une fatalité. Beaucoup de ces situations sont la conséquence d’une vision conservatrice et viriliste de la politique, d’un manque de préparation, d’une culture du pouvoir autocratique. Si le législateur a écrit un Code des collectivités territoriales emprunt de centralisme9, un.e maire qui désire partager le pouvoir peut tout à fait le faire, si sa conception du mode projet est basé sur l’intelligence collective.
Alors comment démocratiser les conseils municipaux?
- Co-construire le règlement intérieur du conseil municipal.
Pour commencer, le règlement intérieur pourra être co-construit au sein du groupe majoritaire. Au mieux, préfiguré pendant la campagne électorale. Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur dans le Code Général des Collectivités Territoriales, certaines dispositions doivent impérativement y figurer3, d’autres sont d’ordre facultatif et peuvent être intégrées dans le règlement intérieur en fonction des circonstances locales. La périodicité des réunions du Conseil Municipal peut être définie selon un calendrier fixé pour le semestre. Ainsi les élus réservent par avance leur disponibilité dans leur agenda professionnel et/ou familial. L’ordre du jour peut être fixé par le maire après avis du bureau composé du maire, des adjoints et des présidents de commissions. Le délai de convocation des conseils municipaux est défini par le législateur en jours francs4, ce qui signifie qu’il s’agit d’un délai minimal. Maire et secrétariat feront leur possible pour ne pas imposer d’urgences. Les amendements peuvent être proposés sur toutes affaires en discussion soumises au conseil municipal. Ils doivent être présentés par écrit au maire. Le compte rendu du conseil municipal sera tenu à la disposition des conseillers municipaux, de la presse et du public. Le montant des indemnités est modulé en fonction de la participation effective des conseillers municipaux aux séances plénières du conseil municipal (article L. 2123-24-2 du CGCT). Un barème de modulation sera établi et des cas de force majeure seront définis.
La convocation aux commissions, accompagnée de l’ordre du jour, sera adressée à chaque conseiller 7 jours avant la tenue de la réunion, ceci afin de réserver la possibilité à tout conseiller municipal d’assister en auditeur aux travaux de la commission. Le maire est le président de droit de toutes les commissions d’étude mais peut en déléguer l’animation au vice-président de la dite commission, car il serait illusoire de croire qu’il peut être partout ! Sauf en cas d’urgence, toute affaire soumise au Conseil municipal devra être préalablement étudiée par une commission : il faudra veiller à le respecter. La liste des commissions permanentes apparaîtra dans le règlement intérieur, ce qui institue précisément celles-ci. La parité sera inscrite comme principe.
Le règlement intérieur fera aussi mention de la Commission communale pour l’accessibilité aux personnes handicapées, composée des représentants de la commune, d'associations d'usagers et d'associations représentants les personnes handicapées.
Dans le cas de communes dont la population est inférieure à 10 000 habitants, non concernées par l’obligation de mettre en place une Commission Consultative des Services Publics Locaux, le conseil municipal qui le souhaite constituera, en application de l'article L. 2143-2 du CGCT, des comités consultatifs dont la composition sera identique à celle des CCSPL. Ceci afin que toute délégation de services publics ou régie publique soit discutée avec les habitants.
Le règlement intérieur fera aussi place à un chapitre sur la démocratie participative, où il sera précisé que lorsque le conseil municipal est saisi d’un projet à soumettre à référendum local, il s’engage à l’inscrire à l’ordre du jour de la prochaine séance (articles L.O 1112-1, 1112-2, 1112-3 du CGCT). La consultation des électeurs (Article L.1112-15, L.1112-16, L.1112-17 CGCT) sera affirmée. Des commissions extra-municipales, organes de réflexion et de proposition sur toute question d’intérêt communal, viendront compléter les moyens et les compétences des commissions d’études. D’autres instances peuvent être créées en fonction des demandes des habitants, des circonstances et des projets développés : conseil municipal des jeunes, comité des sages, agoras de quartier, groupes projets….
Enfin, le droit à la formation des élu.e.s sera financé : selon l’article L.2123-12 CGCT, une formation est obligatoirement organisée au cours de la première année de mandat pour les élus ayant reçu une délégation.
- Organiser la gouvernance et les délégations
Un projet municipal qui veut renforcer la vie démocratique mettra en adéquation son mode de gouvernance et ses valeurs : on ne peut pas affirmer être au service des citoyens et parallèlement fonctionner de manière pyramidale et autoritaire. Il s’agira donc d’instaurer de la collégialité dans le Conseil Municipal et de séparer le pouvoir politique du pouvoir exécutif. Le groupe majoritaire détient le pouvoir politique : du maire jusqu’au dernier conseiller de la majorité. Ce seront les réunions régulières du groupe majoritaire qui dessineront les orientations, feront les choix, prendront les décisions politiques. C’est ce qui fera sa cohésion durant tout le mandat. Le pouvoir exécutif sera confié au maire et au bureau qui se chargeront d’exécuter les décisions.
La formation des élus sur le sujet de l’égalité femme/homme sera nécessaire. Cette égalité se traduit également dans la nature des délégations attribuées à chacune et chacun. Une réflexion peut être utilement conduite pour faciliter la participation des conseillères et des conseillers municipaux aux réunions : charte des temps (date et horaire des réunions), statut de l’élu (prise en charge des frais de garde des enfants). La commune prendra une délibération cadre réaffirmant son attachement indéfectible à l’égalité femme/homme, mentionnant un(e) élu(e) en charge de cette délégation et indiquant la volonté de la municipalité d’adopter un plan global de promotion de l’égalité femme/homme dans son fonctionnement interne, selon la feuille de route de l’Association des Maires de France établie lors du 102e Congrès des maires5.
Il faudra ensuite allouer des rôles et des périmètres précis de responsabilité à chaque élu.e. Presque toutes les compétence exercée au nom de la commune peuvent être déléguées. Un projet, une mission de représentation, un suivi de dossier, un pan de l’action municipale peut être délégué. Il appartient au maire de savoir et de pouvoir déléguer. Rien n’interdit de donner des délégations à tous les membres du conseil municipal, opposition comprise, si tous les adjoints ont aussi une délégation6. Plus le travail sera partagé, plus les projets avanceront, et moins il y aura de burn-out chez quelques uns ! Accorder des délégations à l’opposition participe de cette culture du dialogue qu’il nous faut retrouver. La diversité des points de vue est une richesse qui peut contribuer à mieux appréhender l’intérêt général. Ainsi accorder la gestion des finances à un élu de l’opposition est tout à fait envisageable. Le maire est libre de choisir les matières qu’il veut déléguer et les adjoints ou conseillers municipaux auxquels il octroie les délégations. Une délégation peut prévoir un travail d’équipe : l’arrêté municipal stipulera qu’un conseiller municipal devra exercer « rattaché à » ou « auprès d’un » adjoint. Ces binômes pourront être à parité de genre. Enfin, certaines délégations pourront exclure ou comporter une délégation de signature.
Un conseil municipal qui s’appuie sur l’intelligence collective se fera aider par un professionnel de la facilitation de groupe. Travailler ensemble ça s’apprend, ça n’est pas inné. Il y a des méthodologies, de la préparation, de l’animation, de l’information à transmettre. Plutôt que d’embaucher un directeur de cabinet qui conseille dans la mise en œuvre et le suivi des politiques publiques dispensées, la mairie emploiera un ingénieur de la concertation issu par exemple d’un Master en Affaires publiques7.
Réciproquement, le conseil municipal peut déléguer tout ou partie de ses attributions au maire. Cette délégation permet de simplifier le fonctionnement de la commune et évite au conseil municipal d’avoir à délibérer sur toutes les affaires. Ces délégations sont généralement votées en début de mandat. Toutefois ces délégations ne sont jamais obligatoires : le conseil municipal reste libre ou non de déléguer tout ou partie de ses compétences8. Certaines de ces délégations méritent d’être jaugées : ainsi la conclusion et la révision du louage de choses. Par cette délégation, le maire se trouve investi du pouvoir de passer les contrats de location en tant que preneur ou bailleur et d'en fixer par conséquent le prix. Il peut également mettre à disposition, à titre gratuit, un logement, dans certaines circonstances, ou décider de ne pas renouveler un engagement de location ou un contrat d'occupation du domaine public communal. Ce simple pouvoir comporte un risque de clientélisme. Pour la procédure d’emprunts destinés au financement des investissements, le conseil municipal devra fixer des limites à cette délégation en limitant le montant unitaire ou annuel. Idem pour la passation de marchés publics.
- Répartir les indemnités des élu.e.s
Le montant de l’enveloppe globale des indemnités est déterminé par le nombre effectif d’adjointures. Le montant des indemnités des conseillers municipaux correspond à l’addition des indemnités du maire et des adjoints. En clair, mieux sont payés les adjoints, plus les conseillers municipaux pourront avoir les moyens de travailler. Les indemnités dans les communes sont loin d’être des privilèges d’élus : dans une petite commune de moins de 1000 habitants un adjoint touchera 400€ brut, dans une commune de moins de 10 000 habitants, il touchera 900€. Etant donné qu’un élu local consacre en moyenne 16h/semaine aux activités de son mandat, cela n’est pas exorbitant, loin s’en faut…
Cette répartition des indemnités pourra se faire en fonction des délégations et du temps consacré aux missions. Il pourra aussi être discuté selon la situation de chaque candidat.e : certains retraités peuvent se permettre une exigence basse, alors que les actifs qui devront diminuer leur temps de travail pourront prétendre à un maintien de niveau de vie. Enfin, les femmes et les étudiants devront se voir accorder des facilités pratiques pour exercer pleinement leur mandat.
Le conseil municipal prendra une délibération sur le remboursement des frais de garde, dès qu’un membre du conseil municipal sera amené à organiser la garde d’un enfant, d’une personne âgée, d’une personne handicapée, ou d’une personne ayant besoin d’une aide personnelle à son domicile (Article L2123-18-2) .
- Un pacte de gouvernance
Rappelons que dans l’esprit de la loi française le maire a des pouvoirs immenses. Le maire est à la fois exécutif de la commune et agent de l'Etat. Les différents codes l’ont chargé de plusieurs pouvoirs de police : police administrative, sécurité publique, circulation etc. Il partage avec les adjoints le statut d’officier de police judiciaire. Chef de l’administration municipale, il peut procéder à des délégations de fonctions ou de signature, mais il reste toujours responsable de tous les actes réalisés par les adjoints et les conseillers. Il est stipulé qu’il a un devoir de contrôle sur toutes les délégations. Selon l’article L. 2122-20 du CGCT , il peut enlever toute délégation quand bon lui semble et n’est pas tenu de justifier sa décision. Les motifs de la décision de retrait n’ont même pas à être formulés dans l’arrêté qui acte le retrait de la délégation ! En clair, une tête de liste peut promettre des postes de responsabilités à des candidats et ne jamais leur donner ou leur retirer au bout de quelques mois...
Il est donc nécessaire d’établir un contrat de confiance entre les membres d’une liste électorale. On peut se connaître depuis longtemps mais on ne sait jamais comment l’attribution de tous ces pouvoirs va influer sur le comportement d’une tête de liste devenue maire… Le pacte de gouvernance que je propose préfigure le fonctionnement démocratique et transparent de l’équipe municipale. Il contient tout ce qui est esquissé plus haut: règlement intérieur, gouvernance, outils de participation citoyenne, délégations, indemnités. Il est rendu public, lors d’un évènement, devant la presse. Signé par tous et toutes. Il fait l’objet d’une publication imprimée. Il est expliqué aux habitants. Il engage moralement. Il affirme la volonté de revitaliser la démocratie. Une démocratie locale communaliste. C’est à dire la participation des habitant.e.s, des agents et élu.e.s aux décisions de la commune.
A cette heure, le 10 juillet 2025, l'Assemblée nationale a adopté en première lecture la proposition de loi visant à encourager, à faciliter et à sécuriser l'exercice du mandat d'élu local. Le Sénat l'examinera en deuxième lecture à partir du 23 septembre. Celle-ci comporte certaines dispositions qui vont dans le bon sens : création d’un statut de l'élu local dans le CGCT, 15 jours de congés électifs pour les salariés, 100 heures de compensation de perte de revenus par élu et par an, une sensibilisation sur les risques psycho‑sociaux et la santé mentale des élus locaux, 21 jours de congé formation par mandat, un statut de l’élu étudiant est instauré et les conditions d'exercice des élus locaux handicapés sont soutenues. Espérons que cette proposition de loi sera adoptée avant mars 2026, date des prochaines élections municipales.
1. Entre septembre 2020 et mars 2025, 40 démissions par mois ont été enregistrées. Observatoire de la démocratie de proximité AMF-Cevipof/Sciences Po. "Les démissions de maires : enquête sur un phénomène sans précédent." https://medias.amf.asso.fr/docs/DOCUMENTS/12a0ebbdb67aeecfb8970131a858737a.pdf
2. Enquête de l’Observatoire national des élus locaux. Enquête : "vos premiers mois en tant qu'élu municipal/communautaire". https://www.onel.fr/enquetes-all
3. Consultation des projets de contrat de service public - Questions orales - Missions d’information et d’évaluation - Expression de la minorité dans le bulletin d’information municipal - Débat sur les orientations budgétaires
4. Trois jours francs pour les communes de moins de 3500 habitants (art. L. 2121-11 du CGCT) et de 5 jours francs pour les autres (art. L. 2121-12 du CGCT)
5. https://medias.amf.asso.fr/docs/DOCUMENTS/b42aeabef63c07be03c7608fab98752c.pdf
6. https://www.collectivites-locales.gouv.fr/institutions/conseil-municipal-et-adjoints
8. Le périmètre de ces délégations est encadré par l’article L. 2122-22 du CGCT