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J'écrivais il y a cinq jours « l'après-vote, quel que soit le résultat, doit être investi par les forces sociales ».
La raison d’écrire ces lignes était établie sur le fait que les élections une fois passées, tout le monde se rendort après une petite heure de liesse populaire dans les rues de nos villes.
L’enjeu est désormais tout à fait différent et les trois années qu’il reste au mandat Macron sont déterminantes pour ancrer, sinon un nouveau paradigme, en tout cas un modèle qui orientera la société autrement que vers le fascisme.
« Investir la vie politique par les forces sociales »
Syndicats, unions locales, associations et collectifs existant dans nos villes, bourses du travail ou centres sociaux doivent inviter les élu∙es de gauche et leur mettre le deal en main : iels devront faire l'effort de l'unité malgré leurs imbéciles orientations individuelles et surtout mettre en place a minima le programme sur lequel ils se sont engagé-es.
En tant que libertaire, je ne suis pas devenu électoraliste ou républicain dans la nuit. Mais il me semble que la très relative victoire de la gauche, ne permet pas de se rendormir en attendant les prochaines présidentielles.
Or, les pulsions individuelles, à gauche, étant ce qu'elles sont on va évidemment voir ces gens se/nous trahir dès le lendemain du scrutin.
Au lieu de nous contenter de les regarder faire, il est possible de peser a minima (ou plus) en les tenant comptables.
Les moyens de les y forcer sont nombreux : le soutien syndical et associatif en cas de grèves, manifs et actions locales est une réalité. Quand les élu∙es veulent prendre la parole, dénoncer une mesure gouvernementale etc, iels le font avec nos moyens matériels, notre capacité à mobiliser, nos forces vives, nos allié∙es, nos adhérent∙es.
Leur refuser ce soutien une fois, deux fois, à chaque fois qu'iels nous trahissent, nous racontent des conneries, ou sont responsables de ne pas maintenir l'unité « de gauche », finira par peser.
Nous passons notre temps à nous lamenter que les députés ne nous respectent pas. Ce qui manque c'est plutôt que nous ne les tenons pas responsables de leurs engagements. Notre paresse est aussi coupable que leur incurie. Et ce, quelle que soit notre participation au jeu électoraliste. Libertaires, nous avons autant à peser sur les député-es que les personnes qui attachent une importance à cette institution, ne serait-ce qu'au titre que nous les subissons comme tout le monde.
Il est évident qu'il s'agit d'une action modeste au regard d'une réelle autonomie du mouvement social par rapport aux politiques. Néanmoins, à force de sanctionner leur désinvolture vis à vis de leurs mandats, ou d’entraver des décisions contraires à leurs engagements, iels finiront par avoir en tête les réactions de leur circonscription au moment de passer une loi ou un amendement.
Cette relation n'est pas à deux sens. Elle est à sens unique. Il n'est pas question que les députés monnayent leur « honnêteté », leur cohérence.
Je ne dis pas non plus que le mouvement social doive se mettre en position de chantage. Mais à tout le moins, qu’il se mette, comme il en a la possibilité, en position de force.
Je ne me fais pas l'illusion que ce rapport de force puisse passer pour de l'autogestion. Nous sommes loin de l’autonomie du mouvement social. C'est bien dans les propriétés du contexte républicain (quelque détestable qu'on puise le trouver) que ça se passe.
N'empêche, la réalité actuelle se caractérise par une instrumentation systématique des forces sociales locales par les politiques et jamais le contraire. Au premier rang de ces instrumentations, c'est le syndicalisme qui est utilisé comme bras armé par les politiques, au lieu que le syndicalisme, les associations, les collectifs soient le bras armé du mouvement social.
Cesser de subir
On me répondra qu'il y a un risque de corporatisme. Oui c'est vrai. Il y a aussi un risque de mourir tous les matins quand on sort de chez soi. La tonalité de nos actions est affaire de vigilance collective pour qu'elles ne dérapent pas. Si le problème existe il ne peut pas non plus empêcher d'agir, de s'organiser.
La question, le problème est simple : cesser , par paresse, par hypnose et par force de subir le jeu politique, dont les rôles sont distribués par ceux qui en ont fait les règles et qui nous obligent à jouer, malgré nous.
Au lendemain des élections : organiser un apéro avec bières et chips. Syndicats et collectifs sociaux, assos sociales, Maisons du peuple, centres sociaux autogérés ou non… en puissances invitantes. Le ou la député∙e en invité∙e.
« Nous vous soutiendrons dans les actions locales, mais pas à n'importe quel prix. Nous vous surveillons et vous tiendrons responsables de vos engagements sur :
1/l'unité de la gauche,
2/votre cohérence par rapport au programme (en fonction de l'actualité contingente évidemment),
3/la régularité de votre présence dans la circonscription et votre disponibilité réelle. »
Ça n'est tout simplement pas possible de continuer à les laisser s'inviter dans les manifs, prendre le micro comme si ça allait de soi. Pas plus qu'il est normal qu'ils manipulent nos forces vives.
C'est à nous de reprendre l'habitude de nous occuper de nos affaires et de tenir ces élu∙es à leurs engagements.
J'entends évidemment déjà les élu∙es professionnel∙les invoquer « réalisme » et « pragmatisme ». Contexte du parti… opposition… donner pour recevoir… le Ministre ne voudra pas que… tenu par les budgets… Etc.
Il n'est même pas question de ça pour les forces populaires locales. Notre position est simple : s’il y a manque de cohérence, manque d'honnêteté, nous enlèverons notre soutien. Momentanément. Mais à force ça fera bouger les lignes.
Parce qu'il y a plus.
Les forces en présence au lendemain des Législatives montrent que les conditions d'un blocage chaotique sont largement réunies NFP, RN et Ensemble se partagent chacun un tiers de l'Assemblée.
Alors je vais revenir sur ce que je disais plus haut. Peut-être y a t-il la place pour du donnant-donnant, au moins temporairement, avec les élu-es de gauche. Vous pesez à l'Assemblée, nous pesons dans la rue, les lieux de production, de distribution, et les lieux de consommation.
Une stratégie de prise en tenaille du contexte politique, économique et sociale.
Autonomie du mouvement social : une urgence
Histoire de montrer qu'il s'agit de changer le rapport au capitalisme, que la solidarité paye toutes origines confondues, que la politique est une affaire simple, immédiate, à portée de tous-tes, que nous ne sommes pas à subir des institutions qui nous dépassent mais pouvons créer les relations qui nous sont nécessaires, que nous désirons.
Nulle naïveté, mais un souci de décence tout autant qu'un projet de société : aller vers l'autonomie du mouvement social suppose de retrouver en nous, suppose de vouloir, de manière farouche, que la relation entre les institutions gouvernantes et les gouverné-es s'inverse. Se remette à sa place juste : ils veulent nous gouverner, au nom, paraît-il, de notre bien commun. Nous sommes concerné-es au premier chef. A nous de l'imposer. Jusqu'au moment où sera évidente l'inutilité institutionnelle de ces échelons, intermédiaires, filtres. Le système de captation a beau être millénaire, complexe et armé jusqu'aux dents, il n'en reste pas moins aussi absurde qu'il est injuste et mortel.
Il n'est plus possible d'attendre un Grand Soir, des conditions internes favorables, ou l'arrivée au pouvoir d'une gauche massive et éclairée.
Dans de nombreux pays d'Amérique latine, avec les Kurdes au Moyen-Orient, dans des collectifs divers ailleurs, la sensibilité à la situation de péril mortel dans lequel nous sommes placé-es est aigüe, et a entraîné que des quartiers, des organisations se sont emparés de leur sort, sans égard et sans attente vis à vis des gouvernements, et dans la quasi-totalité des cas, en contradiction violente avec eux.
Il est évident que cette sensibilité, ce sentiment d'urgence est encore loin de s'imposer dans notre occident repu, obsessionnel, hyper-moderne. Nous ne sommes pas assez affamé-es, pas assez pauvres, pas assez violenté-es encore par le pouvoir, ni assez terrifié-es par les débordements climatiques.
L'urgence est pourtant tout autant présente ici qu'ailleurs dans le monde.
Aux plus affolé-es, aux plus terrifié-es, aux plus conscient-es de commencer de s'organiser. Il faut bien démarrer quelque part. La révolution est un processus qui consiste à tenter, expérimenter, préparer aujourd'hui les éléments du projet de société à venir. Se tromper. Corriger.
Mais déjà, ici, aujourd'hui, maintenant.