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Billet de blog 9 mai 2023

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La société inexistante, ou, comment Macron défila dans un désert

Thatcher l'avait pourtant prophétisé et nous ne l'avions pas cru : « la société ça n'existe pas ». L'homme deux fois élu avec plus ou moins 20% des électeurs confirme sa politique : la société française n'existe pas. La preuve, il est désormais possible de saluer des rues vides, et de gouverner sans peuple.

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Illustration 1
Macron salue...rien

 L’image peut-être aura déjà fait le tour du monde. Je ne sais pas je n’ai pas ouvert les journaux étrangers encore.

Elle aura fait le tour des réseaux, comme une traînée de poudre.

Macron descend les Champs-Élysées et salue... une rue vide.

La place de l’Étoile diffuse l’image du Président pour une foule ... inexistante.

La contre-allée de la « plus belle avenue du monde » est vide, vide de gens, vide de touristes, vide de voitures, vide de livraisons, vide de reporters : déserte.

Aux points de sécurité : la police. Elle contrôle : personne. Au milieu, un type en voiture officielle salue.

La scène n’est pas même celle d’une république bananière : il y aurait des gens payés pour acclamer. Pas celle non plus d’un village Potemkine. Il s’y tiendrait, devant les fausses maisons, devant le décor, des moujiks rapidement attifés de hardes propres. Pas celle encore d’une Corée du Nord exsangue mais têtue et terrorisée : des légions de militaires, jeunes, sportifs seraient au garde à vous devant un Kim quelconque, baïonnette au creux des reins.

Personne. Macron défile, le 8 mai devant personne. Il célèbre la victoire alliée de 1945 devant personne.

Macron a congédié le peuple. Inutile. Les gens sont : rien.

L'homme deux fois élu avec plus ou moins 20% des électeurs confirme sa politique : interdire le peuple, interdire les gens, barrer la population du paysage qui pourtant, lui appartient.

Défiler devant des flics uniquement. Le résumé parfait du Macronisme.

Thatcher l'avait pourtant prophétisé et nous ne l'avions pas cru : "la société ça n'existe pas".

Macron est l’émule de Thatcher. Il est de la lignée initiée par Milton Friedman et qui se poursuit, s’incarne avec Reagan, Pinochet, Blair, Merkel... Macron s’appuie sur cette croyance ultralibérale que la société n’existe pas.

Il avait dit : «  «L'émeute, la foule, n’ont pas de légitimité ».

Pour lui et son gouvernement, manifester est de l’ordre de l’émeute, taper sur des casseroles relève du terrorisme au point que la police confisque les « appareils sonores portatifs ». Alors si un pays s’exprime, puisque la société n’existe pas, il ne peut s’agir que d’émeutes.

D’ailleurs, lorsqu’il s’assemble, le peuple est un foule. Une multitude informe. Hobbes et son Léviathan. La société n’existe pas sauf sous forme de monstre sans corps distinct, un monstre marin, qui parfois fait surface depuis des fonds sans nom, capable seulement de répandre le chaos et la désolation, et qu’il faut soumettre au règne d’Un seul.

Vraiment, il faut parvenir à penser ce moment. Il n’y en eut jamais de semblable : l’effacement du peuple, des gens, des habitants, des descendants de personnes libérées par un événement qu'on fête en dépit de sujet pour en bénéficier. Dont on tient quand même la commémoration.

C’est sidérant.

C’est bouleversant. Bouleversant d’absurdité. On peut ressentir, devant ces images, quelque chose qui serait de l’ordre de l’incursion soudaine du monde virtuel dans le monde réel. La réalisation de la féerie. L’intrusion de Qui veut la peau de Roger Rabbit dans la vraie vie.

En place de l’expression : l’émeute. En place du peuple : la foule.

Voici une doxa et un programme. Dont acte : les deux sont illégitimes. Alors on les efface. Illégitime : inexistant.

Ce sera plus simple de n’avoir pas à gouverner. Ce sera plus simple de n’avoir qu’à déplacer des meubles, inventorier ce que nous tenons sur nos étagères, nous déplacer d’une pièce de la maison à une autre, sans encombre maintenant que les habitants sont annulés.

Nous sommes dans une ère nouvelle que même le capitalisme d’État soviétique n'avait pas fait, et qui pourtant s'y connaissait en neutralisation de la contestation.

Il s’agit, donc, de l'effacement du peuple. On a fait disparaître la société.

Rendre les hommages militaires sans société pour en être le récipiendaire symbolique, saluer une foule absente, poursuivre des gestes devant un parterre déserté non par les gens qui bouderaient la cérémonie, mais empêche qu'on s'assemble par le pouvoir qui n'a plus besoin de faire semblant de gouverner, seulement d'agiter des colifichets qui ne s'adressent désormais plus à personne.

La police telle que Macron et Darmanin l'utilisent a été employée pour faire place nette. En espérant que le déploiement de violence, la démesure de moyens par rapport aux faits décourageraient les gens de manifester. Des premiers énucléé-es, morts, noyés, et bras arrachés, jusqu’à Ste Soline. Ce ne fut pas le cas. Au contraire, le peuple s'est manifesté avec joie, colère, et engagement, massivement.

Il a poursuivi les politiques avec ses ustensiles de cuisine.

Et voici un deuxième fait nouveau. Symétrique au simulacre macronien, une réalité dure, âpre, rugueuse : la réapparition d’une conscience sociale, de gestes sociaux, d’une société qui soudain se rappelle à elle-même.

Pourtant le mouvement engagé depuis le début de son premier quinquennat par Macron s'est poursuivi sans désemparer : faire comme s'il n'y avait personne à gouverner, faire comme s'il n'y avait pas de règles à respecter, faire comme si les convenances, traditions, usages, n'existaient pas. Pas même jouer le jeu, certes hypocrite, de la démocratie représentative, mais faire ce pour quoi on a mandat par les puissants de l'économie : réformer, détruire, faire taire.

Macron fait comme si... et ça marche, personne, fors la société française, ne l'en empêche.

Et elle l'en empêche en redécouvrant, comme je le disais, la joie et le plaisir de la colère, la libération de se laisser aller à ce sentiment de décence trop longtemps tu qui est la colère. Elle s'est libérée en passant aux actes, et en faisant enfin ! taire les petites voix castratrices qui depuis bientôt 50 ans lui disent que toute violence est mauvaise, car la violence commence là où les intérêts privés commencent, là où s'érige un abribus Decaux. Que la violence serait avant tout dans le bris de glace et non dans l'œil explosé d'un manifestant pacifique.

Soudain un décillement s'est fait. "C'est proprement dégueulasse ce qu'on nous fait" : la conscience soudain réveillée aux sentiments normaux d'injustice, de démesure de l’injustice, d'obscénité du quotidien. Le retour d'une certaine normalité, oui.

Alors ce que démontre la scène de Macron paradant sur les Champs vidés de monde, et Place de l’Étoile devant un écran pour dégun, ça n'est pas, comme disent certains un "divorce" du peuple et de la politique. Pour cela il faudrait qu'il y ait eu une vie commune, de la passion, quelque chose à partager parmi les dépouilles, et la garde des gosses à mettre au point.

Ça n'est pas le cas. Il y a d'un côté un simulacre, une chose vide, une machine qu'on a oublié d'éteindre et qui ne se sait pas isolée, mais qui néanmoins continue de polluer, de risquer de tout faire exploser. Et de l'autre des retrouvailles entre quelque chose qu'on peut de nouveau appeler, à gauche, "le peuple" et ses émotions, sa capacité politique : la société.

Une question demeure. La société existe. Alors c'est à elle de s'emparer du problème, de ce problème qui veut la détruire. Et ce, sur toutes faces du monde. La société : nous. Pas les instances, institutions, représentations. Car, représentation = simulacre : le rideau retombe sur rien. Une pièce vide. Nous ne sommes pas rien. Nous sommes tout.

Secouer ce parasite qui prétend que son hôte est rien.

Illustration 2
diffusion à ... personne

La place de l’Étoile vide de tout public. Photo Denis Allard pour Libération.

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