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Billet de blog 16 juin 2024

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Quand sortir les fusils

En même temps que les institutions désamorçaient la teneur politique de l'autodéfense, elles rendaient impuissant le peuple, ridicule son indignation, illégitime toute colère. A se demander si la société elle-même, comme le suggérait Thatcher, ne serait pas devenue irréelle. Nous avons repoussé la réalité fasciste en repoussant la réalité de la violence.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
La realidad

Il y a deux ans environ, Sandra Lucbert publiait un livre intitulé "Et on ne sort pas les fusils", où elle observait que les abus que nous subissions individuellement et en tant que société auraient, en d'autres temps pas si lointains, mis tout le monde dans la rue, les campagnes en armes, des groupuscules en action pour brûler, saboter, faire exploser, et des lieux de production en grève dure, et acclamées par la population.

Parallèlement à ça, nous louons le courage et la détermination kurde, zapatiste, ou autres, et définissons comme juste leur stratégies de défense populaire : qu'ils-elles sortent les fusils.

Mais dans le même temps que - par romantisme généralement - nous approuvons leurs luttes, nous nous immunisons contre l'idée même de faire pareil. "La violence est toujours...", "elle n'est jamais...", "la voie du dialogue...", "démocratie légitime...", "le juste milieu...", "les extrêmes sont...", "il y aura bien quelqu'un pour... quelque chose qui fera que..."

Et nous voilà avec le combo gagnant de l'auto-aveuglement et du recours à Dieu. Parce que l’État, le "quelque chose qui fera que", le "ils trouveront bien à ..." est de l'ordre, strictement, de la croyance en Dieu. Un déni de réalité. Dieu, que vous pensiez qu'il existe ou non, ne descend jamais s'occuper de l'intendance, et il ne compte pas les cartouches restantes.

Réalité : quand bien même, les trois semaines qui restent avant d'élire un parlement permettraient de renverser la donne fasciste, ça ne change rien aux forces en présence. Elles sont là. Elles s'expriment sans aucun problème, et de plus en plus fort depuis 40 ans. Aujourd’hui, elles occupent toutes les chaînes de télé.

Elles sont par ailleurs à la manœuvre en Europe et ailleurs (USA, Chine, Russie...).

Réalité : nous sommes dans un moment historique de présence fasciste.

Penser qu'il y aura lieu de pousser un soupir de soulagement si les urnes sont favorables, c'est comme d'imaginer que la grippe qu'on a chopé enfant, nous prémunit contre le contrôle de maths qu'on a loupé. Non : le prof te le fera passer à ton retour.

Réalité : le fascisme est déjà là et il a déjà crevé les yeux, arraché les bras, abusivement mis en taule les camarades. Appauvri, humilié, terrorisé.

Ne me faites pas chier avec les quelques maigrichonnes victoires obtenues au Conseil d’État, ou parce qu'un-e militant-e a été relaxé par un juge sympa. Les juges sympas sont l'exception. La règle c'est l'abus, la corruption, la violence, et des lois qui les permettent : réalité.

Réalité : on va l'avoir le fascisme. Sinon au 30 juin, en tout cas en 2027.

Réalité : le système parlementaire de type républicain a été taillé sur mesure pour le capitalisme et ne consiste aucunement en un pouvoir démocratique. Ni Jefferson au États-Unis, ni les révolutionnaires français n'ont eu l'intention de mettre en place une démocratie. Ils ont mis en place un ensemble de caisse de résonance à leurs décisions de classe : celle du capitalisme (lire Francis Dupuis-Derri sur ce sujet).

Réalité : vous n'avez jamais vécu, dans le cadre du pays, un moment de démocratie. Les seuls endroits où vous l'avez fait, et encore rarement tant le paradigme autoritaire et non-démocratique est profond, c'est dans les collectifs et associations auxquels vous participez.

Réalité : si Macron gagne, ce sera pire qu'aujourd'hui. Réalité : le RN au pouvoir, ou quelque soit le nom qu'il prendra : ce sera pire. Encore plus.

Réalité : nous sommes dans le pire. Celui de mes grands-parents.

Les formes et les accents seront différents, mais c'est la fascisme. Il est là : réalité.

Il faut donc sortir les fusils.

Se taire, devenir clandestins - pas comme Damasio depuis sa munificente propriété provençale qui fait de l'anarchisme esthétique - mais pour de vrai.

Pas pour aveuglément décréter la fin de l'espèce humaine qui est si conne et malfaisante qu'on peut la sacrifier sur l'autel d'un écologisme fanatique, mais sortir les fusils pour nous défendre : humain-es qui souhaitons le rester pour peut-être parvenir à remplir un jour le programme dont nous sommes capables de démocratie, de vie ensemble etc.

La réalité c'est ce truc qui toujours nous échappe (lire Clément Rosset), au point qu'on prend notre parti de la fuir ou de la travestir et de recourir à de la pensée magique : Dieu, tribun, homme providentiel, solution miracle qui descend de nuages empourprés.

La réalité c'est que c'est nous qui faisons nos conditions. La réalité c'est que le danger est pire qu'en 39. Il est autre, il est mécanisé, technicisé à mort, il roule sur une terreur planétarisée.

La réalité.

(On lira avec profit Elsa Dorlin, Sandra Lucbert, Francis Dupuis-Deri, notamment)

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