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Marseille, place des Réformés, 14h.
Les Kurdes de Marseille, ceux et celles qui ont trouvé à se libérer de leur travail ou de leurs obligations, se sont rassemblé·es : pour dire à leur pays d’accueil qu’ils attendent justice, pour se réconforter - plusieurs personnes ont la larme à l’oeil, et comptaient peut-être des gens connus, familiers, parmi les victimes de la rue d’Enghien - pour dire surtout leur exaspération à être des cibles... Ils et elles sont rejoint-es par quelques soutiens de la cause kurde.
Après une rapide prise de parole liant dans un même souffle le motif raciste des meurtres qui viennent d’avoir lieu à Paris, et l’interminable martyr de leur peuple aux mains d’Erdogan, les Kurdes de Marseille forment un cortège, et descendent la Canebière vers la Préfecture.
Quelques heures plus tôt, un quasi-septuagénaire a froidement abattu 2 personnes, en blessant 6 autres, dont l’une mourra peu de temps après. Lesté de 6 chargeurs, pistolet au poing, il a arrosé de balles les personnes qui se trouvaient à l’extérieur du Centre démocratique kurde (CDK-F) de la rue d’Enghien (Paris X), ainsi que les clients du restaurant kurde qui lui fait face.
Six chargeurs, c’est environ six fois 12 balles. Autant dire que l’intention de massacre est évidente pour cet homme dont on ne connaît pas encore l’identité mais dont on sait qu’il est deux fois condamné pour violences avec armes et ciblage de personnes racisées (il a attaqué un campement de réfugié-es au sabre !).
Le cortège qui s’ébranle vers la Préfecture de Marseille, comme toujours avec les militant-es kurdes, est digne, discipliné, entonnant les habituels slogans antifascistes à l’encontre du régime turc, ou en soutien à Abdullah Öçalan. Pas de débordements, ni de paroles déplacées. Ça n’est pas du tout le style.
La manifestation n’est pas interdite, la police escorte le cortège, fait la circulation. Nous nous faisons la réflexion qu’un jour comme celui-ci, il n’y a aucune chance que la police nous bouscule. Trois mort-es kurdes, ça se respecte.
Nous débouchons à l’angle de la Préfecture. Les flics ont formé un cordon de CRS, flanqué d’éléments de la BAC. En une minute, c’est joué : un camarade s’effondre la tête en sang, une gazeuse est déchargée sur le premier rang. Les gens se mettent à crier, complètement sidérés par le comportement de la police, lui demandent des comptes - qu’est-ce qui vous prend ? on vient discuter, manifester, pacifiquement... Le ton monte, les flics nous matraquent. Re-gaz.. Il faut maîtriser un camarade kurde fou de rage de s’être fait frapper sans explication, sans raison.
Sans sommation.
Car il n’y a eu aucune sommation, aucune discussion, aucune demande de dispersion.
Nous sommes arrivé-es à la Préfecture et nous avons été fracassé-es, gazé-es, matraqué-es.
Les agents de la BAC nous délogent à coups de pied, s’acharnent sur un blessé tombé à terre, que des camarades couvrent de leur corps.
Les gens autour de nous sont fous de douleur et de colère. On nous tue par balles à Paris et quand nous voulons exprimer notre douleur ici, on nous réprime dans le sang ?
Il faut toute la force et la patience des cadres femmes et hommes du CDK de Marseille pour calmer les esprits. Un semblant d’ordre à peine revenu, l’arrivée de 8 camions de CRS, pour les quelques cent que nous sommes encore, relance la colère, l’indignation. Des cailloux et des bouteilles volent, dans un sens, des lacrymos dans l’autre.
Comme toujours sous Macron, la réponse unique à tous les problèmes est la répression. Pas de négociation, pas de possibilité d’allocution sous les fenêtres de la Préf’ ou de délégation pour discuter sous les lambris de la République. A une autre époque, pas si lointaine, une consigne d’évidente humanité aurait été donné à toutes les préfectures, commissariats, gendarmeries de France : « Allez-y doucement avec les Kurdes, ils viennent de subir un attentat meurtrier. N’oublions pas que c’est grâce à eux que Daech a été vaincu. Parmi les manifestant-es il y a des hommes et des femmes qui ont perdu des fils, des filles en Syrie et en Irak. Respectez leur douleur ».
Autant pour la dignité de l’Etat français et de ses serviteurs. Autant pour son humanité, autant pour le respect des personnes, et surtout des Kurdes : alliés quand ça arrange, encombrants quand l’homme fort d’Ankara donne de la voix, soumet l’Europe à sa politique moyen-orientale, brise les reins de la Suède et de la Finlande.
De qui Macron est-il l’ami ?
Le ton parmi les manifestant-es gazé-es et matraqué-es a changé : les flics sont devenus « les chiens de Macron », le slogan qui tourne : « Erdogan assassin, Macron complice »... l’exaspération est à son comble. « Pour vous défendre, vous savez nous trouver... ». Voilà ce qu’on entend place de Rome, à Marseille.
Nous ne le savons pas à ce moment mais il se passe des scènes semblables à Paris dans le Xème. Cohérence de la répression.
Dans quelques jours, le 7 janvier, sera commémorée la funeste date de l’assassinat par les services secrets turcs de trois militantes kurdes - Layla, Sakine, Rojbîn. Tuées en plein Paris il y a maintenant dix ans, l’enquête n’a pas avancé d’un pouce.
Nous savons de qui Macron est l’ami.

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