(Rosa Luxemburg, La Commune, pour un 150e anniversaire doublement présent)
"Rien n’est plus à même de libérer d’un seul coup d’un seul notre pensée des chaînes étouffantes des idées reçues et à l’entraîner dans toutes les directions qu’une période révolutionnaire. L’histoire réelle, comme la nature créatrice, est bien plus étrange et plus riche dans ses inventions que le pédant qui classifie et systématise tout.
Lorsque parvint pour la première fois à l’étranger l’annonce de la marche des travailleurs de Saint-Pétersbourg pour remettre au tsar une supplique, celle-ci suscita généralement des sentiments mitigés et sans aucun doute d’abattement. Une image étrange de naïveté primitive empreinte dans le même temps d’un caractère tragique et grandiose, enveloppée d’un voile mystique inconnu et déconcertant, s’offrait au regard réaliste du sage Européen, qui hochait la tête tristement la tête devant l’aveuglement fatal de tout un peuple."
En 1905, une première révolution a ébranlé l’Empire russe : une partie de la Pologne dont était originaire Rosa Luxemburg faisait à l'époque partie de l’Empire tsariste. Cette première révolution russe a profondément marqué la pensée et l'action de Rosa Luxemburg. Elle y a participé, a été arrêtée, emprisonnée, elle y a risqué sa vie. Elle lui a aussi consacré un grand nombre d’articles et d’analyses en particulier sur la grève de masse qui prend pour elle une importance centrale.
Elle l'amène à réfléchir aussi aux formes in-attendues au sens propre que peuvent prendre les mouvements révolutionnaires. Ici un très bel extrait d'un texte sur le "Dimanche rouge" : il concerne la manifestation du 9 janvier 1905 (“étrange” pour les bourgeois, pour les partis sociaux-démocrates, loin de leur schéma de ce que doit être une révolution) qui vit des ouvriers, femmes en tête, marchant derrière ... un prêtre apporter ... une supplique au tsar devant le Palais d’hiver. Et ce spectacle lui en rappelle un autre :"le spectacle a déjà eu lieu une fois dans l’histoire". La marche sur Versailles en 1789.
La réplique fut sanglante, le nombre de morts à la mesure de ce pouvoir absolu. Et ces morts rappellent à Rosa Luxemburg ceux des pavés et des barricades de Paris.
Dans ce texte important qui n’est pas encore complètement traduit [Cela sera fait rapidement], elle analyse avec humour et précision le départ “hors norme’ {Pour qui?] de ce mouvement révolutionnaire.
A réfléchir pour aujourd’hui, en pensant pourquoi pas au mouvement des gilets jaunes.
Extrait de l'article "Pélerinage du prolétariat", 22 février 1905 :
Rien n’est plus à même de libérer d’un seul coup d’un seul notre pensée des chaînes étouffantes des idées reçues et à l’entraîner dans toutes les directions qu’une période révolutionnaire. L’histoire réelle, comme la nature créatrice, est bien plus étrange et plus riche dans ses inventions que le pédant qui classifie et systématise tout.
Lorsque parvint pour la première fois à l’étranger l’annonce de la marche des travailleurs de Saint-Pétersbourg pour remettre au tsar une supplique, celle-ci suscita généralement des sentiments mitigés et sans aucun doute d’abattement. Une image étrange de naïveté primitive empreinte dans le même temps d’un caractère tragique et grandiose, enveloppée d’un voile mystique inconnu et déconcertant, s’offrait au regard réaliste du sage Européen, qui hochait la tête tristement la tête devant l’aveuglement fatal de tout un peuple.
Ce n’est que lorsque les canons ont été montés sur l’esplanade Ostrow-Wassilewski, lorsque cet étrange pèlerinage a été accueilli par le tsarisme avec un sérieux au sens propre « sanglant » que se sont rappelés à notre souvenir Paris, les barricades, des réminiscences tout à fait modernes de l’Europe occidentale. Et lorsque nous apprîmes que dans d’autres villes de Russie le soulèvement prenait la forme populaire de la grève générale, avec de plus la distribution massive de tracts sociaux-démocrates, nous fûmes complètement rassurés sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’une caravane orientale, mais d’une révolution prolétaire moderne. …
Car le spectacle a déjà eu lieu une fois dans l’histoire, et le début s’est déroulé tout à fait selon la recette libérale. Ce 5 octobre 1789, lorsque le prolétariat parisien, les femmes en tête, se rendit à Versailles pour ramener son gros Capet à Paris et pour lui parler entre quatre’s yeux, les choses se passèrent d’abord avec une acceptable urbanité et dans un assez bel ordre. Louis XVI donna l’assurance, quoique les lèvres quelque peu tremblantes, qu’il souhaitait revenir “avec confiance et avec plaisir” auprès de ses chers Parisiens, et peu après il y eut même sur le Champ de Mars une grande démonstration de serments mutuels de fidélité et de vœux pour l’éternité, sans fin, tout à fait comme entre un lycéen amoureux et une gamine rougissante sous un lilas en fleur. Et pourtant, le bon Louis s’est vite tellement empêtré dans le jeu idyllique commencé avec le peuple qu’il a fini par en perdre complètement sa tête de cochon.
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Traduction Dominique Villaeys-Poirré, 15.02.2021