Le combat pour le 1er mai a été un combat constant pour Rosa Luxemburg qui y voyait un moment de lutte essentiel des prolétaires, contre l'exploitation et contre les menaces que faisaient peser sur eux l'impérialisme et la marche vers la guerre. Ici, quelques-un de ses textes. (Voir un billet de "silence, des ouvriers meurent" : hommage aux 100 premiers morts au travail)
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1er mai 1916. manifestation avec Rosa Luxemburg
Rosa Luxemburg et la défense du 1er mai.
Le combat pour le 1er mai a été une constante de l'action de Rosa Luxemburg.Pour son maintien : en effet, le 1er mai était reconnu en Allemagne depuis 1890, mais ce n'était pas un jour férié, c'était donc un jour de lutte car il fallait cesser le travail pour s'inscrire dans cette journée de solidarité internationale pour les droits des travailleurs, une action forte pour les travailleurs qui en supportaient en particulier le coût financier. Le parti social-démocrate dans sa version majoritaire réformiste a tenté à de multiples reprises de le supprimer ou de l'édulcorer et Rosa Luxemburg est intervenue vigoureusement lors des différents Congrès où ce thème a été porté à l'ordre du jour. Pour en défendre aussi le contenu: en plus de la défense des droits des travailleurs, c'est aussi sa dimension internationale, son caractère de lutte solidaire et internationale contre l'impérialisme (et contre la guerre qui s'approche) qu'elle défend. En 1919, moins de cinq mois après l'assassinat de la révolution, la social-démocratie ne put faire autrement que de décréter le 1er mai 1919, jour férié, mais dans la plus grande tradition de ce courant, ce 1er mai férié aura la plus éphémère des existences, Ce sera le seul 1er mai férié de la République de Weimar! Ce 1er mai est aussi de manière significative le début de l'écrasement de la révolution à Munich.
LIRE ET VOIR SUR MEDIAPART AUJOURD'HUI, HOMMAGE AUX 100 PREMIERS MORTS AU TRAVAIL DE 2021
"De fait, qu’est-ce qui pourrait donner aux travailleurs plus de courage et plus de confiance dans leurs propres forces qu’un blocage du travail massif qu’ils ont décidé eux-mêmes ? Qu’est-ce qui pourrait donner plus de courage aux esclaves éternels des usines et des ateliers que le rassemblement de leurs propres troupes ?
En 1904
La fête de Mai de cette année tire un relief particulier de cette circonstance qu'elle est célébrée au milieu du bruit de la guerre. Par là, son caractère de démonstration en faveur de la paix du monde prend naturellement le dessus cette année.Mais plus que jamais, en présence de la guerre, la démonstration spécifique prolétarienne doit aussi être l'expression de cette idée, que la réalisation de la paix universelle ne peut être conçue que liée à la réalisation de notre but final socialiste.
En 1907
Le 1er mai est un élément historique et vivant du combat international des prolétaires et reflète de ce fait fidèlement tous les moments de ce combat depuis près de 20 ans. Vu de l'extérieur, c'est la répétition monotone des mêmes discours et articles, des même revendications et résolutions. C'est pourquoi, ceux dont le regard ne reste qu'à la surface figée des choses et ne perçoivent pas le devenir imperceptible interne des situations, pensent que le 1er mai a perdu son sens du fait de cette répétition, qu'il est pratiquement devenu "une manifestation vide de sens". C'est seulement derrière cette apparence extérieurement semblable que bat le pouls divers du combat prolétaire, le 1er mai vit avec le mouvement ouvrier et change en fonction de lui, reflète dans ses propres contenus, sa propre atmosphère, ses propres tensions, les situations changeantes du combat de classe.
En 1909
La lutte de classes, génératrice de ces crises qui déchire la société bourgeoise et qui, fatalement, causera sa perte, fait comme une trainée rouge à travers toute l’histoire d’un siècle. Elle se dessinait confusément dans la grande tourmente de la Révolution française. Elle s’inscrivait en lettres noires sur la bannière des canuts de Lyon, les révoltés de la faim qui, en 1834, jetèrent le cri : « Vivre en travaillant ou mourir en combattant ! » » Elle alimentait le feu rouge des torches allumées par les chartistes anglais de 1830 et de 1840. Elle se levait comme une colonne de flammes du terrible massacre de juin 1848 à Paris. Elle jetait son éclat de pourpre dans la capitale de la France, sur le mouvement de 1871, lorsque la canaille bourgeoise victorieuse se vengeait sur les héros de la Commune par le fer meurtrier des mitrailleuses. …
En 1913
Le développement dans son ensemble de l'impérialisme dans la dernière décennie conduit la classe ouvrière internationale à voir plus clairement et de façon plus tangible que seule la mise en mouvement des masses, leur action politique autonome, les manifestations de masse et leurs grèves ouvriront tôt ou tard une phase de luttes révolutionnaires pour le pouvoir et pour l'Etat, peuvent apporter une réponse correcte du prolétariat à l'immense oppression que produit les politiques impérialistes. En cette période de course aux armements et de folie guerrière, seule la volonté résolue de lutte des masses ouvrières, leur capacité et leur disposition à de puissantes actions de masse, peuvent maintenir la paix mondiale et repousser la menace d'une guerre mondiale. Et plus l'idée du Premier Mai, l'idée d'actions de masse résolues comme manifestation de l'unité internationale, comme un moyen de lutte pour la paix et le socialisme, s'enracinera, plus notre garantie sera forte que de la guerre mondiale qui sera, tôt ou tard, inévitable, sortira une lutte finale et victorieuse entre le monde du travail et celui du capital.
En 1914
Ces mêmes 25 années se trouvent placées sur le plan politique sous le signe d’un nouveau phénomène : l’impérialisme.Alors qu’à la fin des années 80, la petite Europe était encore le théâtre de la diplomatie internationale avec ses passifs du temps de ses aïeux, et ses moyens et artifices à l’ancienne, c’est aujourd’hui dans l’ensemble du monde, ses cinq continents, ses trois océans, que le capital international dépose ses mines qui déciment les peuples, prépare ses zones de turbulence, lâche ses chevaliers de l’apocalypse pour des révolutions et des guerres sanglantes. Depuis se sont succédé à la rapidité de l’éclair, entre ses murs et dans ses bastions, les guerres sino-japonaise, hispano-américaine, sud-africaine, sino-européenne, russo-japonaise, tripolitaine et la guerre des Balkans, les révolutions russe, perse, turque, chinoise, elles, ont transformé le vieil ordre millénaire en ruines fumantes qui annoncent dans le même souffle la domination mondiale du capital et sa fin proche.
En 1916
Manifestation avec Karl Liebknecht et le groupe l'Internationale qui entraînera en août l'emprisonnement de Rosa Luxemburg jusqu'à la fin de la guerre en rétention administrative, sans jugement. Elle écrit peu après la manifestation : Merci beaucoup pour votre carte de vœux et votre lettre. Je n’avais pas votre adresse jusqu’à maintenant et ne pouvais donc pas vous écrire. D’autre part, je peux à peine prendre le temps de me reprendre du fait des démarches et réunions incessantes. Vous imaginez bien qu’il y a beaucoup à faire depuis le 1er mai ! Évidemment, vous souhaitez savoir ce qu’il en est pour K[arl]. Malheureusement, on ne peut encore rien dire de précis pour l’instant ! L’enquête continue, l’accusation n’a pas été n’a pas encore été formulée. Les perspectives ne semblent pas défavorables, mais vous savez que dans de tels cas, c’est la Raison d’Etat [ndlt : en français dans le texte] qui décide, il ne reste donc qu’à attendre ce qu’elle va décider. Il est déjà clair que l’immunité sera rejetée par l’ensemble du Reichtag bourgeois. Très bien : c’est le suicide politique du parlementarisme. La manifestation du 1er mai a été très réussie et a dépassé toutes nos attentes, d’autant que nous l’avons organisée tout seuls avec peu de forces et dans un laps de temps des plus courts. Les gens autour de Ledebour ont été contactés et ont … refusé.
En 1919. C'est le 1er "1er mai" sans Rosa Luxemburg.
Et une loi éphémère : la loi pour l'instauration d'un jour férié le 1er mai. "Un jour férié est institué dédié à l'idée de paix mondiale, de Société des nations et de protection internationale des travailleurs et avec l'engagement de lui donner le caractère d'un jour férié observé dans le monde entier. Son inscription définitive sera effective après la signature de la paix et le vote de la constitution. Cette année, il sera fêté le 1er mai." Loi du 17 avril 1919.
Texte paru dans la Sprawa Robotnicza, le 8 février 1894. Titre original : Jak powstalo Swieto Majowe. Repris sur le site marxists.catbull.com
L’heureuse idée d’utiliser la célébration d’une journée de repos prolétarienne comme un moyen d’obtenir la journée de travail de 8 heure (1) est née tout d’abord en Australie. Les travailleurs y décidèrent en 1856 d’organiser une journée d’arrêt total du travail, avec des réunions et des distractions, afin de manifester pour la journée de 8 heures. La date de cette manifestation devait être le 21 avril. Au début, les travailleurs australiens avaient prévu cela uniquement pour l’année 1856.
Mais cette première manifestation eut une telle répercussion sur les masses prolétariennes d’Australie, les stimulant et les amenant à de nouvelles campagnes, qu’il fut décidé de renouveler cette manifestation tous les ans. De fait, qu’est-ce qui pourrait donner aux travailleurs plus de courage et plus de confiance dans leurs propres forces qu’un blocage du travail massif qu’ils ont décidé eux-mêmes ? Qu’est-ce qui pourrait donner plus de courage aux esclaves éternels des usines et des ateliers que le rassemblement de leurs propres troupes ? Donc, l’idée d’une fête prolétarienne fût rapidement acceptée et, d’Australie, commença à se répandre à d’autres pays jusqu’à conquérir l’ensemble du prolétariat du monde.Les premiers à suivre l’exemple des australiens furent les états-uniens. En 1886 ils décidèrent que le 1er mai serait une journée universelle d’arrêt du travail. Ce jour-là, 200.000 d’entre eux quittèrent leur travail et revendiquèrent la journée de 8 heures. Plus tard, la police et le harcèlement légal empêchèrent pendant des années les travailleurs de renouveler des manifestations de cette ampleur. Cependant, en 1888 ils renouvelèrent leur décision en prévoyant que la prochaine manifestation serait le 1er mai 1890.Entre temps, le mouvement ouvrier en Europe s’était renforcé et animé. La plus forte expression de ce mouvement intervint au Congrès de l’Internationale Ouvrière en 1889 (2). A ce Congrès, constitué de 400 délégués, il fût décidé que la journée de 8 heures devait être la première revendication. Sur ce, le délégué des syndicats français, le travailleur Lavigne(3)de Bordeaux, proposa que cette revendication s’exprime dans tous les pays par un arrêt de travail universel. Le délégué des travailleurs américains attira l’attention sur la décision de ses camarades de faire grève le 1er mai 1890, et le Congrès arrêta pour cette date la fête prolétarienne universelle.A cette occasion, comme trente ans plus tôt en Australie, les travailleurs pensaient véritablement à une seule manifestation.
Le Congrès décida que les travailleurs de tous les pays manifesteraient ensemble pour la journée de 8 heures le 1er mai 1890. Personne ne parla de la répétition de la journée sans travail pour les années suivantes. Naturellement, personne ne pouvait prévoir le succès brillant que cette idée allait remporter et la vitesse à laquelle elle serait adoptée par les classes laborieuses. Cependant, ce fût suffisant de manifester le 1er mai une seule fois pour que tout le monde comprenne que le 1er mai devait être une institution annuelle et pérenne.Le 1er mai revendiquait l’instauration de la journée de 8 heures. Mais même après que ce but fût atteint, le 1erer mai sera l’expression annuelle de ces revendications. Et, quand des jours meilleurs se lèveront, quand la classe ouvrière du monde aura gagné sa délivrance, alors aussi l’humanité fêtera probablement le 1er mai, en l’honneur des luttes acharnées et des nombreuses souffrances du passé. mai ne fût pas abandonné. Aussi longtemps que la lutte des travailleurs contre la bourgeoisie et les classes dominantes continuera, aussi longtemps que toutes les revendications ne seront pas satisfaites, e 1° mai sera l’expression annuelle de ces revendications. Et, quand des jours meilleurs se lèveront, quand la classe ouvrière du monde aura gagné sa délivrance, alors aussi l’humanité fêtera probablement le 1° mai, en l’honneur des luttes acharnées et des nombreuses souffrances du passé.
A propos du texte : Rosa Luxemburg a 24 ans. Comme de nombreux militants de l'empire tsariste, elle s'est réfugiée en Suisse. Elle les côtoie et peut échanger et réfléchir à la poursuite de son action politique. Elle rencontre ainsi des révolutionnaires polonais, et ils créent le Parti social-démocrate du royaume de Pologne sur des bases de classes et internationalistes en opposition au parti socialiste polonais (PPS) qui met en avant la revendication nationale. Le SDKP, puis SDKPiL (pour Lituanie) se dote d'un journal la Sprawa Robotnicza. C'est pour assurer la publication de ce journal que Rosa Luxemburg effectue des séjours à Paris. Quelques indications dans sa correspondance montrent concrètement les relations avec l'imprimeur, avec les militants - cela parlera à tous ceux qui ont eu à réaliser un journal militant! -, sa part dans le journal et la diffusion en Pologne en particulier, diffusion clandestine et dangereuse qui s’arrêtera avec la répression, les arrestations. C'est l'arrière-plan qu'il faut avoir à l'esprit quand on lit le texte qu'elle consacre au Ier mai. Nous ne sommes pas en présence d'un texte académique mais d'un texte de lutte, un texte qui veut mettre en avant la dimension internationaliste et de classe, un texte réalisé dans un contexte de lutte dangereux et clandestin pour sa diffusion en Pologne, un des premiers textes de Rosa Luxemburg qui témoigne de la continuité de ses choix politiques
1904 . Dans la tempête.
Article "Dans la tempête"
Agrandissement : Illustration 4
La fête de Mai de cette année tire un relief particulier de cette circonstance qu’elle est célébrée au milieu du bruit de la guerre. Par là, son caractère de démonstration en faveur de la paix du monde prend naturellement le dessus cette année. Mais plus que jamais, en présence de la guerre, la démonstration spécifique prolétarienne doit aussi être l’expression de cette idée, que la réalisation de la paix universelle ne peut être conçue que liée à la réalisation de notre but final socialiste.
Si la guerre russo-japonaise a démontré quelque chose, c’est toute la vanité des spéculations de ces socialistes « humanitaires », qui prétendent fonder la paix du monde sur le système d’équilibre de la Double et de la Triple alliance. Ces panégyristes des alliances militaires ne pouvaient assez exprimer leur enchantement de la période de trente ans de paix dans l’Europe centrale et, se basant sur ce fait, proclamaient déjà tout naturellement « la paix en marche » et « l’humanité dans la paix ». Le tonnerre des canons de Port-Arthur, qui a fait trembler convulsivement les Bourses européennes, rappelle à l’intelligible voix à ces idéologues socialistes de la société bourgeoise que, dans leurs fantaisies sur la paix européenne, ils n’avaient négligé qu’un seul facteur : la politique coloniale moderne, qui a, dès à présent, dépassé le stade des conflits européens locaux en les transportant sur le Grand Océan.
La guerre russo-japonaise donne, à présente, à chacun conscience que même la guerre et la paix de l’Europe, ses destinées, ne sont plus décidées entre les quatre murs du concert européen, mais au dehors, dans la gigantesque Maelström de la politique mondiale et coloniale. Et c’est en cela que réside la grande signification de la guerre actuelle pour la démocratie-socialiste, même abstraction faite de son effet immédiat : l’effondrement de l’absolutisme russe. Cette guerre ramène les regards du prolétariat international sur les grandes connexités politiques et économiques du monde et dissipe violemment dans nos rangs le particularisme, la mesquinerie dans les idées, qui se forment dans toute période de calme politique
.La guerre arrache complètement tous les voiles dont le monde bourgeois, ce monde de fétichisme économique, politique et social, nous enveloppe constamment.La guerre détruit l’apparence qui fait croire à l’évolution sociale pacifique, à l’omnipotence et à l’intangibilité de la légalité bourgeoise, à l’exclusivisme national, à la stabilité des conditions politiques, à la direction consciente de la politique par ces « hommes d’Etat » ou des partis, à la portée capable d’ébranler le monde des chamailleries dans les Parlements bourgeois, au parlementarisme, comme centre prétendu de l’existence sociale.La guerre déchaîne, en même temps que les puissances réactionnaires du monde capitaliste, les forces génératrices de révolution sociale qui fermentent en leurs profondeurs.Eh bien, nous célébrons, cette fois, la fête de Mai sous âpre brise, l’allure fortement précipitée des événements dans le monde.Rosa Luxemburg – Parti démocrate-socialiste de Pologne et de Lituanie
A propos de ce texte : La fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle a été une marche continue vers la guerre marquée par les conflits liés à la concurrence entre Etats nationaux et au colonialisme. Loin d’être la responsabilité d’un peuple, voire d’un seul Etat, en l’occurrence l’État allemand (le traité de Versailles est l’une des principales origines du fascisme avec la répression par la social-démocratie de la révolution spartakiste), elle est due au développement de l’impérialisme et au ralliement de la lIème internationale. Rosa Luxemburg a accompagné chaque pas vers le conflit mondial de ses analyses et de son action. Le texte suivant a été écrit pour le conflit russo-japonais. Rosa Luxemburg utilise le 1er mai pour tenter de mobiliser et affirme que la réalisation de la paix ne peut venir que d’une révolution socialiste (au sens de l’époque).Rosa Luxemburg, 1er mai 1904. “La fête de Mai de cette année tire un relief particulier de cette circonstance qu’elle est célébrée au milieu du bruit de la guerre” comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com Texte paru dans la Le Socialiste, le Numéro du 1-8 mai 1904. Repris sur le site https://www.marxists.org/francais/luxembur/works/1904/05/lux_19040501.htm
1907 La fête du 1er mai
Agrandissement : Illustration 5
Le 1er mai est un élément historique et vivant du combat international des prolétaires et reflète de ce fait fidèlement tous les moments de ce combat depuis près de 20 ans. Vu de l’extérieur, c’est la répétition monotone des mêmes discours et articles, des même revendications et résolutions. C’est pourquoi, ceux dont le regard ne reste qu’à la surface figée des choses et ne perçoivent pas le devenir imperceptible interne des situations, pensent que le 1er mai a perdu son sens du fait de cette répétition, qu’il est pratiquement devenu « une manifestation vide de sens ».
C’est seulement derrière cette apparence extérieurement semblable que bat le pouls divers du combat prolétaire, le 1er mai vit avec le mouvement ouvrier et change en fonction de lui, reflète dans ses propres contenus, sa propre atmosphère, ses propres tensions, les situations changeantes du combat de classe.
La fête du 1er mai a connu trois grandes phases dans son histoire. Les premières années, alors qu’elle devait se frayer un chemin, elle a été accueillie par les prolétariats de tous les pays avec beaucoup d’espoir et d’enthousiasme. La classe ouvrière intégrait une nouvelle arme dans son équipement et les premiers essais pour utiliser cette arme ont galvanisé le sentiment de force et l’ardeur à combattre de millions d’exploités et d’opprimés. De son côté la bourgeoisie de tous les pays l’accueillait avec la plus grande des peurs et la plus profonde haine. La pensée de la manifestation internationale socialiste lui apparaissait comme le spectre de l’ancienne Internationale tant haïe, la décision d’une fête commune de tous les travailleurs du monde comme le glas de la domination bourgeoise.
D’où les tentatives ridicules des première années de réprimer le danger du 1er mai par la violence policière et militaire. A la tète de cette colonne armée de la bourgeoisie effrayée, se précipita la « république libre » française, et seulement après elle l’absolutisme tsariste. Le sang prolétarien pour un premier mai coula d’abord à Fourmies en 1891, suivit en 1892 une répression sanglante à Lodz en 1892.
Mais bientôt les classes dirigeantes se calmèrent et reconnurent le caractère purement démonstratif du 1er mai. D’autre part s’installait une longue période de combat essentiellement parlementaire et la construction tranquille des organisations politiques et syndicales. L’année de naissance du 1er mai apporta en Allemagne la fin des « Lois contre les socialistes », en 1893, le prolétariat de Belgique et en 1896 celui d’Autriche entrèrent au parlement. Les années 90 représentèrent une période de travail syndical acharné et de montée irrésistible de la représentation de la classe ouvrière au parlement. Face au combat pour le représentation des travailleurs dans les parlements, les manifestations des travailleurs eux mêmes reculèrent dans l’ombre, de même que, face à l’action positive et la construction des partis ouvriers dans chaque pays, l’idée de communauté internationale du prolétariat. Le 1er mai devient peu à peu une fête pacifique que la société bourgeoise regarde avec une certaine sérénité.
Dans les dernières années, on constate une évolution sensible de la situation de la classe ouvrière. Un fort vent souffle de nouveau sur le champ des luttes. A l’est, la grande révolution russe. En Allemagne une aggravation et une exacerbation du combat politique et économique : une du prolétariat dans l’industrie et une union de tous les partis bourgeois pour exclure la classe ouvrière du parlement. En France, une croisade brutale du gouvernement « radical » contre les syndicats et une série de combats désespérés pour les salaires. Exaspéré par la progression puissante des organisations prolétariennes de ces 15 dernières années, effrayé par la révolution russe, le capitalisme international devient nerveux, servile, agressif.
Et de ce fait commence pour la fête du 1er mai une nouvelle phase. A partir de l’idée de la possibilité d’une manifestation directe de la masse des prolétaires qui la caractérise, – la seule action politique directe en dehors des élections – elle se sent investie de nouveaux contenus, d’un nouvel esprit, dans la mesure où l’exacerbation des combats de classe place les masses prolétaires de nouveau de plus en plus au premier rang . Plus la réaction, la violence de la bourgeoisie dans les domaines politiques, économiques dispute aux intérêts prolétariens chaque pouce de terrain, plus s’approchent les temps où les masses prendront leur sort en mains, où elles devront en personne combattre pour les intérêts de leur libération de classe. Se préparer à ces temps inévitables à court ou long terme, s’armer pour ces temps de la conscience de ses propres devoirs et de sa propre puissance, c’est actuellement la tâche du prolétariat et pour cela la fête du 1er mai en tant que manifestation directe des masses constitue un moyen pour arriver à cela. En Allemagne, la réponse à l’échec parlementaire de la social-démocratie doit être une fête du 1er mai imposante. La masse des travailleurs doit répondre à la masse unie réactionnaire de la bourgeoisie : vous voulez chasser nos représentants par votre législation, vous voyez que nous sommes nous-mêmes plus décidés, plus unis, plus combattifs.Un autre élément du 1er mai vient au premier plan avec une force renouvelée: l’internationalisme de la cause ouvrière. Tant que le combat de classe jouit dans chaque pays d’un minimum d’apparence de liberté démocratique, le prolétariat est dominé par les caractéristiques de celui-ci et par les divisions nationales. Cependant, dès que la violence fondamentale du combat de classe monte des profondeurs de la société capitaliste vers la surface, dès que le combat atteint les limites de l’affrontement des masses avec les puissances dominantes, l’idée d’un prolétariat mondial unique et indivisible renaît avec une force accrue.
Les préparatifs de la bourgeoisie pour le 1er mai rappelle dans tous les pays rappelle cette année au prolétariat que le combat pour la libération est le même dans tous les pays. Aujourd’hui, à la tête de l’armée des travailleurs de tous les pays se tient le prolétariat russe, le prolétariat de l’empire de la révolution. Et les combats de ce prolétariat, ses expériences, ses problèmes constituent une école où apprendre pour nos prochaines batailles.Ainsi va cette année le 1er mai, animé par un nouveau souffle puissant, de nouveau, comme à ses débuts, accueilli par la haine et la peur de la bourgeoisie et par l’enthousiasme et la volonté de se battre des masses prolétaires. Dès le début, manifestation pour la journée de huit heures et pour la paix mondiale, elle prend peu à peu la forme d’une révolution prolétarienne. Le 1er mai ne va pas vers son déclin, mais vers un essor inouï, car il sera porté et emporté par le même orage qui gronde à la surface de la société bourgeoise et qui nous conduira au travers des combats les plus intenses, jusqu’aux victoires finales.
A propos de ce texte : Tout au long de sa vie, Rosa Luxemburg a accordé la plus grande des attentions au 1er mai. A plusieurs reprises, elle s’est battue pour son maintien. Ainsi dans les années 1907 à 1911. En effet, les textes de cette période s’inscrivent dans une discussion visant, en particulier au sein du parti ouvrier allemand, à la suppression de cette journée de lutte en tant que telle: ceci était proposé essentiellement par le mouvement syndical et l’aile réformiste du parti social-démocrate. Au contraire, Rosa Luxemburg, vient de vivre la révolution russe de 1905, elle a écrit son livre majeur sur la grève de masse et met en évidence l’importance de chaque initiative des prolétaires dans le processus révolutionnaire face à la dépossession de ces luttes par ceux qui prétendent le représenter. Elle voit dans la fête du 1er mai une manifestation importante en tant qu’elle est l’une des seules manifestations directes des masses et multipliera les articles, textes pour la défendre. Texte paru dans la Gleichheit, 17e année, Nr 9, Page 71. Traduction Dominique Villaeys-Poirré, 1er mai 2015
1909 La fête du 1er mai et la lutte de classes (extraits)
… Le vingtième 1er mai nous arrive au milieu d'une paix apparente. Le monde bourgeois croit de nouveau les bases de sa domination complètement assurée. ... Guerre, révolution, ces ombres sinistres de la fatalité élémentaire sont momentanément conjurées. La société bourgeoise se sent de nouveau maitresse de sa destinée et des millions d'échines courbées sont sous son joug. Les aspirations des prolétaires de deux mondes, l'idéal du socialisme, le rêve insensé d'une nouvelle société faite d'hommes libres et égaux, comme tout cela parait lointain aux honnêtes bourgeois qui croient tenir les rênes du monde! ... Cependant il y a une ombre au tableau. C'est l'ombre épaisse de la crise économique. Des centaines de milliers, on peut dire des millions d'ouvriers sans travail en Europe et en Amérique, réclament du pain, que la société capitaliste est hors d'état de leur fournir ... Elle suit comme une ombre toute révolution, toute geurre moderne, étendant aussi son voile noir sur la tête du 1er mai de cette année. C'est la preuve certaine quela victoire remportée par la société bourgeoisie sur la guerre et la révolution n'est qu'une apparence mensongère, que la sécutité et la quiétude par elle simulée ne sont qu'un trompe-l’œil. Dans la nuit des misères que font naître les crises du capitalisme, des fantômes s’élèvent, annonçant l’inexorable destin, qui déjà se pouvait prévoir à l’aurore même de l’ère capitaliste.
La bannière des Canuts
La lutte de classes, génératrice de ces crises qui déchire la société bourgeoise et qui, fatalement, causera sa perte, fait comme une trainée rouge à travers toute l’histoire d’un siècle. Elle se dessinait confusément dans la grande tourmente de la Révolution française. Elle s’inscrivait en lettres noires sur la bannière des canuts de Lyon, les révoltés de la faim qui, en 1834, jetèrent le cri : « Vivre en travaillant ou mourir en combattant ! » » Elle alimentait le feu rouge des torches allumées par les chartistes anglais de 1830 et de 1840. Elle se levait comme une colonne de flammes du terrible massacre de juin 1848 à Paris. Elle jetait son éclat de pourpre dans la capitale de la France, sur le mouvement de 1871, lorsque la canaille bourgeoise victorieuse se vengeait sur les héros de la Commune par le fer meurtrier des mitrailleuses. …
Le but du 1er mai est une déclaration de guerre retentissante sans merci, lancée à cette société par des millions de bouches et qui se répercute sur toute l’étendu du globe. Dans cette unanimité internationale du mouvement se trouve la garantie que nos bataillons ne seront plus écrasés dans une lutte héroïque, mais inégale, parce qu’isolés, comme ceux de Juin et de la Commune, comme les glorieux combattants de Saint-Pétersbourg, de Varsovie et de Moscou.
Le 1er mai est la fête mondiale du travail, la commémoration annuelle des luttes révolutionnaires glorieuses du prolétariat moderne, la continuation de leurs traditions et la proclamation solennelle de cette vérité qu’un jour sonnera l’heure où non plus des détachements isolés du prolétariat de telle ou telle nation mais le prolétariat de tous les pays soulèvera dans une lutte commune pour mettre bas le jour exécrable du capitalisme.
Le 1er mai et la lutte des classes Socialisme N° 74, 1er mai 1909, P 1 et 2 Publié dans Le socialisme en France P 265 – 267, Editions Agone/Smolny,
1913 La fête du 1er mai
Au moment du premier 1er mai, en 1886, la crise semblait dépassée, l'économie capitaliste de nouveau sur les rails de la croissance. On rêvait d'un développement pacifique : les espoirs et les illusions d'un dialogue pacifique et raisonnable entre travail et capital germaient ; le discours de la « main tendue à toutes les bonnes volontés » perçait ; les promesses d'une « transition graduelle au socialisme » dominaient ». Crises, guerres et révolution semblaient des choses du passé, l'enfance de la société moderne : le parlementarisme et les syndicats, la démocratie dans l’État et la démocratie sur le lieu de travail étaient supposées ouvrir les portes d'un nouvel ordre, plus juste.
L'histoire a soumis toutes ces illusions à une épreuve de vérité redoutable. A la fin des années 1890, à la place du développement culturel promis, tranquille, fait de réformes sociales, commençait une phase de violent aiguisement des contradictions capitalistes – un boom avec ses tensions électriques, un krach avec ses effondrements, un tremblement de terre fissurant les fondements de la société.
Dans la décennie suivante, une période de dix ans de prospérité économique fut payée au prix de deux crises mondiales violentes, six guerres sanglantes, et quatre révolutions sanglantes. Au lieu des réformes sociales : lois de sécurité, répression et criminalisation du mouvement social. Au lieu de la démocratie industrielle : concentration extraordinaire du capital dans des ententes et trusts patronaux, et plans de licenciement massifs. Au lieu de la démocratie dans l'Etat : un misérable écroulement des derniers vestiges du libéralisme et de la démocratie bourgeoise. La classe ouvrière révolutionnaire se voit aujourd'hui globalement comme seule, opposée à un front réactionnaire uni des classes dominantes, hostile mais ne se maintenant que par leurs ruses de pouvoir. Le signe sous lequel l'ensemble de cette évolution, à la fois économique et politique, s'est consommée, la formule à la quelle elle renvoie, c'est l'impérialisme.
Rien de nouveau, aucun tournant inattendu dans les traits généraux de la société capitaliste. Les armements et les guerres, les contradictions internationales et la politique coloniale accompagnent l'histoire du capitalisme dès sa naissance. Nous ne sommes que dans la phase d'intensification maximale de ces contradictions. Dans une interaction dialectique, à la fois la cause et l’effet de l'immense accumulation de capital, par l'intensification et l'aiguisement de ces contradictions tant internes, entre capital et travail, qu'externes, entre Etats capitalistes – l'impérialisme a ouvert sa phase finale, la division du monde par l'offensive du capital. Une chaîne d'armements infinis et exorbitants sur terre comme sur mer dans tous les pays capitalistes du fait de leurs rivalités ; une chaîne de guerres sanglantes qui se sont répandues de l'Afrique à l'Europe et qui a tout moment peut allumer l'étincelle qui embrasera le monde. Si on y ajoute le spectre incontrôlable de l'inflation, de la famine de masse dans l'ensemble du monde capitaliste. Chacun de ces signes est un témoignage éclatant de l'actualité et de la puissance de l'idée du 1er mai.
L'idée brillante, à la base du Premier mai, est celle d'un mouvement autonome, immédiat des masses prolétariennes, une action politique de masse de millions de travailleurs qui autrement auraient été atomisées par les barrières des affaires parlementaires quotidiennes, qui n'auraient pour l'essentiel pu exprimer leur volonté que par le bulletin de vote, l'élection de leurs représentants. La proposition excellente du français Lavigne au Congrès de Paris de l'Internationale ajoutait à cette manifestation parlementaire, indirecte de la volonté du prolétariat, une manifestation internationale directe de masse : la grève comme une manifestation et un moyen de lutte pour la journée de 8 heures, la paix mondiale et le socialisme. Et cette idée, cette nouvelle forme de lutte, a donné un nouvel élan au mouvement cette dernière décennie ! La grève de masse a été reconnue internationalement comme une arme indispensable de la lutte politique. Comme action, comme arme dans la lutte, elle revient sous des formes et des nuances innombrables dans tous les pays, ces quinze dernières années.
Pas étonnant ! Le développement dans son ensemble de l'impérialisme dans la dernière décennie conduit la classe ouvrière internationale à voir plus clairement et de façon plus tangible que seule la mise en mouvement des masses, leur action politique autonome, les manifestations de masse et leurs grèves ouvriront tôt ou tard une phase de luttes révolutionnaires pour le pouvoir et pour l'Etat, peuvent apporter une réponse correcte du prolétariat à l'immense oppression que produit les politiques impérialistes. En cette période de course aux armements et de folie guerrière, seule la volonté résolue de lutte des masses ouvrières, leur capacité et leur disposition à de puissantes actions de masse, peuvent maintenir la paix mondiale et repousser la menace d'une guerre mondiale.
Et plus l'idée du Premier Mai, l'idée d'actions de masse résolues comme manifestation de l'unité internationale, comme un moyen de lutte pour la paix et le socialisme, s'enracinera, et plus notre garantie sera forte que de la guerre mondiale qui sera, tôt ou tard, inévitable, sortira une lutte finale et victorieuse entre le monde du travail et celui du capital.
Leipziger Volkszeitung, 30 avril 1913
1914 La fête du 1er mai
Mais il y a encore d’autres éléments qui montrent combien l’idée des camarades de Hambourg est parmi les plus erronées auxquelles l’on pouvait s’attendre. Au centre de la vie politique et du combat de classe en Allemagne se trouve aujourd’hui le militarisme et le combat pour la paix mondiale. Le 1er mai est une manifestation tout autant pour la journée de huit heures que pour la paix mondiale.
Extrait de l'article "Die verkehrste Taktik" paru Dans la Sozialistische Korrespondenz, le 18 juillet 1914, N° 82.
1916 Manifestation en pleine guerre, en plein Berlin
Dès sept heures, la Potsdamer Platz et les rues qui y mènent étaient remplies de policiers à pied et à cheval. A huit heures précises se rassembla sur la place une foule si compacte de manifestants ouvriers (parmi lesquels les jeunes et les femmes étaient massivement représentés) que les escarmouches habituelles avec la police ne tardèrent pas. Les "bleus" et surtout leurs officiers furent bientôt saisis d'une extrême nervosité, et ils commencèrent à pousser la foule avec leurs poings.
A ce moment retentit la voix forte et sonore de Karl Liebknecht, qui était à la tête de la foule, au milieu de la Potsdamer Platz : "A bas la guerre ! A bas le gouvernement !" Aussitôt, un groupe de policiers s'empara de lui, ils firent une chaîne pour l'isoler de la foule et ils l'emmenèrent au poste de police de la gare de Potsdam. Derrière lui, on entendit retentir "Vive Liebknecht !" Les policiers se précipitèrent alors sur la foule et procédèrent à de nouvelles arrestations. Après que Karl Liebknecht eut été emmené, la police, excitée par les officiers qui se comportèrent de la façon la plus brutale, commença à repousser les masses de gens vers les rues adjacentes. C'est ainsi que se formèrent trois grands cortèges de manifestants, dans la Köthener Straße, la Linkstraße et la Königgrätzer Straße, qui avancèrent lentement en raison de heurts constants avec la police. A un moment, du brouhaha se détachèrent des mots d'ordre "A bas la guerre !", "Vive la paix !", "Vive l'Internationale !" et ils furent repris par des milliers devoix. Mais ce fut "Vive Liebknecht !" qui fut repris sans cesse le plus fortement. La nouvelle de son arrestation se répandit rapidement parmi les gens. Des milliers l'avaient vu à la tête de la manifestation et ils avaient entendu sa voix forte et stimulante. L'amertume et la douleur de voir le dirigeant bien aimé aux mains des sbires de la police emplissaient tous les cœurs, elles étaient sur toutes les lèvres. Les femmes, en particulier, poussèrent des gémissements et se répandirent en imprécations contre la police, contre la guerre, contre le gouvernement. La manifestation dura jusqu'à dix heures, la foule essayait sans cesse de pénétrer dans les rues adjacentes à partir des trois crotèges principaux, mais elle en était sans cesse empêchée par les policiers qui allaient en tous sens, sautaient et frappaient dans le tas. En alternance avec les slogans, on chantait la Marseillaise des ouvriers, la Marche des socialistes. Ce n'est que vers dix heures et demie, à certains endroits plus tard encore, que la foule des manifestants, tous animés d'une excellente humeur, se dispersa peu à peu. Selon une estimation modérée, le nombre des manifestants s'élevait à dix mille.
On peut mesurer quelle frayeur la manifestation avait faite au gouvernement au fait que, jusqu'à minuit, tout le quartier autour de la Potsdamer Platz est resté littéralement sumergé par la police montée et qu'au poste de la gare de Potsdam, où s'était établi le centre principal de commandement, les allées et venues de patrouilles nerveuses, les instructions et les rapports s'éternisèrent jusque près d'une heure du matin.
Rapport d'enquête figurant dans l'acte d'accusation contre Karl Liebknecht
Fin avril et le 1er mai, l'accusé Karl Liebknecht diffusa dans le Grand-Berlin autant qu'il en eut l'occasion des tracts intitulés "Tous à la fête du 1er mai !", ainsi que des papillons (Handzettel). Sur ces papillons, il appelait tous ceux qui étaient contre la guerre à se trouver Potsdamer Platz le premier mai à huit heures du soir. Sur ces papillons était aussi écrit comme slogan "Du pain ! La liberté ! La paix !" (souligné). Il se trouva lui-même en civil sur la Potsdamer Platz avec un certain nombre de ses camarades, à l'heure indiquée, pour participer à la fête et à la manifestation contre la guerre. Quelques centaines de personnes en tout, des jeunes pour la plupart, et également des femmes, se trouvèrent au même endroit avec les mêmes intentions. Comme il y a habituellement un trafic intense après huit heures du soir sur la Potsdamer Platz, en raison de la fermeture des magasins et de la proximité de plusieurs gares, la foule y devenait très dense, raison pour laquelle les policiers qui y avaient été dépêchés firent en sorte que les gens puissent gagner les rues latérales et ils dispersèrent de temps en temps les rassemblements qui se formaient sur les trottoirs. De temps à autre, il y eut des sifflements et des slogans lancés par la foule. Mais il n'y eut pas d'incident majeur, parce qu'il y avait sur place un fort déploiement policier et que les tentatives isolées de troubler l'ordre public purent être étouffées dans l'œuf. Juste au moment où un groupe de policiers cherchait à disperser les gens qui s'étaient attroupés sur le trottoir devant l'hôtel Fürstenhof, l'accusé, qui se trouvait dans un groupe de gens, s'écria d'une voix distinctement audible : "A bas la guerre ! A bas le gouvernement !" Les policiers qui se trouvaient à proximité, Becker et Rathke, s'emparèrent de l'individu, dont le nom leur était inconnu, pour l'emmener au poste. L'accusé y opposa de la résistance, en croisant les bras dans le dos, en penchant le buste en arrière et en appuyant les pieds contre le sol. Les deux fonctionnaires durent "littéralement soulever" le prisonnier pour le faire avancer. Pendant son transfert au poste de police, l'accusé continua de s'écrier : "A bas la guerre ! A bas le gouvernement !" Peu de temps après l'arrestation de l'accusé, le rassemblement se dispersa. Pendant tous ces événements, plusieurs centaines de soldats traversèrent la Potsdamer Platz, la plupart en provenance ou en direction d'une gare, sans toutefois participer à la manifestation. Quelques-uns, qui voulaient apparemment s'y attarder, furent invités par les patrouilles militaires à continuer leur chemin.
Sources. – Texte de Liebknecht au président du Reichstag et premier compte-rendu : Spartakusbriefe. Institut für Marxismus-Leninismus beim ZK der SED. Berlin : Dietz-Verlag, 1958. – Deuxième compte-rendu : Liebknecht, Karl, 1971. Gesammelte Reden und Schriften. Band IX. Berlin : Dietz Verlag. – Photo de Liebknecht et tract : Zur Geschichte der Kommunistischen Partei Deutschlands. Eine Auswahl von Materialien und Dokumenten aus den Jahren 1914-1946. Berlin : Dietz Verlag, 1954. – Traductions : JP.