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Billet de blog 11 avril 2023

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La petite ouvrière métisse, Sandrine Malika Charlemagne

Un Printemps des poètes tardif. La petite ouvrière métisse, cela parle des femmes, premières victimes des horreurs du monde, de l'enfance maltraitée. C'est un hommage au monde du travail, à Sacco et Vanzetti, aux mains usées. C'est un appel à résister. Et c'est encore l'évocation de lieux, de parfums, de la beauté de visages, de gestes, de l'Algérie. Une interrogation sur soi. En un mot ... Poésie

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Illustration 1
Mains usées des ouvriers, des ouvrières

Nuit du parti des utopistes
Nuit de la troupe des poètes
Non moins rêveurs que trouble-fêtes
Au cercle du huis clos des affairistes
Nuit des insoumis
Nuit des révoltés
À piétiner ces promesses, traîtres litanies
Dont on voit si peu trop peu l’égalité
Nuit sauvage sous un ciel d’orage
Nuit violente sans peur sans repos
Nuit de colère nuit d’éclatants présages
Nuit noire jusqu’à l’avènement du beau

Sandrine Malika Charlemagne, 2023


Avec un peu de retard, voici le premier instant de mon printemps des poètes.

La petite ouvrière métisse, c'est un hommage aux femmes, souvent première victimes de toutes horreurs du monde, à l'enfance maltraitée, c'est un hommage au monde du travail, aux exploités, à ceux qui sont réduits à la pauvreté, à Sacco et Vanzetti, monde ouvrier.ère trop tu dans ce monde où aujourd'hui le travail est oublié. C'est aussi un appel à résister et à se battre. Et encore l'évocation de lieux, de parfums, de la beauté de visages, de gestes, évocation de l'Algérie.

Parfois, je pense à Prévert, à la chasse à l'enfant, à l’œuf sur le comptoir, souvent je pense à Claire Etcherelli, qui sut si bien parler de ce monde ouvrier. Parfois je vois devant moi une image pleine ou vide, grise ou baignée de soleil.

En un mot, je vis ce qui m'est important et que les mots font ré-affleurer. Force unique de ce médium unique qu'est la poésie. Force unique de ce recueil dont chaque texte m'est si proche

Dominique Villaeys-Poirré, le 11 avril 2023

Je dédis cet article, en ce jour anniversaire de sa disparition, à ma mère, dont j'ai choisi de porter le nom. Je suis de d'une autre deuxième génération . Celle dont les enfants quittèrent le monde ouvrier pour le monde des études.

Et qui doit tout à celle qui ayant quitté l'école à 12 ans, m'accompagna sur ce chemin difficile, qui m'initia dès l'enfance à la culture, à l'engagement humain, au cinéma qu'on disait d'essai, qui fit partie du ciné-cub du Canard enchaîné créé pour voir les films que la censure interdisait et pour lequel dans un local sombre je faisais la mise sous-enveloppe, qui me fit découvrir dès l'enfance le théâtre, avec laquelle je vis au TNP La résistible ascension d'Arturo UI, sur la montée du nazisme, pièce jamais oubliée encore moins dans ces temps où le fascisme menace de plus en plus, et qui me permit de voir parmi les toutes premières Le silence du sourd ou La cuisine d'Arnold Wesker. Qui lut les mêmes livres que moi au cours de mes études universitaires et tapa mes travaux. Qui m'accompagna dans un moment où sa présence était la seule possible et indispensable

Dans  ces poèmes de Sandrine Malika Charlemagne, je me retrouve

Editeur, La rumeur libre. Collection :Un poète, un livre


Illustration 2
Sandrine Malika Charrlemagne. La petite ouvrière métisse

Beauté de ces visages où l’excès de soleil ...

Beauté de ces visages où l’excès de soleil
Semble avoir gravé un masque de granit
Où se fondent le grenu et le velouté de la peau
Beauté des gestes qui s’enchaînent comme au ralenti
Beauté suspendue des paysages
Où le renoncement ne sera jamais un sacrifice
Pour ceux qui choisiront de s’engager sur cette voie

Juré, l'enfant ...

Juré, l’enfant
Ne mangera plus de pâte à modeler
Ne se roulera plus par terre dans la cour de l’école
Ne chipera plus rien dans le porte-monnaie
Achat de bonbons sans permission
Vlan, volée de ceinture pour la punition
L’enfant se taira devant l’étrangère
Les traces sur ses jambes – rien – des traits
C’étaient juste les ronces dans la forêt du livre, juré
Jamais se plaindre, jamais
Pas un mot, ne rien cracher
S’en tenir à la loi du silence
Garder pour soi les accès de violence
Petit dos courbé, descendre les escaliers
Son compte en pièces dans petite main serrée
S’en aller chercher le vin du père au magasin
Et vive le vent et vive la vie
Et ne plus tomber non
Saleté d’ourlet de pantalon
Voulait pas les casser les bouteilles
Vlan, dans la rue d’éclats vermeils
Et vlan et vlan de retour au bercail
Trois fois sifflera la ceinture
C’était lourd
Juste c’était trop lourd

Fille violée qui ne dit mot n’a pas consenti

Fille violée qui ne dit mot n’a pas consenti
Briser les tabous des tyrans
Fille violée n’est coupable de rien
Fille violée n’a ni cherché ni provoqué
Et si un couteau sur elle à cet instant
Ainsi soit-il sauvé lavé l’honneur
L’honneur pourri des hommes
Imbus de leur pouvoir ici-bas
Qui abusent de jeunes filles tétanisées
Ceux-là regagnent ensuite leur cercle d’hypocrites
Boivent un bon coup à la table des intouchables
Tout en pensant à la prochaine, à vite à très vite

Tu te souviens de ce jour blafard

Tu te souviens de ce jour blafard
D’une cage d’escalier où tu avais passé la nuit
Au dernier étage à l’abri des regards
Tout là-haut tu t’étais endormie
Puis dehors plus tard, au petit matin dans la ville
Animée déjà par les pas sourds des travailleurs
Et toi, à te sentir cernée de bruits hostiles
À chercher de quoi dans tes poches
Te rendre au comptoir du bistrot le plus proche
Mousse du café crème, délice de ta jeunesse encore sans
peur
Puis quitter le café sous la pluie
Une pluie battant le pavé en quintettes de cordes
L’odeur des croissants chauds à quelques coins de rues
Et voir dans une poubelle un reste de sandwich
Laissé là dans son papier d’emballage
Le cœur léger manger ce petit déjeuner tombé du ciel
Souvenirs de la maison quittée, adieu famille, adieu discordes
Avancer en loup solitaire, combat de la liberté

Pauvres mains à la longue – à la longue usées

Pauvres mains à la longue – à la longue usées
Par la cadence sur la caisse enregistreuse
À taper des chiffres durant tant de journées
Elles frappent les mains besogneuses
Pour gagner tout juste si peu de quoi
Maillons de la chaîne productrice
La chaîne imbattable qui sans fin vous broie
Aux mains de ceux qui champions de tous les vices
Se croient sortis de la cuisse de Jupiter
Sauveurs suprêmes – sans eux ça ne tournerait pas
Croient-ils si bien penser, de leurs grands mots
Ils se gargarisent
Et ces milliers de mains à leur service, enchaînées à leurs lois
Rompues lessivées à la tâche si peu honorée
Un jour ces mains sur toutes les caisses cesseront de frapper
Et brûleront pour elles-mêmes le plus beau feu de joie

Vers les portes de la fabrique
D’où sortent en mines tirées de guerre lasse
Les femmes du labeur traînant des pieds mécaniques
Mouvement du regard, scruter par le lieu du monde
Où se fait l’apprentissage en troubles face à face
Matière la plus vivante – la plus féconde
Apprendre par soi-même
Comme on irait regarder dans un miroir
À chercher derrière la vérité qui s’y cache
À la porte de la fabrique l’expression de certains yeux rieurs
Ces femmes du labeur qui parfois vous sourient
Qui rêvent de chocolat chaud du goûter de l’enfance
Qui voudraient bien peut-être que ça recommence
Pour se blottir là-bas au plus profond de la nuit
À n’en plus revenir – n’en plus revenir
Jusqu’au point de l’aube – jusqu’à en finir des heures en
cadence

Boule de pain chaud

Boule de pain chaud
Boule de pain dans la main
Boule de pain cadeau
Boule de pain rassasie la faim
Boule de pain en guirlande
Oui l’enfant en redemande
Boule topaze impériale du jour
Boule de pain, l’enfant rit
S’émerveille devant le four
Des petites niches de la boulangerie
Boule de pain pour celui qui attend
Qui regarde en silence passer les gens
Boule de pain roule tout en douceur
Dans la bouche humide grande ouverte
Boules tendres pétries cuites en cœurs
Ne coûtent rien sont toutes offertes
C’est la ballade des petits pains
De kilomètres en kilomètres sans fin

Les yeux de ma nuit

Tu marcheras pour tous les morts pour rien

Tu marcheras pour tous les morts pour rien
Tués d’une balle dans le dos
Frappés à mort
Ou jetés dans un fleuve
Tu marcheras pour la dignité humaine
Pour croire encore que tu as le droit d’y croire
Tu marcheras pour tous les opprimés, tous les méprisés
Parce qu’ils
Parce qu’elles
Ne portent le nom qu’il vaudrait mieux porter
Ou parce qu’ils
Parce qu’elles
N’auraient la bonne couleur de peau
Ou ne seraient issus du bon quartier...
Tu marcheras pour les Arabes, les Africains, les Rroms
Les grands indésirables de notre époque
Tu marcheras pour les histoires du passé
Dont on a longtemps tordu la vérité
Au détriment d’autres histoires, une hiérarchie devrait
prévaloir
Tu marcheras pour croire qu’il est possible de changer les
choses
De débattre sans hypocrisie à cœur ouvert et sans
rancœur
Ouvrir un autre champ des possibles
Tu marcheras en espérant qu’un jour, ceux qui ont tué
lâchement
Comme on irait chasser le fauve en safari
Soient jugés au même titre que d’autres
Qu’on cesse de les excuser
Ces assermentés
Tu marcheras pour une loi applicable à tous
Pas de justice à multiples niveaux
Tu marcheras pour la dignité de ton père, Algérien
Cuisinier, mort à l’aube de ses cinquante ans
Lui qui viendrait en France à l’âge de vingt ans
Il se tiendrait droit comme il pourrait
Tu marcheras pour la dignité de ta mère
Française, ouvrière en usine
Plus tard vendeuse de lingerie au Printemps
Elle quitterait sa Picardie natale
Pour mieux vivre à Paris
Elle, elle y croyait
Elle, qui se foutait des mauvaises pensées des uns ou des
autres
Parce qu’elle vivait avec un Algérien
Tu marcheras pour tous les couples métissés
Tous ceux qui s’aiment au-delà des différences
Tu marcheras pour dire oui à la dignité
À la dignité de tous, oui

Ce que tu croyais savoir, c’est de l’infinitésimal
Tu connais

Ce que tu croyais savoir, c’est de l’infinitésimal
Tu connais des parfums
Tu connais des couleurs
Tu connais des musiques
Tu connais des nuits constellées
Attrapé au vol quelques mots d’histoire
Celle immémoriale de la destruction
L’homme qui détruit l’homme, et qui détruira toujours
L’enfer conçu par l’homme, créé par lui
À la source de l’ignominie
T’aurais voulu naître là où tes cris baptisés par un tourbillon
de sable
Auraient percé la solitude d’une h’mada
Au lieu du sable
Les grands espaces bétonnés et tous ses fracas

Haram la connivence des amoureux
Les mains de la femme dans les cheveux de l’homme
Ensemble sur le banc d’une place à l’écart
Tranquilles au soleil
Chacun le tourbillon dans les yeux
Ils se regardent se parlent sans les mots
Haram le repos sur les cuisses de sa douce aimée
La trouble rêverie de l’amant d’instants adorés
Dans la moiteur d’une allée plongeant sur la mer
Haram les caresses discrètes en public
C’est soudain le rappel à l’ordre
Outrage – outrage aux mœurs – s’écrie un policier
Remballez fissa ces mains dans les cheveux
Et vous, redressez la tête de ces genoux
Obéissez les amoureux, fissa obéissez

https://blogs.mediapart.fr/villaeys-poirre/blog/190922/sandrine-malika-charlemagne-je-suis-la-femme


Travailleuses d'Ibis en lutte © Table rase

Un des très beaux combats de femmes ouvrières.

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