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Quand on est comme on dit engagéE, on rencontre des camarades, et avec ces camarades d'autres camarades que l'on ne connaissait pas, et lors de ces rencontres, on a des coups au cœur, des coups à l'âme. C'est ce qui est arrivé encore ce week-end. ImmergéE deux jours dans une ambiance de réflexion solidaire, j'ai entendu le soir Sammy Sapin lire, je l'ai entendu et ... vu lire les poèmes qu'il a écrits. Coup à l'âme et coup au cœur pour ces courts poèmes écrits dans une langue simple et profonde, pleine d'humour et si sensible. Villaeys-Poirré, https://comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com/
J'essaie de tuer personne aux éditions le Clos Jouve
Il a lu et j'ai lu depuis:
1.
Tout a commencé par un examen.
Devant un jury.
Pendant l’examen
on m’a posé cette question :
Pourquoi voulez-vous être infirmier ?
J’ai réfléchi un moment
puis j’ai dit que c’était le côté pragmatique
terre-à-terre du métier
qui m’intéressait.
Mais au fond de moi je pensais :
je suis comme tout le monde.
Tout ce que je fais
je le fais pour la gloire.
2.
Ensuite ça s'est passé très rapidement.
Trois ans de stage et d'hôpital et de personnes qui allaient mourir
ou qui n'allaient pas mourir
qu'il fallait soigner
ou pour qui on ne pouvait pas grand-chose
qui allaient guérir
ou qui n'allaient pas guérir.
Et un diplôme.
4.
Ça se passe un matin
Dans un service de pneumologie
On s'occupe du corps de M. Zimoun.
L'aide-soignante
(cinquante ans, mèches blondes fatiguées, yeux bleu clair fatigués)
s'arrête soudain:
Ce n'est pas la première fois?
Que tu fait des toilettes mortuaires?
Je dis que non.
Ce n'est pas la première fois.
Puis je songe
que ça ne dure jamais qu'une fois
les premières fois.
6.
Je rentre au service de chirurgie digestive
où j'ai épongé des anus artificiels
pendant douze heures.
Et je retrouve mon amie
qui chante
un air
enjoué
en s'accompagnant
de sa guitare.
Et je me dis
Ha!
il y en a vraiment
qui ne doutent de rien.
7.
Ma feuille de paye vient d'arriver.
Si ça continue comme ça
dans cent quatre-vingt-quatre ans
je pourrai m'acheter
une toute petite villa
sur l'île de Ré
Et là je serai vraiment
peinard.
11.
Mon amie me demande:
D'où te vient cette fascination pour les aides-soignantes
quinquagénaires?
Tu me parles toujours
de Samantha, de Saïda
et de Marie-Christine
Et je réponds alors
que je ne sais pas
ou bien
que ça ne s'explique pas
ou encore
que c'est un secret.
13.
Notre formatrice à l'école pour infirmières, celle qui
transpirait beaucoup
ne nous parlait pas seulement
de la Toute-Puissance, du Sadisme et du Voyeurisme.
Il lui arrivait également d'évoquer
la Volonté de Guérir:
Il faut que vous vous ôtiez du crâne, disait-elle, l'idée
que vous faites ce métier
pour guérir des personnes : vous allez
devenir des Soignants, pas des Guérisseurs.
Laissez la guérison aux Marabouts, aux Rebouteux et aux
Shamans de l'Amérique du Sud.
Vous, vous n'êtes qu'un rouage
du système de soins
et vous devez
essayer
avant tout
de
ne pas
nuire.
14.
Toute la journée M. Claude hurle
hurle
hurle.
Nous autres
quand nous quittons dans les vestiaires
nos blancs
uniformes
nos boîtes crâniennes grésillent encore de ses
hurlements.
Mais parfois
si on lui met le disque
M Claude se met à siffler la septième symphonie de Beethoven
note pour note
intégralement.
Puis dès qu'il a fini de siffler il
hurle.
15.
Je veux
parler à mon amie
de M Claude ce soir là mais elle
pose sa fourchette
plonge ses yeux dans les miens
prend
mon visage
entre ses mains
et dit:
Tu
ramènes trop
de travail
à la maison
en ce moment.
17.
Mme Boucher tend le bras.
Je tâte le bras de Mme Boucher.
Je le tourne et le retourne.
Je demande à Mme Boucher:
On vous a déjà dit qu vous n'avez pas beaucoup de veines?
On me le dit tout le temps, répond-elle
depuis que j'ai
ce cancer.
Si vraiment vous n'y arrivez pas, propose Mme Boucher
laissez tomber
je ne dirai rien au médecin
ça n'aura qu'à rester
entre vous
et moi.
LA MAGIE ROSA LUXEMBURG
Je m'arrête ici car je pourrais citer le livre entier. Aucun des poèmes ne laisse indifférentE. Cette rencontre avec Sammy, avec ces camarades, c'est une longue histoire, une histoire de Rosa Luxemburg comme toujours pour moi. A l'origine une rencontre, la quinzaine Rosa Luxemburg initiée par Sabrina Lorre, et de rencontre en rencontre, celle de Sammy. C'est la magie Rosa Luxemburg! Cette rencontre de personnes uniques, Sabrina Lorre, Valérie Gaudissart et Violette qui dans son film part sur les traces de Rosa Luxemburg, pour disperser les cendres de sa grand-mère communiste à la prison de Breslau où fut enfermée Rosa Luxemburg, et ce week-end ces camarades et ces poètes qui lisent leurs poèmes: Juliette, Samy.
LA MAGIE LIEBKNECHT
Faudra-t-il y ajouter la magie Karl Liebknecht. Invitée à parler de Rosa Luxemburg et la Commune (accompagnée par les lectures de Sabrina Lorre), j'en "profite" pour faire vivre un peu Liebknecht, je pose comme toujours ces derniers temps la question, connaissez-vous Karl Liebknecht, un peu, beaucoup, pas du tout. Les camarades connaissent mieux Karl Liebknecht que les gens engagés et sensibles autour de moi, mais je constate malgré tout combien son souvenir risque de s'estomper. Alors pour le 150e anniversaire de sa naissance, je parle de lui avec l'enthousiasme qui m'habite face à la clairvoyance et le courage que je découvre au fur et à mesure du travail que je mène en ce moment. Seul contre tous à la Chambre des députés allemande, son voyage en Belgique, les "Lettres du front et de la geôle" qui me procure le même étonnement que la découverte des lettres de Rosa Luxemburg ... Je vois que cette évocation fait revivre l'homme et son combat. Cette fin d'année sera pour moi une fin d'année Liebknecht!
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Un dernier extrait parce que la santé, l'hôpital, c'est aussi et encore et toujours un combat dans la société capitaliste:
Hôpital Santé Patient Territoire
c'est le nom de la loi de 2012
qui a mené les choses, l'hôpital
où il en est actuellement.
Qui a poursuivi le travail de sape
et de destruction que d'autres lois,
avant elle, avaient entamé.
Comme une petite sœur
à la plage
qui vient de finir le sale boulot
de destruction du château de sable
en presque innocence.
Sans se plonger dans les textes,
on peut sur place
facilement constater les dégâts.
Il suffit de demander aux anciennes.
Elles vous parlent d'un monde où il y avait le temps.
Où il y avait les effectifs.
Où on remplaçait les collègues absents.
Où on pouvait prendre sa pause.
Et uriner, oui, dans ce monde-là,
on avait le temps d'aller uriner.
Et en psychiatrie on pouvait sortir des fois. A l'extérieur.
Avec les patients.
Emmener les patients dehors.
Il suffit de demander aux anciennes.
Les anciennes vous raconteront.
C'était un autre monde. Pas un monde enchanté non plus.
Pas un monde de contes de fée.
Mais un autre monde que celui-ci.