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Billet de blog 17 février 2023

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Mon cher petit Bob, Lettres de Liebknecht à son fils Robert

Pour son combat acharné contre le conflit mondial, la guerre apporte à K. Liebknecht , envoi au front, emprisonnement. Il écrit régulièrement à ses enfants. Ses lettres sont impressionnantes. Plusieurs sont adressées à son fils cadet, Robert. La dernière citée résonne d'autant plus aujourd'hui que Robert Liebknecht est devenu le peintre que l'on sait et dont je tente de témoigner sur ce blog.

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Illustration 1
Robert, Sonia, Vera, Wilhelm et Karl Liebknecht

Je suis toujours impressionnée par ces mots en français, en plein combat nationaliste, qui terminent les lettres de Karl Liebknecht envoyées du front à ses enfants : Ton papa. Ces extraits sont repris des "Lettres du front et de la geôle", ouvrage paru en français en 1924 et réédité (et disponible) en 2007 aux Editions du Sandre.

Mon cher petit Bob

Carte postale du front le 25 avril 1915

 C’était une bien brave lettre que j’ai reçue de toi. Je t’en remercie. Ce qu’elle disait m’a fait plaisir. Recommence à m’écrire bientôt et sois très sage. Ici, nous avons pris un furet. Aujourd’hui, il y a eu une chasse au renard ; mais maître Renard a trompé tous les chasseurs et jusqu’au chien qui a dû se contenter de deux malheureuses petites souris. Grondement de canon ; crépitement de mitrailleuses ; et des avions, des avions …

Baisers pour toi et pour tous.

 Ton papa.


Mon cher petit Bob,

Carte postale du front le 10 juillet 1915.

 Ta lettre était si charmante qu’elle m’a fait un énorme plaisir. La seule page où tu parles de te baigner et de fumer m’a laissé rêveur. Fumer n’est pas pour vous, petits hommes ; et les bains exigent des précautions. Pense à la Wannsee aux nombreuses victimes des autres lacs. Ça m’ennuie beaucoup que vous n’ayez pu voyager, mais c’est une année exceptionnelle. Il vous faut vous réserver pour une autre fois – si vous y consentez. Vous deviendrez réfléchis, appliqués, bons camarades et joyeux. Ici, temps froid et pluvieux. Je vous ai déjà écrit que je vois des papillons irisés, des chenilles à queue fourchue, des oiseaux de lune, des ours bruns et beaucoup d’autres animaux ; et beaucoup de cigognes aussi. L’adresse de Wilhelm Paradies me manque. Ecris-lui quelques lignes. Il semble que vous allez bien, n’est-ce-pas ? Beaucoup, beaucoup de baisers.

Papa


Mon cher petit Bob

Carte postale du front le 10 juillet 1915.

 Qui sait quand je pourrai vous écrire maintenant ? Hâtivement, en route, quelques mots. Nous passons par Bauske-Barbern et nous allons vers Kertschen, où l’état-major du bataillon, qui doit être bientôt transféré à Friedrichstadt, est stationné (car on n’est plus en sécurité à Kertschen). Notre compagnie cantonne à Sauschinen à trente kilomètres à l’est. Elle travaille au bord de la Düna, sur le front, sous un feu serré.

 Les canons de Riga font grand tapage. Les avions bourdonnent autour de nous ; et des essaims de gros corbeaux planent dans l’air et tournoient en croassant – pillards hideux qui trouvent ici grasse chère.

Je te raconterais volontiers des choses tristes et graves que j’ai vues, mais le temps presse. Pour toi, mon cher petit Bob, et pour vous deux, Helmi et Mausi, ceci une fois de plus ; soyez énergiques et appliqués, luttez vaillamment à travers la vie, sans vaciller à droite ou à gauche. Allez droit devant vous que cela soit facile ou non.

 Songez combien est affreuse l’époque où nous vivons. C’est à cause de cela qu’il vous faut rassembler toutes vos forces.

 Je pense toujours à vous, et je voudrais faire le plus heureux des avenirs, vous rendre forts avant tout, avec dans le cœur le plus de soleil possible.

 Je vous aime autant qu’un père peut chérir ses enfants. Il faut que vous le sachiez. Il ne faut jamais que vous en doutiez ! Des forces supérieures m’arrachent toujours à ma famille. Fiez-vous à moi et à Sonia comme à vous-mêmes, mais pas trop à vous-mêmes pour ne pas devenir  prétentieux et sots. Ce serait dommage. Chacun doit s’appliquer à lui-même la critique la plus sévère, la mesure la plus sévère, sinon il tombe du haut de ses échasses dans la mare aux grenouilles. Travaillez ! Travaillez ! Seul le travail affranchit et satisfait. Travaillez en profondeur, et ne perdez pas votre temps à barboter à la surface des choses. Soyez appliqués à l’école, et prenez toujours comme modèle les meilleurs d’entre les hommes, ceux qui ont donné le plus à l’humanité.

Être satisfait de soi-même – se vanter – sont des disgrâces qui font des sots. N’oubliez pas cela. Avoir confiance en soi veut dire : avoir confiance en la volonté qu’on a de travailler comme un garçon solide, avec toutes les facultés qu’on a, et s’efforcer d’atteindre toujours plus haut.

J’espère que vous ne perdrez pas votre père avant d’avoir des ailes, mais Sonia, et l’oncle Thele, Willi, Curt et Alice, Gertrud et l’oncle Otto, tante Etty, Isy, Guste et bien d’autres, la mère de Sonia, ses frères et ses sœurs, vous restent dans tous les cas. Vous ne serez pas abandonnés, et si vous êtes forts et sages, si vous travaillez, vous vous bâtirez la vie que je souhaite.

 Soyez reconnaissants et gentils pour tante Alice. Saluez tout le monde de ma part. Je vous embrasse, mes chers garçons, des quantités de fois.

 Votre papa


Mes chers enfants,

22 septembre 1915, le matin

 La nuit s’est écoulée sans attaque. Les renforts sont arrivés à temps. L’artillerie a commencé son travail de bonne heure ce matin. Ces moments sont inoubliables et épouvantables, pour moi. J’ai pu ressentir au paroxysme la véhémence des choses, comme devant un incendie, un tremblement de terre, ou le rugissement d’un tigre.

Au point de vue de l’humanité, cela est écrasant, - autant qu’on puisse appliquer à l’homme une mesure qu’il a généralement l’audace de s’appliquer.

La nature ici est grande, vaste, puissante de force élémentaire.

Mais froide, froide. Ayez soin que les choses d’hiver me parviennent.

Ecrivez-moi bientôt et souvent, même brièvement. Je vous embrasse beaucoup, mes chers petits garçons.

Votre Papa


Mon tout petit Bob

Luckau, le 2 mai 1918

Comme tu m’as causé de l’inquiétude et comme j’aurais voulu prendre part aux soins t’a donnés. Pas de neurasthénie surtout – ces crises ne veulent rien dire – à condition qu’on fasse le nécessaire. Je sais cela par l’expérience de ma propre jeunesse. Le nécessaire, ce sont des soins appropriés – des aménagements – pas de surmenage, ni du corps, ni de l’esprit ; se mettre au lit de bonne heure ; dormir longtemps et bien ; une fois éveillé, ne pas rester  au lit cinq minutes. Ne pas demeurer enfermé. Beaucoup de grand air. Prends tes livres et sors. Apprends couché sur l’herbe, parmi les chants d’oiseaux, le vol des papillons et les nuages en marche. Mais attention à tes yeux, ne lit jamais au soleil.

 Tête haute, petit ! Je sais bien que c’est un mauvais moment à passer pour vous. Il y a longtemps que je le sais. Mais de votre côté, vous avez la jeunesse. Aussi, soyez vrais et demeurez fiers devant toutes les misères de l’époque, auxquels, j’aurais, je vous jure, préféré vous voir participer moins jeunes. Tête haute, vous dis-je ; et sans vous éreinter, travaillez pour l’école en vous appliquant. Faites toujours bien votre travail. Quel dommage que je n’aie pas vu tes dessins cette fois-ci ! Je ne suis pas content de toi. Tu sais pourtant combien cela m’intéresse. Te donne-t-on des leçons cette fois-ci ? J’ai complètement oublié de te le demander. Je t’embrasse. Tout ira bien, va.

Ton papa, qui vous écrira à tous en juin.


Karl Liebknecht, alors député, est envoyé sur le front du fait de son action contre la guerre. C'est une sanction qui a touché de nombreux militants connus et inconnus qui ont payé de leur vie leur engagement.. Comme il refusait de porter une arme, il a été versé au génie. Il était envoyé à l'arrière lors des sessions parlementaires. Il n'avait droit à aucune autre activité politique publique. Ce qu'il ne respecta pas. Il fut incarcéré après la manifestation du 1er mai 1916 et libéré seulement par la révolution. Du front, il a envoyé de nombreuses "Kleine Fragen" (Questions courtes) dont le parti social-démocrate tentait d'empêcher l'arrivée à la tribune. Les lettres qu'il a écrites sur le front et en prison constituent un document exceptionnel.

https://comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com/2021/09/karl-liebknecht-je-ne-puis-souffrir-l-heure-du-midi-une-aurore-un-couchant-que-telle-soit-ma-journee.lettres-du-front-et-8

https://comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com/2021/09/karl-liebknecht-je-ne-tirerai-pas.lettre-du-front-et-de-la-geole.lettres-du-front-2eme-partie.html

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Lettres du Front et de la geôle. 2007, éditions du Sandre

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