
"Très amusant de constater comment on élève les jeunes dans un esprit militariste, et cela avec la bénédiction du clergé. Le pasteur donne sa bénédiction, il va au temple et prie. Ensuite il va et vient, par monts et par vaux, et là-dessus de nouveau on joue à la guerre – frisch, fromm, fröhlich, frei* – chrétiennement, selon le commandement de l’amour du prochain.
Le combat pour et avec la jeunesse a revêtu pour Karl Liebknecht dès le début de ses engagements un rôle central. Contre son endoctrinement par le militarisme et la religion. Contre son exploitation par le capitalisme. Pour sa prise de conscience en tant que force révolutionnaire. Son premier ouvrage important "Militarisme et antimilitarisme" indique en sous-titre sa "prise en compte tout particulièrement de la jeunesse". Il devra dans un premier temps lutter aussi contre les instances du parti social-démocrate et des syndicats qui refusent toute organisation indépendante, qu'il obtiendra finalement de haute lutte contre le réformisme. Dans un discours prononcé le 26 mars 1912 au Landtag de Prusse, dans une atmosphère de violence et d'agressions verbales incessantes, il dénonce l'alliance du pouvoir, du sabre et du goupillon.
Discours devant le Landtag de Prusse le 26 mars 1912 (extrait)
… Il est du reste très amusant de voir comment, grâce à la subvention gouvernementale, encouragés par la pluie d’or qui tombe d’en haut, le clergé, les militaires, etc., se sont retrouvés ensemble. Très amusant de constater comment on élève les jeunes dans un esprit militariste, et cela avec la bénédiction du clergé. ("Très bien !" sur les bancs des sociaux démocrates). Le pasteur donne sa bénédiction, il va au temple et prie. Ensuite il va et vient, par monts et par vaux, et là-dessus de nouveau on joue à la guerre – frisch, fromm, fröhlich, frei* – chrétiennement, selon le commandement de l’amour du prochain. Ah Dieu ! Tout cela est si ridicule qu’on ne peut vraiment pas en parler sérieusement. (*Frais, pieux, joyeux, libres, C’est ainsi que se désignaient les membres des organisations de jeunesse chrétienne en Allemagne)
On apprend aussi aux enfants à tirer : le tir après la prière. Oui, messieurs, n’est-ce pas quelque peu dangereux ? N’avez-vous pas un peu peur d’apprendre à tirer aux enfants du prolétariat ? Je vous demande de considérer s’il ne serait pas préférable de leur trouver d’autres occupations. Mais prier et tirer, cela va très bien ensemble. ("Tout à fait chrétien !" sur les bancs des sociaux-démocrates.) De la façon dont la religion est pratiquée ici, c’est exactement la même chose, car la façon dont vous la pratiquez n’est rien d’autre au fond qu’une violence, exactement comme la guerre et autres violences humaines. (« Très juste » sur les bancs des sociaux-démocrates.)
Je reprends ce fameux numéro de la Deutsche Tageszeitung du 2 mars. Il y est question d’un club social-démocrate de tir, qui se trouve, paraît-il, à Dresde. Le journal se plaint que les sociaux-démocrates aient aussi des clubs de tir et il montre qu’il y a là, en fait, un grand danger. Il serait intéressant de savoir combien il en existe. On se propose manifestement de mobiliser le gouvernement contre le grand danger que représentent les clubs de tirs sociaux-démocrates. Messieurs, il inutile de parler longuement du jeu guerrier « grandiose » d’Essen, qui a provoqué l’enthousiasme de M. Hackenberg lui-même, bien qu’il soit très caractéristique de la façon dont vous éduquez la jeunesse. On emmène 5000 enfants, on se livre à d’abondants exercices de tir et autres exercices de patriotisme cocardier, et quand la jeunesse s’est suffisamment exaltée à l’idée d’avoir anéanti des vies humaines ou du moins d’avoir appris comment le faire (« Très juste !»), c’est alors que le sentiment religieux est développé au plus haut point. Ah Dieu, ce genre de christianisme, vraiment, messieurs !
Ce discours a été prononcé le 26 mars 1912 devant le Landtag de Prusse. Les autorités avaient organisé une Conférence sur les questions de santé publique, à Ebelfeld en 1911 et prévu des subventions pour l'éducation de la jeunesse. Karl Liebknecht y fait référence dans ce discours. Source : l’ouvrage regroupant des textes de Karl Liebknecht, édité en 1970 chez françois maspero. Sous le titre « Priez et Tirez ». P.38 - 54. Transcrit pour le net le 14.12.2022 par Dominique Villaeys-Poirré
Sur son combat contre les instances du parti et des syndicats pour une organisation indépendante de la jeunesse