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Billet de blog 25 août 2024

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En exil. Portraits de Robert Liebknecht

Hertha et Robert Liebknecht fuient l'Allemagne nazie dès avril 1933. Ils connaissent le « parcours d'indésirables » de celles et ceux qui se pressent aux frontières. Ils fuient après l'invasion de la zone Sud en Suisse en 1943. Une exposition montre son œuvre, à Berlin. Le choix du thème du portrait est non seulement judicieux mais éclairant sur l'intérêt constant du peintre pour l'humain.

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Quand on descend du métro, la surprise. La rencontre de deux exils, de deux émigrations, celle de Hertha et Robert Liebknecht fuyant le nazisme dès avril 33 et l'immersion dans un quartier populaire, largement immigré, quartier encore populaire du Berlin d'aujourd'hui.

Quand on arrive au musée, la surprise d'un bâtiment historique austère et coloré, le musée où se tient l'exposition est l'une des premières écoles de Berlin, construite dans les années 1860.

Illustration 1

Quand on entre dans la cour grande mais sombre, un immense mur orné d'un immense tag.

Quand on arrive dans la salle d'exposition, la surprise d'immenses baies, d'un magnifique lustre aux allures modernes. Une salle toute de lumière, d'élégance et de beauté des matériaux.

Illustration 2

C'est en bus de nuit, que j'ai rejoint l'exposition à l'aller comme au retour, les tarifs de train étant à cette époque prohibitifs. Les trajets en métro et S-Bahn restent une expérience unique, accessibles et rapides, mais la pauvreté d'une partie de la population frappe au cœur.

Le choix du thème de l'exposition rejoint étonnamment mon travail en cours "Parcours d'Indésirables" et je découvrirai pour la première fois l'un de ces portraits peint à Calvisson, d'un "Indésirable" de Vichy qui mourra finalement en déportatio. Robert lui a donné un visage et nous a donné une image toute de tension et de désespoir de cet homme qui ayant fui le nazisme, sera interné jusqu'à le conduire finalement à la mort.


L'exposition a été conçue par Michael Janizki qui a rencontré Hertha et Robert Liebknecht à la fin de leur vie. Il dit dans sa brève mais intéressante intervention :

Illustration 3

"En 1989, j'ai pu faire la connaissance de Robert Liebknecht et de sa femme Hertha à Paris. À l'époque, il avait déjà 86 ans et elle un an de moins. Deux personnalités fascinantes, mais très différentes. Agiles sur le plan intellectuel. Convaincu de la qualité de sa peinture et de ses dessins, j'ai rapidement commencé à organiser des expositions pour lui. Une étroite amitié s'est nouée, qui a duré jusqu'à sa mort fin 1994. Ses connaissances approfondies de l'histoire de l'art étaient impressionnantes. Après tout, durant les premières années passées à Paris, il avait gagné sa vie en traduisant une centaine d'essais sur les artistes plasticiens ou leurs courants, et avait régulièrement organisé des visites guidées au Louvre. Son ami, le graphiste berlinois Herbert Tucholski, alla même jusqu'à écrire dans un essai que Robert Liebknecht connaissait au Louvre « chaque tableau et son histoire ». J'ai vécu une expérience similaire lorsque nous avons visité ensemble la Pinacothèque à Munich et que Liebknecht a expliqué chaque tableau aux Français. J'ai beaucoup appris de lui."

Cette rencontre peut-on dire a changé sa vie comme elle a changé mon quotidien de cette dernière année et demie où la découverte de son œuvre m'a plongée dans un travail acharné pour le faire connaître, faire reconnaître son travail en France : il n'y a aucune œuvre exposée en France et l’État n'a acheté que trois œuvres, pour cet homme qui avait choisi l'exil en France et qui malgré ce qu'il a vécu sous Vichy, a choisi d'y vivre et d'y travailler jusqu'à sa disparition.

Michael Janitzki a réalisé un remarquable ouvrage en langue allemande. Il donne avec cette exposition un accès direct à l'œuvre. En espérant que 2025 permettra d'organiser une telle exposition en France.


L'exposition propose tout d'abord intelligemment deux paysages, ceux du quartier de Wedding, où Hertha et Robert Liebknecht ont vécu de 1930 au 5 avril 1933. Wedding est alors un quartier qui se bâtit dans une optique moderne et sociale. Bonne idée de donner ainsi accès à des paysages, en particulier urbains que Robert Liebknecht peindra tout au long de sa vie. Bonne idée aussi de donner à voir deux œuvres de cette période dont il reste une infime partie. La plupart ayant disparu dans les bombardements de Berlin. Ironie et tristesse du sort des artistes des années 20 et 30.

Illustration 4

Ce tableau d'une rue, avec un personnage central en marche, identifiable mais aussi symbole rappelle d'autres œuvres de l'époque, mais aussi de l'ensemble de son œuvre, humain.es qu'il voit, mais qui passent en route vers un ailleurs.Combien de ces femmes, hommes, enfants passeront ainsi dans ses toiles, ses dessins, ses lithos, à Berlin comme à Paris, au Camp des Milles comme dans le métro parisien.


L'ensemble des autres œuvres sont des portraits de 1933 à 1945. Souvent de face et en pied ou assis, ils donnent une image globale de la femme ou de l'homme représenté.e. Ils donnent une image réelle, mais pas naturaliste comme le remarque Michaêl Janitzki. La personnalité y transparaît mais aussi tout le vécu passé et... à venir.

L'un des portraits a à la fois pour moi une charge historique et émotionnelle particulière. Celui de Théodor Liebknecht. Qui s'est intéressé à Karl Liebknecht, ne peut méconnaître le rôle de son frère ainé Theodor. Leur activité commune dans leur cabinet d'avocat. Travailler sur la vie de Robert Liebknecht vous fait découvrir les lettres échangées après la fuite en Suisse, de celui désigné comme Oncle Théo. Michael Janitzki écit :

"Dans ce portrait, Robert Liebknecht montre avec force l'état de son oncle après 11 ans d'exil. En 1933, Theodor Liebknecht, âgé de 63 ans, avait dû se réfugier à Bâle ; il y vivait, arraché à son environnement, à son cercle d'amis et de connaissances, sans activité professionnelle, sans perspective. En 1943, sa femme meurt."

Illustration 5

Deux vitrines, l'une contient photos et documents historiques essentiels, comme les faux papiers de Robert et Hertha Liebknecht.

L'autre présente des portraits dessinés de prestataires. Certains des hommes étaient dans le camp de Langlade, d'autres étaient à Calvisson et dans les environs chez des particuliers. Robert Liebknecht se trouvait dans la famille Arnaud, comme ouvrier agricole. Nous faisons des recherches sur cette famille, les Liebknecht ayant des faux-papiers à leur nom avec tous les dangers que cela représentait s'ils avaient été arrêtés.

L'un des portraits exposés avait été publié dans une revue suisse Du, avec le récit du parcours de cet homme sous Vichy, mort en déportation : Dans le commentaire du journal qui accompagne chacun de ces quatre portraits, on peut lire pour celui-ci: "Le caractère de cet ingénieur d'origine juive polonaise témoigne depuis longtemps de l'expérience de la persécution et d'une infinie patience. Sans illusion, cet excellent travailleur supporte toutes les épreuves, mais chacune d'elle grave sur son front un nouveau pli. Il est mort à Auschwitz.

Illustration 6

L'exposition de Berlin renforce la volonté de faire connaître l’œuvre de Robert Liebknecht en France, de voir l’État réparer son erreur et acquérir des œuvres, de voir le musée de l'Immigration lui rendre un hommage, de voir des musées de Paris qu'il a tant peint et dessiné lui faire une place, et les musées du Sud de la France en faire de même. Faire connaître aussi le sort de ces réfugiés sous Vichy encore et toujours.

Fin 2024 (Robert Liebknecht est mort en octobre 1994) et tout 2025, seraient les moments plus qu'indiqués pour ce grand'oeuvre.

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