L'équation est simple et, dans ma tête, le fil est implacable:
- Depuis les horreurs du 7 octobre commises par le Hamas, Israël se comporte en fou furieux avec ses voisins palestiniens. Au mépris de tout droit, il cherche par tous les moyens à les écraser, les éliminer physiquement ou les faire fuir. Cela s'appelle un génocide, même si certains ne veulent pas le voir
- En France, juifs et non juifs nous en sommes tous les témoins atterrés malgré l'euphémisation par de nombreux médias de ce qui se passe en Palestine.
- Israël est un état confessionnel assassin, devenu génocidaire, qui prétend agir pour la sécurité de tous les juifs du monde...
- Si je suis juif et français, puis-je adhérer au discours voulant qu'Israël massacre pour la survie du peuple juif, et donc pour ma survie ? Puis-je cautionner un génocide qui prétend s'effectuer peu ou prou pour moi et en mon nom ?
- Et si je refuse que ma judéité serve de prétexte à de telles horreurs, puis-je encore rester juif ?
La réponse dépend de chacun. Mais elle réside en bonne part dans la question...
Depuis le 8 octobre et les premiers discours haineux tenus les responsables israéliens je vis l'insupportable. Traiter les palestiniens d'animaux qu'il faut éliminer ressemble de trop près aux discours nazis. Cela fait renaître en ma poitrine l'étau d'une douleur trop familière, celle d'avoir eu des aïeux assassinés en avril 44 à Auschwitz Birkenau.
L'émotion n'excuse aucunement les responsables israéliens d'avoir tenu de tels propos. Ils ne sont pas saisis par l'émotion; c'est l'inverse: un homme politique qui tient ce type de discours déshumanisant utilise la douleur et la colère du peuple pour attiser délibérément la haine de l'autre et cautionner le meurtre. Ce type d'homme ne s'émeut pas non plus d'envoyer de jeunes gens à la guerre. Au contraire, ces responsables ont montré et continuent à l'évidence de montrer leur petitesse et leur esprit étroit et tordu. Ils sont vides d'humanité et leur âme est livrée sans barrière à toutes les bassesses et à toutes les violences. Voilà les responsables actuels d'Israël. Voilà le spectacle auquel nous sommes tenus d'assister.
Ils se dévoile alors à nos yeux la face noire d'Israël, le non-dit au fondement même de cet état: la violence de sa naissance, dans le sang et la terreur. Au prix de la Naqba, l'exil forcé d'un autre peuple de sa terre natale, prix que, presque tous, nous préférions jusque là tenir caché.
Au fil de cette guerre je me suis d'abord informé au plus possible - et des jours durant, de l'expérience vécue des uns et des autres, passant des médias français à Haaretz et Al Jezeera. Puis, devant l'horreur qui ne cessait pas et l'insupportable cynisme de la classe politique et des médias occidentaux, j'ai coupé l'info, je suis devenu muet et taciturne. Je n'ai plus rien écrit sur le sujet. Plus de colère mais une tristesse profonde, un désert. M'intéresser à nouveau au martyre de cette région m'est devenu pénible et quasi insupportable. Je suis entré en deuil.
En allant en Israël, au lendemain de la guerre de Kippour, j'étais très jeune, en quête d'une direction de vie, et imprégné de la tentation fragile d'y rester. J'y ai trouvé un mélange de solidarité et de brutalité - mélange auquel j'aurais pu adhérer - mais j'y ai rencontré surtout un racisme anti-arabe qui m'a choqué et définitivement vacciné. Je ne serai jamais de ce pays. La force dont il se prévaut et dont il abuse envers les palestiniens ne lui garantit aucune protection. Mais seulement des ennuis. Cette force est sa fragilité. N'est-ce pas là la signification profonde d' "Israël", ce nom donné à Jacob revenu boiteux de sa confrontation avec l'Ange? Cette force est la terreur des palestiniens. Qui donc peut s'en réjouir sinon des haineux?
Je ne serai donc jamais israélien. Et depuis le 8 octobre je n'ai plus aucun goût pour être juif. Je ne peux pas et ne veux pas être solidaire en quoi que ce soit de ce qui se passe depuis des mois. En mon coeur la racine juive a séché.