L'article 4 de la Constitution reconnaît en sus un territoire germanophone situé à l’Est du pays, dans le massif des Ardennes et de l’Eifel ; la grande ville la plus proche est Aix-la-Chapelle. On désigne souvent ce territoire par le vocable de « cantons de l’Est », appellation qui, tout en étant très usuelle, n’a aucun caractère officiel. D’un point de vue administratif, il compte neuf communes, appartient à la province de Liège et à la Région wallonne. Il a une superficie de 854 km² et une population d’environ 75 000 habitants.
Ces territoires furent accordés à la Prusse après la Chute de Napoléon, et intégrés au Second Reich lors de l'unification de l’Allemagne en 1871. Au moment du traité de Versailles, les Alliés estimèrent que la Belgique avait droit à un dédommagement pour les dégâts que l’armée allemande avait causés sur son sol pendant la première Guerre mondiale. C’est au nom de ce principe que l’Allemagne lui céda ces territoires.
Un traitement semi-colonial de la population germanophone
Les autorités belges traitèrent la population du territoire avec méfiance. Le gouvernement nomma administrateur de ces territoires Herman Baltia, qui avait auparavant officié au Congo, la principale colonie belge d’Afrique. Il organisa un référendum sur l’adhésion à la Belgique, comme l’exigeait le Traité de Versailles au nom du principe d’auto-détermination des peuples. Les électeurs opposés à l’adhésion à la Belgique devaient consigner leur nom et leur adresse dans un registre public. Dans ces conditions, seuls 271 électeurs (sur… 33 700) ayant osé y déclarer leur opposition, et c’est sans surprise que la votation donna le feu vert à l’adhésion.
La Constitution et la loi belges n’entrèrent en vigueur sur ces territoires que le 1er janvier 1926. Il ne fut pas question de conférer un statut spécifique à l’allemand.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les autorités du Troisième Reich occupèrent la Belgique, et les « cantons de l’Est » furent intégrés au Grand Reich allemand, la population masculine enrôlée dans la Wehrmacht. Les villes de la région furent en grande partie détruites au moment de la Bataille des Ardennes de l’automne 1944. Les germanophones furent beaucoup plus touchés que le reste de la population belge par l’épuration d’après 1945.
Après-guerre : la communauté germanophone officiellement reconnue
En 1956, l’Allemagne et la Belgique conclurent un accord qui réglait l’essentiel des litiges nés de la Seconde Guerre mondiale ; des accords de coopération culturelle s'ensuivirent. Cette détente dans les rapports entre les deux pays s’avéra favorable à la population de langue allemande, dont le sort évolua désormais d’un régime de soupçon à celui d’une reconnaissance de plein droit.
L’autre élément d’évolution fut l’évolution de la situation linguistique de la Belgique. A sa naissance, la Belgique était un état monolingue ; la Constitution sur laquelle le roi Léopold Ier prêta serment le 21 juillet 1831 était rédigée exclusivement en français. Ce n’est qu’en 1898, par la loi d’égalité, que le néerlandais obtint un statut égal à celui du français.
En 1963, la loi établit une frontière linguistique, ou taalgrens en néerlandais, afin de délimiter la région de langue française et celle de langue néerlandaise, la région de Bruxelles restant officiellement bilingue. Au nom du même principe de territorialisation linguistique, la loi disposa que les cantons de l’Est étaient germanophones, la minorité francophone y bénéficiant de droits - de « facilités linguistiques » selon la terminologie officielle.
L’année 1970 marqua un pas supplémentaire dans la reconnaissance des germanophones de Belgique puisqu’une Communauté culturelle allemande fut instituée, devenue Communauté germanophone en 1980. Elle a pour compétence les questions dites « personnalisables », notamment linguistiques et culturelles, mais les questions économiques et sociales demeurent à la Région wallonne, et les compétences régaliennes à l’État fédéral belge. En 1990, la communauté reçut la compétence de l’éducation, ce qui fit tripler la dotation que lui versait l’État. La consécration vint le 23 octobre 1991, jour où la Constitution belge acquit la même valeur juridique en sa version allemande qu’en ses versions française et néerlandaise.
Les germanophones de Belgique : les derniers vrais belges ?
Aujourd’hui, les 70 000 germanophones ont en commun avec les flamands, outre de parler une langue germanique, celui de voter en majorité pour des partis conservateurs, les francophones donnant majoritairement leur suffrage au parti socialiste. Un double phénomène semble devoir déterminer l’avenir démographique de la communauté : d’une part, sa faible natalité ; d’autre part, l’immigration d’une population venue d’Allemagne, plus attirée par un régime fiscal belge réputé très clément pour les hauts revenus que par la beauté immaculée des vertes collines de l’Ardenne.
Concluons par un point important : les germanophones, du fait de leur neutralité dans les querelles linguistiques entre les partis flamands et les partis francophones, tendent à adhérer à l’idée d’un État fédéral belge unitaire. En ce sens, ils ont parfois été nommés les « derniers vrais belges ».
Bien cordialement,
VD.
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J'ai déjà publié ce billet sur un ancien blog, en 2013.
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