En particulier, l’emploi, par François du terme d’ « aboiements de l’OTAN » au cours d’un entretien donné au quotidien italien Corriere della Sera, a choqué le journaliste. Dans un autre article, on lui reproche un biais qui serait pro-russe (* : les astérisques renvoient aux liens en bas de page).
Les États-Unis et la Russie : qui est hostile, et à qui ?
Personnellement, je condamne l’attaque russe, pour des raisons humaines, parce qu’elle sème la désolation, pour des raisons politiques, parce qu’elle creuse un fossé de sang entre les peuples, et pour des raisons stratégiques, parce qu’elle favorise par réaction la suzeraineté américaine sur l'Europe et la prospérité des marchands d’armes.
J’aimerais toutefois rappeler un raisonnement élémentaire : on peut condamner l’action russe sans approuver la politique de l’OTAN ni celle des dirigeants américains. Pour rappel, la fondation de l’OTAN remonte à 1949, au début de la Guerre froide, avec pour fin de faire pièce au camp soviétique. La chute du Mur de Berlin, en 1989, et l’effondrement de l’Union soviétique, en 1991, mirent fin aux blocs et pour cette raison, auraient dû conduire à la dissolution de l’OTAN ; d'ailleurs, le Pacte de Varsovie, son homologue du camp soviétique, s'est autodissous en 1991.
Or le fait que l'OTAN non seulement ait poursuivi son existence, mais qu'elle se soit étendue à l’Europe de l'Est, s'explique par le fait que les États-Unis, qui en sont la cheville ouvrière, ont continué d’envisager la Russie comme un ennemi potentiel. Imaginons la réciproque : si le Pacte de Varsovie existait toujours et étendait son influence vers le Mexique ou Cuba, comment réagiraient les dirigeants américains ? Sans doute de manière… courroucée.
L’aide américaine, ses implications aux États-Unis et ses conséquences sur un État failli
J’aimerais évoquer l’aide apportée par les États-Unis à l’Ukraine, d’un montant total de l’ordre de 40 milliards de dollars, dont 20 milliards d’aide militaire. Bien sûr, pour l’instant, aucun GI n’affronte directement la soldatesque russe ; mais cette aide représente tout de même une forme d’escalade, la limite entre la notion d' « aide militaire » et de « cobélligérance » étant parfois floue. Ainsi, selon l'article paru au mois de mai sur Rnd.de, un site d'information générale allemand, les autorités envisagent de former des soldats ukrainiens sur le sol allemand : au regard du droit international, cela pourrait faire considérer le pays concerné, en l'occurrence l'Allemagne, comme une partie à la guerre (*).
Surtout, les dirigeants américains débloquent cette somme extravagante dans le consensus, alors qu’ils ne savent pas, dans leur propre pays, élaborer un plan crédible contre le réchauffement climatique, ni pour les transports publics, ni encore pour le système de santé. A ce propos, aux États-Unis, l’espérance de vie est nettement moins élevée que dans les pays de niveau de vie comparable, elle est inférieure de pas moins de cinq ans à ce qu’elle est en France ; que n'entend-on pas pourtant sur la ruine du système de santé de notre pays (*) ! Au-delà des raisons de cette situation, je relève le paradoxe : les pays d’Europe se prosternent devant un pays qui est dans un état de dégénérescence plus avancé que le leur.
Par ailleurs, beaucoup de gens oublient que l’Ukraine est dans une large mesure un État failli, 122ème dans le classement de corruption selon Transparency international (*), et 108ème au classement de la liberté de la presse selon RSF (*), et personne ne s’inquiète de savoir dans quelles mains tomberont ces armes : bien sûr, à rebours des affirmations de la propagande de Poutine, les nazis sont très minoritaires en Ukraine, mais les intégristes musulmans l’étaient aussi en Afghanistan, avant que les américains les arment contre l’invasion soviétique de 1979…
La position du Pape
Celui-ci a, si j’ose dire, deux casquettes : d’une part, il est le souverain pontife, Chef d’État du Vatican ; de l’autre, il est le Saint-Père, dirigeant de la communauté des Catholiques du monde entier, il dispose donc d'une autorité spirituelle, à la manière du dalaï-lama.
Du fait de cette position spirituelle, le Pape peut espérer jouer un rôle de médiateur, ou de bons offices, en vue de négociations de paix. Cela peut paraître aller de soi, mais une guerre se termine en général au moment où les deux parties… ont intérêt à la faire cesser. A ce stade, nous n’en sommes pas là, ni Poutine, ni Zelenski, ne veulent la paix pour l’instant. Mais à un moment ou à un autre, il faudra que chaque camp puisse quitter l’arène avec un compromis qui lui permet de sauver la face, d’où l’intérêt de personnalités qui ont évité une rhétorique outrancière.
Second point : les quelque 1,2 milliard de catholiques se répartissent sur toute la planète (le site d'information du Vatican peut se lire en 36 langues !), en particulier dans le Tiers-Monde. Or, lors du vote de condamnation de la Russie aux Nations-Unies, une bonne trentaine de pays, tous semi- ou sous-développés, ne se sont pas prononcés ; la Chine, mais aussi l’Inde, le Pakistan, le Kazakhstan, certains pays d’Afrique Noire, du Maghreb, et d’Amérique latine, arrière-cour traditionnelle de Washington : l’affreux Venezuela bien sûr, mais aussi la Bolivie, le Salvador ou le Nicaragua.
La réticence à condamner la Russie s'explique par la volonté de ne pas se fâcher avec un partenaire économique important, notamment sur le plan agricole, par des liens hérités de l’époque soviétique, et par une forme d’hostilité, ou du moins de méfiance, face à la politique de l’Oncle Sam. Dans ce contexte, il n’est à mon sens ni aberrant ni condamnable que le Pape s’adresse aux masses des pays du Sud, lui qui se veut proche des pauvres, comme le montre son nom, inspiré de François d’Assise, qui fit vœu de pauvreté au Moyen-âge ; et dont l’ordre d’appartenance, la Compagnie de Jésus, fut fondé par Ignace de Loyola, amputé d’une jambe après le siège de Pampelune, en 1521, qui a pour cette raison inspiré une tradition de pacifisme.
Enfin, dans le message urbi et orbi (à la ville et au monde) prononcé lors du dimanche pascal, le Saint-Père a invoqué le Manifeste pacifiste signé par Einstein et Russel, en 1955 ; et a exprimé sa compassion pour toutes les victimes des conflits, ukrainiennes bien sûr, mais aussi yéménites ou congolaises. Je trouve que c'est à bon droit qu'il l'a fait et qu'il est tout à son honneur de ne pas éprouver de compassion pour les victimes des guerres uniquement lorsqu'elles sont européennes et chrétiennes.
Bien cordialement,
Vincent Doumayrou,
Auteur du livre La Fracture ferroviaire - Pourquoi le TGV ne sauvera pas le Chemin de fer, Ed de l’Atelier, Ivry-sur-Seine, d’articles pour Le Monde diplomatique et membre de Ferinter.
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(*) Liste des notes :
L'un des articles du journal Le Monde :
https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/03/pret-a-rencontrer-poutine-le-pape-evoque-les-aboiements-de-l-otan-a-la-porte-de-la-russie_6124644_3210.html
L’article où la Pape évoque les relations avec Moscou et l’OTAN :
https://www.vaticannews.va/fr/pape/news/2022-05/pape-francois-moscou-poutine-russie-guerre-ukraine-paix.html
L'Allemagne est-elle déjà une partie à la guerre ? L'article du site d'information générale RND :
https://www.rnd.de/politik/voelkerrecht-ausbildung-ukrainischer-soldaten-an-gelieferten-waffen-kann-kriegsbeteiligung-sein-SMAVGPWAU5BAXFYAFMR7OXDIYQ.html
Aux Etats-Unis, l'espérance de vie est de 77,3 ans contre 82,3 ans en France, en 2020. La page de l'OCDE qui reprend les chiffres de l'espérance de vie à la naissance de divers pays :
https://data.oecd.org/fr/healthstat/esperance-de-vie-a-la-naissance.htm
Le baromètre de corruption et de liberté de la presse où l’Ukraine se classe respectivement 122ème et et 108ème, sur 180 pays classés :
https://www.transparency.org/en/cpi/2021
https://rsf.org/fr/classement
La liste des votes à l'ONU :
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/03/03/resolution-a-l-onu-contre-la-guerre-en-ukraine-qui-a-vote-pour-ou-contre-et-qui-s-est-abstenu_6115936_4355770.html
Le message pascal, « à la ville et au monde » :
https://www.vatican.va/content/francesco/fr/messages/urbi/documents/20220417-urbi-et-orbi-pasqua.html
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